A Lausanne, une Norma surprenante  

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Pour achever sa saison 2022-2023, l’Opéra de Lausanne affiche Norma, le chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini. Son directeur, Eric Vigié, en confie la production à Stefano Poda qui assume à la fois mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie en collaborant avec Paolo Giani Cei. Pour une Note d’intention figurant dans le programme, il écrit : « Norma est le monde du rêve et du cauchemar, de l’inconscient, de l’esprit. C’est l’occasion parfaite pour épurer ma mise en scène, pour offrir aux spectateurs un véritable instrument optique qui ne montre pas forcément la vie des Gaules et des Romains, mais aussi le monde interne de chacun de nous ».

A l’instar de ses précédentes relectures des Contes d’Hoffmann et d’Alcina, Stefano Poda délimite l’espace scénique par de vastes parois vitrées permettant les jeux subtils d’éclairage, alors que descend des cintres un gigantesque peuplier porteur du gui sacré dont les racines énormes semblent vouloir écraser le peuple gaulois engoncé dans de blanches houppelandes et les quelques uniformes noirs portés par le proconsul romain Pollione et ses hommes de main. Tandis qu’apparaît un immense disque lunaire élevé par de mystérieuses mains, Norma, vêtue de rouge vif, officie en déroulant le sublime « Casta diva » puis s’immerge dans le souvenir des jours heureux au moment où, dans un « Ah bello, a me ritorna » suggéré par le rêve, lui apparaît Pollione auquel elle s’unit avec une dévorante passion. Le second tableau présente une Adalgisa drapée de noir, considérant une maquette du Panthéon qui s’agrandira en arrière-plan quand la rejoindra le consul imposant la toute-puissance romaine. Des entrailles de la terre surgiront, en un cube exigu, les deux enfants nés de l’union de la grande-prêtresse et du parjure, vivant dans un monde clos et jouant au lego avec les lettres de toutes tailles composant le nom NORMA. Mais que leur constante agitation devient dérangeante durant le magnifique « Mira, o Norma » où ils édifient les mots AMOR et ROMA ! Un gong lumineux déclenchera l’incitation à exterminer l’envahisseur, tandis que le sang inondera les vitres. Le dénouement laissera en coulisse le bûcher sacrificiel mais fera émerger la sphère bleue de la rédemption vers laquelle s’achemineront les deux amants purifiés, tenant par la main leurs deux fils.

 

Face à ce spectacle aussi saisissant que déconcertant, Diego Fasolis dirige l’Orchestre de Chambre de Lausanne avec la louable précision et l’indomptable fougue qu’on lui connaît depuis une bonne douzaine d’années. Il a l’art d’équilibrer le rapport fosse-plateau en ne ‘couvrant’ jamais les solistes et le Chœur de l’Opéra de Lausanne remarquablement préparé par le maestro apulien Donato Sivio.

Sur le plateau lausannois, paraît pour la première fois Francesca Dotto, native de Treviso, qui, à trente-six ans, affronte Norma en ayant à son répertoire Violetta, Fiordiligi, Donna Anna, Lucrezia Borgia, Anna Bolena et Luisa Miller. Son soprano lirico a un grain sombre légèrement guttural qu’elle enrichit d’un phrasé policé lui permettant de diminuer le son sur toute volatina descendante et de livrer les tratti di furore de « Ah non tremar, o perfido » et de « Tutti i Romani, a cento a cento » avec une coloratura correcte sans être incandescente. Mais depuis le duetto « Qual cor tradisti », sa scène finale touche au sublime. Sous les traits d’Adalgisa, Lucia Cirillo lui donne une réplique tout aussi gutturale avec une sonorité presque identique à celle de Norma, privant d’onctuosité les extatiques « O rimembranza ! » et « Mira, o Norma ». Mais elle a pour atout majeur la crédibilité de son personnage éperdument épris d’un fieffé séducteur. Paolo Fanale en a la stature éclatante, conférant au proconsul le métal cuivré du timbre, la sûreté de l’aigu et l’énonciation incisive du declamato. Par la couleur noire d’un Hunding, d’un Fasolt, d’un König Marke, Nicolai Elsberg n’a aucune peine à camper un Oroveso taillé à coups de serpe, davantage chef des druides péremptoire que père compatissant. Eléonore Gagey et Jean Miannay assument correctement les seconds rôles de Clotilde, la suivante de Norma et de Flavio, le confident de Pollione. Et lorsque le rideau tombe, le public conquis, qui n’a pas laissé libre le moindre strapontin, acclame longuement les artisans de cette indéniable réussite.

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 4 juin 2023

Crédits photographiques : Jean Guy Python

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