Lucia di Lammermoor à la Scala : prima le emozioni
La Scala de Milan propose une nouvelle production de Lucia di Lammermoor menée par Yannis Kokkos à la mise en scène. Ce dernier signe aussi la scénographie et les costumes. Il propose une vision sobre et fidèle au livret, enchainant les tableaux avec fluidité : la forêt grâce à des arbres en deux dimensions, la fontaine évoquée par une statue, l'intérieur des Ashton avec ses paravents qui découpent l'espace, celui des Ravenswood marqué de deux éclairs annonçant la tempête, le domaine des Ashton avec un grand escalier marquant la descente aux enfers de Lucia (les parois réfléchissantes laissant apparaître le fantôme dont elle parle) et enfin le cimetière que quelques pierres tombales caractérisent. Les costumes sont quant à eux à la croisée d’une image d’époque et d’une modernité chic. Le metteur en scène s’efface ainsi derrière le livret, privilégiant l’élégance, l’émotion et l’expression des passions à tout geste de modernité.
Le rôle-titre est mené par Lisette Oropesa, dont la candeur théâtrale sied au personnage, tout comme la voix au timbre pur, à la fois fine et puissante, agile et ferme, jusque dans les trilles et vocalises maîtrisés, qui se détachent d’un vibrato épanoui. Elle met les nuances et les tempos à sa main, et le public à ses pieds.
Boris Pinkhasovich a bien évolué depuis qu’il a présenté son Enrico à l’Opéra de Rouen en 2015 : s’il faisait alors figure de découverte, il a depuis parcouru les plus grandes scènes et muri le personnage, ici bien moins fougueux et hésitant mais plus aristocrate et froid. Il conserve en revanche sa voix ferme et grave, à l’émission aisée sur tout l’ambitus et au vibrato léger et vif. Sa voix de velours sur un phrasé de fer lui permet de se montrer tour à tour séducteur ou violent pour convaincre sa sœur.
Face à ces deux prestations, Juan Diego Flórez apparaît en retrait en Edgardo. Le ténor peut certes s’appuyer sur son timbre ensoleillé, sa musicalité et sa capacité à conter son récit, tandis que ses aigus et son souffle long lui offrent de beaux moments de vaillance. Mais sa voix semble constamment forcée et son volume restreint.
Carlo Lepore campe un Raimondo humain, aux graves riches et bien émis, sur lesquels les ensembles peuvent s’appuyer. Leonardo Cortellazzi est un fier Arturo, au ténor léger et perché et dont la noblesse du phrasé crédibilise son personnage. En Alisa, Valentina Pluzhnikova, membre de l’Académie de La Scala, offre un medium chaud et soyeux aux reflets brillants, bien projeté. La voix sature cependant dans l’aigu et se perd dans le grave. Elle émeut même sans chanter, par son regard si plein de compassion envers Lucia. En Normanno, Giorgio Misseri dispose d’un timbre chaud et boisé, avec beaucoup de caractère, toutefois peu mis en valeur par un vibrato lâche et un volume insuffisant pour ressortir dans les ensembles (ce qui est notamment problématique dans le chœur d’entrée et dans le septuor).
À la tête de la phalange maison, Riccardo Chailly multiplie les variations de tempo ou de nuance, sans craindre les excès. Il façonne ainsi une ambiance mystérieuse et s’applique, en chantant avec le plateau, à faire respecter les équilibres et le placement rythmique, offrant de beaux ensembles. La finesse de la harpe évoque magnifiquement la pureté de Lucia, tandis que les timbales, frappées avec des baguettes dures, annoncent le drame. Le Chœur se montre très homogène, suivant les nuances d’une seule voix.
Une fois les lumières rallumées, les applaudissements vont crescendo pour se faire tonnants lorsque Lisette Oropesa se présente à l’avant-scène. La prima donna n’a toutefois pas l’honneur de présenter le chef au public, celui-ci n’apparaissant face à la salle qu’après un court baisser de rideau.