A Marseille, des Huguenots très en voix

- Publié le 14 juin 2023 à 12:01
Dans le spectacle plutôt intimiste conçu par Louis Désiré, triomphe une distribution de haut vol soutenue par la direction musicale de José Miguel Pérez-Sierra, qui allume le volcan du grand opéra.
Les Huguenots de Meyerbeer

A Bruxelles, en 2011, Olivier Py et son décorateur Pierre-André Weitz ressuscitaient les fastes du grand opéra historique, A Marseille, Louis Désiré et Diego Méndez-Casariego privilégient la concentration et l’économie des moyens. Rien d’autre que quelques accessoires sur une scène plongée dans la pénombre, avec un rideau taché du sang des massacres : Les Huguenots deviennent ici un long nocturne, où catholiques et protestants ne se distinguent guère, comme absorbés par les mêmes ténèbres.

Malgré les grands ensembles, la lecture de Louis Désiré est plutôt intimiste, rebelle au spectaculaire historiciste. Elle suit fidèlement l’histoire à travers une production très classique, au souffle un peu court eu égard aux enjeux de l’œuvre, avec une direction d’acteurs plus efficace qu’inventive alors qu’elle devrait créer une insoutenable tension. Mais si l’on attendait davantage de folie dans la mise à nu de l’amour et de la haine, on ne niera pas la probité de l’artisanat : tout cela fonctionne.

Le bruit et la fureur

Bien connu comme rossinien, José Miguel Pérez-Sierra dirige la quasi-intégralité de la partition – légitimes coupures dans le ballet du III, néanmoins. Sans éviter quelques désordres entre le chœur et l’orchestre, le chef a compris que l’opéra de Meyerbeer est plein de bruit et de fureur, mais aussi de savantes recherches coloristes. C’est la fosse, plus que la scène, qui allume le volcan du grand opéra, soutenant une distribution de haut vol.

Certes plus à l’aise en terres rossiniennes, Enea Scala, un rien nasal, sacrifie souvent la douceur à la vaillance. Il peine à nuancer vraiment « la blanche hermine », où il chante parfois un peu bas, et oubliant que le célèbre « Tu l’as dit » ne se doit pas émettre en force – il ignore d’ailleurs la voix mixte appuyée. Du moins a-t-il l’héroïsme de Raoul, d’une énergie désespérée pour « Courons aux armes ». Un John Osborn ou un Michael Spyres, néanmoins, auraient été mieux assortis à la superbe Valentine de Karine Deshayes. Même un rien durcie, toujours plus modeste à partir du bas médium, la voix reste somptueuse, en particulier dans la quinte aiguë, subtilement colorée pour « Parmi les pleurs », dramatiquement tendue pour les élans exaltés de la conversion, où se conserve la noblesse du phrasé.

Vraie basse profonde

C’est le Marcel de Nicolas Courjal qui les marie, la vraie basse profonde du rôle, capable de descendre jusqu’au contre- grave, plus bas que ce qu’exige Meyerbeer. Le timbre rocailleux est celui du vieux reître illuminé, à la fois rugueux et paternel, modèle de déclamation syllabique dans le célèbre « Pif, paf » et la bénédiction nuptiale, où il n’escamote pas les trilles sur les notes graves. Il n’en inscrit pas moins les mots à l’intérieur d’une ligne soutenue.

Sans rajouter de suraigus, la Marguerite de Florina Ilie, dont le soprano léger a de la pulpe, séduit par le perlé des vocalises, l’élégance du phrasé et un brio qui n’est pas pure démonstration. Même si la voix pourrait être plus ronde, Eléonore Pancrazi campe un page sémillant et finement délié, jusque dans le « Non, vous n’avez jamais », si redoutable par ses écarts, où elle manque juste d’une pointe de grave.

Voilà des décennies que Marc Barrard s’identifie à la noblesse de Nevers, joyeux luron puis figure tragique, alors que François Lis a le fanatisme de Saint-Bris chevillé à une voix dont la noirceur pâlit un peu en haut de la tessiture, au cœur d’une bénédiction des poignards qui fait froid dans le dos. Est-ce une « nuit des sept étoiles », comme à la création en 1836 ? Même si l’on a cherché en vain en Enea Scala le fantôme d’Adolphe Nourrit, voilà en tout cas des Huguenots très en voix, avec des rôles secondaires à l’unisson.      

Les Huguenots de Meyerbeer. Marseille, Opéra, le 11 juin.

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