La saison marseillaise 22/23 s’achève avec un titre majeur du grand opéra français, Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, mélange d’intrigue de couple aux amours contrariées et de vaste fresque historique sur fond de massacre de la Saint-Barthélemy. L’Opéra de Marseille participe ainsi courageusement à une certaine « Meyerbeer Renaissance » qu’on connaît ces dernières années, menée entre autres par plusieurs maisons d’opéra allemandes, ou encore le théâtre de La Monnaie de Bruxelles où le titre était à l’affiche il y a exactement un an. On retrouve d’ailleurs sur la scène phocéenne les deux principaux protagonistes distribués dans la capitale belge, soit Enea Scala en Raoul de Nangis et Karine Deshayes en Valentine.

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Les Huguenots à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

Le ténor italien nous semble avoir bien progressé dans sa qualité de français, hormis quelques sons nasaux, comme au cours de son air « Plus blanche que la blanche hermine », joliment accompagné par la viole d’amour dans ses premières mesures, avant une nette dégradation de l’intonation instrumentale. Le médium du chanteur a une couleur barytonale et même si quelques aigus ont tendance à se resserrer, il interprète un bouillonnant Raoul et fait preuve d’une remarquable endurance jusqu’au bout de ce rôle assez meurtrier vocalement. Depuis sa prise de rôle à La Monnaie, Karine Deshayes se montre à présent encore plus épanouie en Valentine : splendide pulpe vocale, diction soignée, voix expressive et puissante qui sait également faire passer l’émotion, comme dans son air de l’acte IV « Parmi les pleurs ».

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Les Huguenots à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

En Marguerite de Valois, la soprano roumaine Florina Ilie fait elle aussi apprécier une très belle prononciation du texte, elle conduit avec goût sa délicate cantilène de l'acte II « Ô beau pays de la Touraine », puis fait preuve de suffisamment d’agilité et de précision pour chanter sa cabalette particulièrement fleurie « À ce mot seul s’anime et renaît la nature », même si tous les suraigus n’y sont pas. La mezzo Éléonore Pancrazi endosse les habits du page Urbain avec du panache, un timbre frais et musical qui produit de généreuses extensions vers l’aigu dans son air d’entrée « Nobles seigneurs, salut ! », mais un peu moins confortable dans son rondeau de l'acte II « Non, non, non, vous n’avez jamais, je gage », aux intervalles vertigineux.

La distribution est pléthorique du côté masculin avec des rôles d’importance, à commencer par celui de Marcel, défendu par la basse particulièrement autoritaire Nicolas Courjal, au grave abyssal et à la puissance considérable sur certaines notes qu’il enfle. François Lis (Saint-Bris) est doté lui aussi de graves opulents de basse, mais la ligne vocale est sujette à certains petits temps faibles. Marc Barrard (Nevers) est quant à lui un baryton solidement timbré et donne de la présence à son personnage. Les rôles secondaires sont remarquablement tenus, signalons en particulier la voix sonore et claire du ténor Kaëlig Boché en Cossé.

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Les Huguenots à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

On connaissait jusqu’à présent le chef José Miguel Pérez-Sierra surtout dans le répertoire rossinien, étant au pupitre marseillais ces dernières saisons pour les deux titres La Donna del Lago et Armida. Sa lecture de l’opéra le plus connu de Meyerbeer est solidement architecturée et n’évoque pas spécialement Rossini, en démarrant par exemple plutôt lentement sur les premières mesures, pour amener rapidement de la grandeur au travers des cuivres éclatants. L’Orchestre de l’Opéra de Marseille donne le meilleur de lui-même, comme les pupitres de bois souvent très sollicités : la flûte, la clarinette ou le basson à qui la partition demande de temps à autre une grande virtuosité. Le chœur marseillais répond aussi présent, en nombre et meilleur pour sa partie masculine que féminine.

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Les Huguenots à l'Opéra de Marseille
© Christian Dresse

La mise en scène de Louis Désiré impressionne nettement moins. Si elle paraît parfois bien réglée pour le jeu des solistes et choristes, elle est en d’autres séquences très statique, à la limite d’une représentation de concert, dans les beaux costumes de Diego Méndez Casariego. Celui-ci est également chargé des décors, le plus souvent baignés dans les lumières à l’atmosphère sombre de Patrick Méeüs. Une grande table est installée au premier acte chez le comte de Nevers, revient ensuite à l'acte IV pour la Bénédiction des poignards, puis est renversée à l'acte suivant lors de la Saint-Barthélemy à Paris. Une paroi descend régulièrement des cintres, qui a l’avantage de resserrer l’action en avant-scène, et le même mécanisme scénique actionne deux surfaces verticales en plastique transparent, tâchées de sang.

Cette économie de moyens jure tout de même à l’acte II où la petite pelouse et les poufs en gazon ont du mal à nous amener dans les jardins du château de Chenonceau. Le verre d’eau que tient en main Marguerite nous fait aussi sourire quand elle chante la « verte fontaine » ou le « doux ruisseau » ! Heureusement, ce traitement visuel ne gâche pas notre pur plaisir auditif et les trois prochaines représentations sont hautement recommandables !

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