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Gaëlle Arquez, Carmen immortelle à l’Opéra-Comique

Gaëlle Arquez, Carmen immortelle à l’Opéra-Comique

La première de Carmen, l’opéra le plus joué au monde, a eu lieu à l’Opéra-Comique à Paris. Aussi, lorsque la salle s’apprête à jouer la 2911ème représentation, les attentes sont grandes surtout avec à l’affiche, la très belle Gaëlle Arquez. Compte-rendu…

Gaëlle Arquez (Carmen), chœur accentus © Stefan Brion

Alors que gronde le peuple de Paris, une plus que centenaire ne semble pas résignée à prendre sa retraite alors qu’elle défend la liberté depuis presque 150 ans. Pour Carmen, l’amour est un oiseau rebelle et il ne semble pas prêt à se taire. Créé en 1875 à l’Opéra-Comique, le chef-d’oeuvre de Bizet est un étendard de la culture française porté depuis toujours par des artistes essentiels. L’image de cette femme émancipée a inspiré bon nombre de metteurs en scène les obligeant parfois à se renouveler pour entretenir le mythe. Le 2 mai 2023 salle Favart, la Carmen était de retour à la maison, cette fois sous les traits de la divine Gaëlle Arquez, dans une production hommage à l’héroïne immortelle.

Don José plusieurs fois débraillé

Frédéric Antoun (Don José), chœur accentus© Stefan Brion

La mise en scène n’est pas des plus lisibles lorsque l’on découvre l’œuvre pour la première fois. Andreas Homoki joue le théâtre dans le théâtre et même l’Histoire dans l’histoire. Le rideau se lève sur un plateau entièrement nu avec à l’avant-scène, la coquille du souffleur comme à l’époque de la création dans cette salle même. Frédéric Antoun y apparaît en costume de ville s’arrêtant sur une partition de Bizet posée au sol. Comme un spectateur découvrant Carmen, il sera happé par la musique et alpagué par les petits soldats de la garde montante (espiègles chanteurs de la Maîtrise Populaire de Comique) qui le déshabilleront pour lui faire revêtir le costume du brigadier. Don José ainsi introduit, le drame prend place avec quelques bonnes idées de mise en scène. Les cigarières évoquent plutôt les maisons closes (et la société corsetée du XIXème siècle) où se rendaient ces messieurs, les premiers spectateurs de 1875. La parade des toréadors, toujours difficile à mettre en place, est maintenant diffusée sur une télé que les choristes de 2023 commentent, surexcités comme lors d’un match de foot. Clin d’œil à l’immortalité du tube de l’opéra, les costumes suivent la chronologie de l’œuvre. Même si l’homogénéité du chœur accentus est un peu chahutée, la diction de l’ensemble des artistes, en grande majorité francophones, est remarquable d’intelligence. Parmi les nombreux seconds rôles, tous incarnés, l’on remarque Aliénor Feix en Mercédès (déjà applaudie à l’Opéra-Comique dans Fortunio), la nonchalance bien vue du Zuniga de François Lis ou la vocalise franche de Matthieu Walendzik (Le Dancaïre) et l’on regrette la brièveté du rôle de Moralès, confié avec luxe à l’impeccable Jean-Christophe Lanièce.

Quand Gaëlle devient Carmen Arquez

Gaëlle Arquez (Carmen), Frédéric Antoun (Don José) © Stefan Brion

Nous avions laissé Frédéric Antoun en difficulté avec ses aigus dans Lakmé. Dans le rôle de Don José, il retrouve une certaine aisance même si la projection du son reste désagréablement tubée. L’air de la fleur représente toujours un challenge pour les ténors. Il s’y montre plutôt convainquant avec les nuances attendues sur le « je t’aime » final chanté sans aucun port de voix. Est-ce la préparation méticuleuse de Louis Langrée (qui a assuré la direction des quatre premières représentations) ou la volonté de Sora Elisabeth Lee, cheffe aux commandes pour les deux dernières ? La partition est scrupuleusement suivie avec une exigence que l’on retrouve dans le grand air de Micaëla. Dans le « seigneur » final chanté de même sans port de voix, la soprano gomme l’aspect vériste qui vient souvent gâcher les intentions de Bizet. Carmen n’est pas un opéra italien ! ce qu’Elbenita Kajtazi a bien compris. S’éloignant du cliché nunuche, elle campe une Micaëla décidée avec de grands moyens vocaux et une très légère surarticulation. Une puissance maîtrisée lui permet les nuances qu’elle déploie dans un large vibrato. Jean-Fernand Setti s’impose avec évidence dans le rôle d’Escamillo. La tessiture du Toréador peut être assassine et même si l’air déclamé par l’autre amant de Carmen est l’un des plus connus de tout le répertoire, « Votre toast » a rarement été chanté avec autant de facilité. « Si tu m’aimes » suave place le couple Carmen/Escamillo au sommet de l’émotion grâce à la cheffe Sora Elisabeth Lee qui sait accompagner ses chanteurs avec une grâce infinie. Sa battue plutôt énergique entraine la partition vers un théâtre dynamique et expressif. Proche du texte, nous l’avons vu, elle insuffle une vitalité à l’Orchestre des Champs-Élysées parfaitement à l’aise dans ce Bizet débarrassé de toute lourdeur. Si Sora Elisabeth Lee est une révélation, Gäelle Arquez impériale, confirme tout le bien déjà écrit et s’affirme même comme la plus grande Carmen de sa génération. Chaque air, pourtant si connu, semble réinventé car elle y amène d’infinies variations avec de très jolies nuances. L’actrice que l’on savait exceptionnelle ne se laisse jamais envahir par le drame ou l’histrionisme. La scène finale est chantée jusqu’à la dernière note, un exploit ! Le souvenir du « tiens » lancé à Don José en même temps que la bague donne encore des frissons. La distribution vocale de très haut vol dans une mise en scène perfectible est le plus bel hommage que l’Opéra-Comique pouvait rendre à son immortelle héroïne. Pour de nombreux spectateurs, elle aura désormais le visage et la voix de Gaëlle Arquez.

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