Opéra de jeunesse de Giuseppe Verdi (venant immédiatement après Nabucco), I Lombardi alla prima crociata reste de nos jours une rareté en dehors de quelques scènes italiennes. Cette œuvre qui met en scène une histoire de jalousie entre deux frères, Arvino et Pagano, des intrigues politiques et les amours contrariées de Giselda et Oronte sur fond de croisade, existe également en version française : Jérusalem, qui fut donnée à l'Opéra de Paris il y a une quarantaine d'années – mais pas de Lombardi après, ni avant dans la Grande Boutique. Il s'agit d'ailleurs de la première fois que l'ouvrage est présenté à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège ; la nouvelle production est confiée aux soins de Sarah Schinasi pour marquer cette entrée au répertoire.

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I Lombardi alla prima crociata à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© ORW-Liège / J. Berger

Si les images proposées sont agréables à l’œil, sur fond de décor blanc et épuré signé Pier Paolo Bisleri et dans les costumes élégants et colorés de Françoise Raybaud, la mise en scène s'avère rapidement d'un statisme qui frôle souvent l'immobilisme. Les choristes sont placés sur un praticable haut de deux marches, ce groupe figé avançant régulièrement à l'avant-scène, poussé depuis le fond de plateau. Ces translations, procédé répété à l'envi, constituent le très peu de mouvements d'un chœur particulièrement statique, qui donne régulièrement des allures d'oratorio à l'ouvrage. Ce tableau figé convient toutefois très bien au chœur du quatrième et dernier acte (« O signore, dal tetto natio »), sublime passage de la même qualité que celle du « Va, pensiero » de Nabucco, chanté avec sentiment et une belle maîtrise collective par les choristes préparés avec soin par Denis Segond.

Les solistes aussi semblent souvent livrés à eux-mêmes pour ce qui concerne le jeu théâtral, réduit au minimum quand il n'est pas artificiel ; quand Pagano assassine son père par erreur à la fin du premier acte, l'action très empruntée n'effraie pas le moins du monde, même à la vue des poignards ensanglantés en mains. L'amenée transversale de certains éléments scénographiques – une chambre spartiate à l'acte I, une petite structure métallique à l'acte II, avant un petit promontoire tout noir qui figure la grotte où s'est retiré Pagano en tant qu'ermite – est plutôt furtive et ne casse pas assez la monotonie des tableaux sans grands contrastes entre eux. Le décor ne change en effet que très peu entre la basilique Saint-Ambroise à Milan, la grotte, le harem, jusqu'à Jérusalem, évoquée tout de même à deux reprises par un plan de la ville descendu des cintres.

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Goderdzi Janelidze (Pagano), Matteo Roma (Arvino) et Salome Jicia (Giselda)
© ORW-Liège / J. Berger

Du point de vue vocal, c'est Salome Jicia qui domine les débats dans le rôle très difficile de Giselda. Issue du répertoire belcantiste (Rossini en tête), la soprano géorgienne gère avec musicalité et précision les redoutables intervalles de sa partie, comme la fulgurante strette du finale du deuxième acte. Sa prière de l'acte I « Salve Maria » est une pure beauté, aux notes suspendues sur de petites cordes et flûtes, mais la chanteuse montre cependant ses limites verdiennes par la suite, avec deux ou trois aigus un peu tirés.

Après quarante ans de carrière, Ramón Vargas (Oronte) a conservé sa clarté d'élocution et une agréable fraîcheur de timbre. Sa cavatine la plus connue de l'opéra (« La mia letizia infondere ») est joliment conduite sur le souffle, et la cabalette qui suit (« Come poteva un angelo ») est chantée avec goût. L'autre ténor Matteo Roma (Arvino) émet un volume modéré mais qui passe sans problème dans le théâtre liégeois, le timbre est ensoleillé et le son bien concentré dans le medium et l'aigu. Le Pagano de Goderdzi Janelidze est plus problématique ; la basse géorgienne dispose certes de beaux et généreux moyens mais l'intonation souffre d'approximations flagrantes. Son premier grand air de l'acte I (« Sciagurata ! hai tu creduto ») fait ainsi entendre une musicalité incertaine, qui s'améliorera quand même par la suite. Luca Dall'Amico apporte surtout de la robustesse au rôle secondaire de Pirro, tandis qu'Aurore Daubrun (Viclinda) et Caroline de Mahieu (Sofia) complètent avec bonheur la distribution.

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I Lombardi alla prima crociata à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© ORW-Liège / J. Berger

Grand chef verdien et habitué du Festival de Vérone, Daniel Oren insuffle aux artistes son énergie débordante, dans une gestique extrêmement démonstrative, cette débauche de mouvements faisant un peu la balance avec le statisme du plateau et constituant par instants un spectacle dans le spectacle. Le résultat musical est en tout cas de premier ordre, la partition étant servie avec des nuances fortement marquées, en particulier des attaques pleines de nerf. Originalité de la composition, les cinq bonnes minutes de solo de violon au sein de l'acte III, dignes des concertos les plus virtuoses, sont l'occasion de nous faire admirer la maîtrise du Konzertmeister Julien Eberhardt, l'instrumentiste venant à juste titre saluer avec l'équipe artistique au rideau final.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Royal de Wallonie-Liège.

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