Au Théâtre des Champs-Elysées, une Bohème sans un pli

- Publié le 20 juin 2023 à 11:56
Eric Ruf met en scène avec goût le chef-d’œuvre de Puccini. Sous la direction musicale de Lorenzo Passerini, le Rodolfo de Pene Pati domine un plateau uni dans l’excellence.
La Bohème de Puccini

On pouvait s’en douter : La Bohème vue par Eric Ruf se situe à plusieurs années lumière de celle reprise récemment à Bastille, que Claus Guth envoie sur la lune, au temps de la conquête spatiale. Le spectacle conçu par l’administrateur de la Comédie-Française n’est cependant pas sans parti pris, adoptant le procédé éprouvé du théâtre dans le théâtre. Ainsi, la représentation commence-t-elle devant un rideau de scène, auquel le peintre Marcello donne les derniers coups de pinceau – cette Mer rouge a donc des reflets de velours. Le trou du souffleur servira de poêle pour se réchauffer, et c’est en actionnant le jeu d’orgues que Rodolfo rallumera la chandelle de Mimi.

Si, aux deux tableaux suivants, on verra davantage son envers que le décor lui-même, avant que le quatrième ne nous ramène devant le rideau, Ruf peine à éclairer le sens de cette mise en abyme. Rodolfo et ses acolytes sont-ils des régisseurs ? Mimi une habilleuse ? Leur histoire une morbide illusion théâtrale ? On ne sait trop, tout en succombant à l’acuité de la direction d’acteurs, à la fluidité des enchaînements, au soin porté à chaque détail visuel, costumes de Christian Lacroix compris, auxquels ne manquent ni un bouton ni un volant d’étoffe – mais l’imposante robe écarlate que porte Mimi, quand elle revient de sa vie de demi-mondaine, a tendance a entraver ses mouvements. De la belle ouvrage, en somme, qui sous l’apparence de la tradition révèle beaucoup de finesse dans la peinture des caractères.

Noirs nuages de la tragédie

On peut préférer, pour exalter les sortilèges pucciniens, une pâte un peu plus somptueuse que celle de l’Orchestre national de France, conduit par Lorenzo Passerini avec rigueur, mais aussi, dans les scènes de comédie du I, un léger déficit d’étincelles. Cette lecture trouve mieux sont rythme de croisière au II, gagné par une saine animation, avant de se tendre comme un arc, faisant peser sur les ultimes tableaux les noirs nuages de la tragédie.

Parmi les petits rôles excellemment distribués, Marc Labonette montre un abattage monumental dans le double emploi de Benoît et Alcindoro, alors que Francesco Salvadori (Schaunard) et Guilhem Worms (Colline) rivalisent de vivacité, dans le chant comme dans les mots, et de grave mansuétude. Ogre de bonté, campé sur une triple épaisseur de legato, Alexandre Duhamel offre à Marcello une consistance peu commune. Et malgré une voix sans beaucoup de pulpe, Amina Edris accomplit des miracles, faisant tourner la valse de Musette avec une insolente sensualité, une ligne dont les courbes s’ajustent toujours aux nuances du texte.

Le soprano de Selene Zanetti, lui, ne manque ni de chair ni de souffle, embrumé avec pudeur par les larmes de Mimi, se coulant à merveille dans ses longues phrases, que perturbent cependant une légère tendance détonner. Triomphe donc surtout le Rodolfo de Pene Pati : timbre tout en gourmandise, émission sans effort, cantabile inépuisable, sentiment toujours juste, générosité du chanteur autant que du comédien. On rêve ou ce sont les mânes de Pavarotti qui planent sur l’avenue Montaigne ?

La Bohème de Puccini. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 19 juin. Représentations jusqu’au 24 juin.

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