Depuis la résurrection de Grisélidis à la Biennale Massenet de Saint-Étienne en 1992, on ne comprend pas vraiment pourquoi cet opéra n’avait pas été rejoué depuis, tant cette partition est splendide. Par bonheur, l’œuvre du compositeur stéphanois est donnée ce soir en une représentation de concert dans la vaste salle du Corum de Montpellier, ceci en coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées (où un second concert est programmé le 4 juillet) et avec le Palazzetto Bru Zane (qui enregistre pour une future parution discographique).

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Vannina Santoni (Grisélidis)
© Marc Ginot

C’est bien d’un concert qu’il s’agit ce soir, sans aucune velléité de mise en espace, avec les micros présents au plus près des chanteurs et musiciens sur le plateau. L’intrigue de ce « conte lyrique » en un prologue et trois actes a un rapport avec celle de Faust, au travers du défi lancé au Diable par le Marquis, sûr de la fidélité de sa femme Grisélidis pendant son absence pour la Croisade… L’imprudent Marquis va même jusqu’à donner son anneau nuptial en gage au Diable ! Celui-ci usera de tous les stratagèmes pour arriver à ses fins, en particulier par le truchement du berger Alain, amoureux de son amie d’enfance Grisélidis. Mais la fin est heureuse quand le couple est réuni et l’enfant, précédemment enlevé par le Diable, ramené dans les bras de Sainte Agnès.

En tête de distribution, la soprano Vannina Santoni trouve en Grisélidis un rôle en totale adéquation avec ses moyens et le timbre opère une séduction immédiate, du grave bien exprimé jusqu’aux aigus aériens. Les moments de grâce de ce personnage à la limite du mystique – et régulièrement tenté par le Diable ! – sont nombreux, là où la voix flotte avec un petit vibrato lent, qui ajoute au frémissement, comme dans son air mélancolique « Il partit au printemps, voici venir l’automne ». Les passages plus soutenus, dont plusieurs duos ou ensembles, sont aussi bien rendus, avec énergie. Elle ne doit notamment pas flancher lors de ses confrontations avec le Diable, défendu ici par Tassis Christoyannis, le plus français des barytons grecs et qui assure, tout comme ses partenaires, une remarquable qualité de diction. Après son entrée à faire trembler les murs (« Monseigneur, me voilà ! »), on a tout de même affaire à un démon souvent comique et qui donne une couleur bouffe à la musique, par exemple en un rythme saccadé sur « Passez-vous du Diable, que diable ! ».

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Tassis Christoyannis (le Diable)
© Marc Ginot

L’autre baryton Thomas Dolié interprète de sa voix au grain noble le Marquis, figure généreuse qui s’oppose fermement à l’idée d’enfermer sa femme pendant sa longue absence dans sa touchante cantilène « Traiter en prisonnière Grisélidis ! », mais aussi inconséquente lorsqu’il fait son pari avec le Diable. Le volume est ferme, tout juste un peu diminué dans un extrême aigu qu’on sent par instants un peu plus fragile. Autre protagoniste, le berger et poète Alain est incarné par Julien Dran, ténor au son bien concentré qui déroule avec élégance ses jolis airs, en allégeant avec goût quelques notes très haut placées, en voix de tête. Son air qui débute le prologue « Ouvrez-vous sur mon front, portes du paradis ! » est enchanteur, celui d’un berger dans la nature, accompagné par la flûte et le cor. Par contraste, le duo – presque d’amour – avec Grisélidis en fin de deuxième acte revêt un caractère bien plus lyrique.

Suivante de Grisélidis, Bertrade bénéfice d’un long air « En Avignon, pays d’amour » à l’entame du premier acte, conduit par la mezzo Adèle Charvet, à l’instrument séduisant et musical. Antoinette Dennefeld fait preuve de caractère en Fiamina, la femme du Diable… dont celui-ci apprécie visiblement l’absence (« Loin de sa femme qu’on est bien ! »). Le duo entre les deux relève d’ailleurs de la scène de ménage, avant réconciliation pour mener à bien leurs noirs desseins.

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Jean-Marie Zeitouni
© Marc Ginot

Après Werther en 2021 à l’Opéra Comédie, le chef Jean-Marie Zeitouni confirme son inspiration et son talent pour diriger l’œuvre de Massenet. Sans doute pris par son enthousiasme, le volume est assez généreux sur scène, mais pas au point de mettre l’auditeur en inconfort vis-à-vis des voix des solistes. La partition est en tout cas une splendeur, pleine de richesses, de finesses, avec une orchestration qui tient constamment l’oreille sous son charme. Cette soirée constituant la fin des séances de captation audio, l’Orchestre national de Montpellier Occitanie assure une impeccable qualité : cordes moelleuses, admirable violon solo, bois expressifs, cuivres étincelants lorsqu’il le faut ! Très bien préparé par Noëlle Gény, le chœur chante en coulisses et dévoile son important effectif seulement lorsqu’il vient saluer en fin de représentation.

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Grisélidis au Corum de Montpellier
© Marc Ginot

L’attente sera peut-être un peu longue pour ceux qui souhaiteraient écouter cet opus, de la meilleure musique du compositeur, la parution en livre-CD étant prévue pour l’automne 2024… Alors n’hésitez pas à vous rendre au Théâtre des Champs-Élysées le 4 juillet !


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie.

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