Au Théâtre des Champs-Élysées, Fausto sort d’un long silence

- Publié le 21 juin 2023 à 17:05
A l’issue d’une collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, Christophe Rousset et les Talens lyriques recréent en version de concert le troisième opéra de Louise Bertin (1805-1877), près de deux siècles après son passage éclair au Théâtre-Italien. Belle occasion de plonger, en dépit de conditions un peu difficiles, dans un univers musical dense et original.
Fausto de Louise Bertin

Dès sa publication, en 1808, le Faust de Goethe fascine et le jeune romantisme musical s’en empare très vite, des miniatures avec ou sans paroles aux partitions plus importantes. En 1831, cinq ans après son Ultima scena di Fausto, la compositrice Louise Bertin renoue – peut-être ne l’a-t-elle jamais quitté, la genèse de l’opéra demeure inconnue – avec l’univers goethéen pour Fausto, créé au Théâtre-Italien de Paris le 7 mars 1831, en présence de la reine. Déprogrammé après trois représentations, malgré des critiques dans l’ensemble encourageantes, l’opéra ne sera jamais rejoué.

Sensibilité et originalité

L’originalité est de mise dans cette œuvre qui, initialement prévue en mars 1830, dut attendre une année pour voir le jour. Dans la distribution, d’abord : le rôle-titre était destiné à une mezzo-soprano, en l’occurence Rosmunda Pisaroni ; mais le refus de celle-ci conduisit la compositrice à le réécrire pour un ténor. Dans la musique ensuite : dès l’ouverture, particulièrement réussie, harmonies et orchestration frappent par leurs particularismes. Chromatismes, relations hardies – dans lesquelles le critique de la Revue musicale ne voulut voir que des « incorrections, des étrangetés qui dénotent de la négligence, de la précipitation » – campent un paysage suggestif, les fréquentes ruptures de rythme et de tempo ajoutant à l’efficacité dramatique. L’instrumentation de cette jeune créatrice de 26 ans élève de Fétis et Reicha joue la couleur, faisant la part belle aux cuivres (« l’ira del ciel » [III] avec trombones), aux bois (« O sguardi, o parole ! » [II] avec hautbois) et aux percussions, jusqu’à l’ultime ponctuation du drame, aussi violente qu’inattendue. Quant à l’écriture vocale, elle épouse la prosodie avec aisance, puisant à la pure expressivité sans fioritures superflues, empruntant même parfois au recto tono (« Qual turbamento ignoto » [I], annonce de la décollation de Margarita [IV]). Si quelques longueurs se font parfois sentir – surtout dans l’acte II –, des moments de pure grâce (ouverture, fin du I et « pacte », début du III entre Margarita et des commères ici assez inégales, finale du IV en sections contrastées) témoignent d’une pensée à la fois sensible et heureusement singulière.

Mefisto dominant

Sur scène, c’est le méchant qui gagne. Ante Jerkunica campe un Mefisto extraordinaire de diversité, dont le sens dramatique fait merveille. Formidablement démoniaque, il séduit aussi dans la gouaille : son air bouffe façon catalogue (« Un amico mio diletto ») est pur délice. Malgré des graves menus et des aigus quelque peu tendus, le Fausto de Karine Deshayes (rendu à sa tessiture d’origine, donc) est bellement éloquent, entre désespoir et amour. Face à ce couple dominant-dominé, Karina Gauvin échoue à convaincre en Margarita, tentant en vain de camoufler une évidente méforme – le spectacle suit une dense session d’enregistrement – par un excès de manières. Timbre élégant, aigus faciles font de Nico Darmanin un excellent Valentino. Diana Axentii et, surtout, Thibault de Damas complètent joliment la distribution. Le Chœur de la Radio Flamande tour à tour démoniaque et angélique joue parfaitement son rôle de commentateur. Accusant sans doute aussi quelque peu la fatigue, pâtissant surtout de l’acoustique du lieu, les Talens Lyriques manquent parfois un peu des contrastes et des reliefs si riches de la partition, malgré la direction souple et attentive de Christophe Rousset. Il faudra donc attendre le disque pour prendre la pleine mesure de ce Fausto prometteur.

Fausto, de Louise Bertin. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin.

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