L’Opéra Comique avait sorti en 2018 La Nonne sanglante de son long sommeil depuis sa création en 1854, en programmant une série de représentations pour marquer le bicentenaire de naissance de Charles Gounod. L’Opéra de Saint-Étienne remet courageusement l’ouvrage sur le métier et confirme la grande valeur de cet opus qui était injustement tombé dans l’oubli. Julien Ostini monte une nouvelle production pour l’occasion, dont on apprécie davantage les trois derniers actes après l’entracte que les deux premiers. Également en charge des décors, le metteur en scène place d’emblée un gros rocher au centre du plateau, noir d’un côté et blanc pour l’autre face à l’allure d’iceberg, élément massif qu’on déplace à vue mais autour duquel les choristes et solistes paraissent comme un peu paralysés. Les choristes forment en effet un groupe extrêmement statique, tandis que les solistes exécutent des gestes plutôt convenus et peu naturels.

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La Nonne sanglante à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Les très beaux costumes de Véronique Seymat et Julien Ostini s’écartent de la légende médiévale allemande dont est tiré le livret d'Eugène Scribe et Germain Delavigne, avec des manteaux pour Esquimaux, y compris quelques cols ou capuches en fourrure et peaux de bêtes aux pieds. Il tombe par ailleurs des confettis rouges des cintres, en accord avec l’aspect de volcan en éruption du rocher zébré de lumières rouges, tandis que la scène baigne dans la fumée.

Le jeu nous semblera heureusement bien plus fluide à partir du troisième acte, ainsi que la répartition des choristes plus équilibrée, ceci sur le plateau dorénavant débarrassé du rocher-iceberg et agrémenté d’éléments de décors assez simples : gros cylindres lumineux verticaux d’abord, hautes statues monolithiques aux visages rappelant celles de l'île de Pâques (déjà vues à l’acte II), tentures verticales brillantes pour l’acte IV lors du mariage entre Rodolphe et Agnès. Les ballets du quatrième acte, chorégraphiés par Florence Pageault et exécutés par six danseuses vêtues de jolis costumes colorés, renforcent le caractère de grand opéra français de cette œuvre en cinq actes.

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La Nonne sanglante à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Plusieurs passages musicaux rappellent d’autres compositions de Gounod, en premier lieu Roméo et Juliette sans doute par l’intrigue analogue de la lutte ancestrale entre les Moldaw et les Luddorf et les amours impossibles entre Rodolphe et Agnès – mais la fin ici sera heureuse. Le mystère qui plane et la menace de cette Nonne sanglante et vengeresse peuvent faire penser aux diableries de Faust, tandis que les joyeuses fiançailles de Fritz et Anna en début d’acte III rappellent la farandole de Mireille.

Tout ceci s’entend dans la musique dirigée avec attention et précision par Paul-Emmanuel Thomas, aux commandes d’un Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire en bonne forme et du Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire qui répond avec énergie aux diverses sollicitations. L'ouverture pourrait sans doute dégager davantage de souffle et de puissance dans les climax, mais ne boudons pas notre plaisir : le volume orchestral est ensuite justement dosé pour ne pas mettre en difficulté les artistes sur scène.

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La Nonne sanglante à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

C’est le rôle de Rodolphe qui est, de loin, le plus sollicité et défendu avec panache par Florian Laconi, ténor d’une grande générosité et qui claironne ses aigus avec éclat, accompagnés d’un vibrato certes présent mais pas désagréable. Bien vaillant dans les passages de bravoure, il est mis toutefois en difficulté pour l’intonation de l’air de l'acte III « Un jour plus pur », passage où la voix s’allège en mezza voce. Joli timbre aérien et musical, la soprano Erminie Blondel ne possède malheureusement pas la largeur requise pour le rôle d’Agnès, passant rapidement au second plan pendant les divers duos et ensembles, et parfois difficilement audible dans sa partie grave. Marie Gautrot dans le rôle-titre fait apprécier quant à elle de belles couleurs sombres, l'instrument est d’ampleur suffisante, sereinement projeté, avec plusieurs graves d’outre-tombe, bien à propos.

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La Nonne sanglante à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Déjà membre de l’équipe de la recréation il y a cinq ans à Paris, le baryton Jérôme Boutillier en Comte Luddorf possède du mordant dans l’accent et une non moins remarquable noblesse de timbre. Son air en début de dernier acte « De mes fureurs déplorable victime » est l'un des plus grands moments de la soirée. Dans le rôle d’Arthur, le page de Rodolphe, Jeanne Crousaud est une soprano piquante, agile et précise de ton. Thomas Dear compose un ermite Pierre autoritaire et au beau creux dans le grave, l’autre basse Luc Bertin-Hugault (Baron Moldaw) étant aussi solidement timbré. En revanche, après les petites coupures opérées dans la partition, la soprano Charlotte Bonnet (Anna) et le ténor Raphaël Jardin (Fritz) n’ont que peu à chanter. Une envie nous gagne donc à l’issue du spectacle : réentendre cet opéra !


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Saint-Étienne.

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