Richard Wagner (1813–1883)
Die Walküre (1870)
Der Ring des Nibelungen
Ein Bühnenfestspiel für drei Tage und einen Vorabend
Première journée.
Création le 26 juin 1870, au Nationaltheater de Munich (Königliches Hof- und Nationaltheater, )
Création au Festival de Bayreuth le 14 août 1876

Direction musicale Thomas Guggeis
Mise en scène et scénographie Dmitri Tcherniakov
Costumes Elena Zaytseva
Lumières Gleb Filshtinsky
Vidéo Alexey Poluboyarinov
Dramaturgie Tatiana Werestchagina , Christoph Lang

Siegmund Robert Watson
Sieglinde Vida Miknevičiūtė
Hunding Mika Kares
Wotan Michael Volle
Brünnhilde Anja Kampe
Fricka Claudia Mahnke
Gerhilde Clara Nadeshdin
Helmwige Christiane Kohl
Waltraute Michal Doron
Schwertleite Alexandra Ionis
Ortlinde Anett Fritsch
Siegrune Natalia Skrycka
Grimgerde Anna Lapkovskaja
Rossweisse Kristina Stanek

Staatskapelle Berlin

Berlin, Staatsoper unter den Linden, mercredi 5 avril 2023 a, 16h

Dans l’économie du Ring, Die Walküre a un statut spécial, c’est au niveau dramaturgique le moins ouvert, car c’est l’œuvre qu’on représente le plus indépendamment des autres. C’est pourtant une œuvre faite de longs monologues et de dialogues, à deux ou trois, jamais plus, avec peu de personnages et donc a priori des ingrédients qui pourraient rebuter le spectateur.
Mais il y a la chevauchée des Walkyries , un cheval de bataille (sans mauvais jeu de mots) des must wagnériens, plus connue d’ailleurs par sa version orchestrale que sa version vocale et la scène finale de
l’incantation du feu, occasion d’images sublimes faites de flammes et de fumées dans la plupart des productions. Le Ring de Chéreau a d’ailleurs souvent été réduit à cette image, qui fait la plupart du temps la couverture des livres qui lui sont consacrés ou la principale illustration des articles.
De tout cela Tcherniakov est évidemment conscient, et propose des scènes conçues comme une succession d’îlots, qui semblent indépendants les uns des autres, isolés dans l’espace vide d’un décor dont la profusion a disparu, mais qui montre un nouvel espace du centre, vu à travers une vitre qui était restée close dans
Rheingold.
De
Rheingold d’ailleurs l’utilisation d’espaces déjà connus est pleine de sens, notamment aux deuxième et troisième actes. Et ce jeu d’échos est particulièrement parlant dans la mise en scène car il se répètera. Walküre tisse de nouveaux fils et Dmitri Tcherniakov, dans une œuvre qui donne tant d’importance aux individus va pouvoir travailler au microscope le jeu des acteurs :  de ce point de vue, c’est un sommet.

Sieglinde dans l'hallucination du combat (Acte II) (Vida Miknevičiūtė)

Un nouveau rapport à l’espace
Dans ce travail où le rapport de l’individu à l’espace est essentiel, et où le regard sur l’espace donne sens à l’évolution de l’histoire, rappelons d’abord la manière dont Rheingold offrait une vision syncrétique d’un monde hyperactif, j’avais appelé cela une ruche, qui nécessitait scéniquement nombre de figurants.
Dans Die Walküre, les figurants ont disparu, la ruche semble morte, comme atteinte par un pesticide nommé malédiction, et Wotan apparaît singulièrement isolé, même si dans son costume vert trois pièces, ses cheveux gris, il a quelque chose de plus patriarcal que dans Rheingold. Mais c’est un patriarche sans entourage, sans descendance, c’est-à-dire presque un non-sens.
Néanmoins, nous restons dans le cadre d’expériences de laboratoire, moins affichées au départ et singulièrement inspirées par la fortune des émissions de télé-réalité de type Big-brother ou Loft-story, qui est aussi une manière d’en dénoncer la philosophie, donnant en spectacle les fêlures de l’humanité, des humains réunis comme des cobayes dans un espace clos que l’on fait réagir presque chimiquement. Mais l’expérience de laboratoire est solitaire, plus de chercheuses affairées, plus d’employés, plus d’indications « Stresslabor ». C’est du jardin secret de Wotan qu’il s’agit. Et d’ailleurs l’appartement témoin n’est vu que du bureau de Wotan, signe d’une expérience tout à fait privée
Alors Tcherniakov va utiliser l’espace vide, l’espace hors champs, rapporté par la vidéo, où l’on va trouver « dans le vaste monde » hors E.S.C.H.E un Siegmund criminel, poursuivi et recherché pour le projeter dans celui voulu par Wotan.
Ensuite, on découvre, lié au bureau de Wotan cette fois-ci isolé, sans lien de corridors à d’autres pièces du Centre E.S.C.H.E, cet appartement-témoin aux cloisons translucides, où l’on voit tout, qui est la demeure de Sieglinde et Hunding, dans le style des appartements des émissions citées ci-dessus, avec chambre à coucher, living (table, chaises, divan), cuisine et salle de bain, sorte d’appartement modèle de séries américaines, qui offre l’essentiel du confort. Ce cadre dépasse largement celui du premier acte, car il va être utilisé au deuxième, y compris par Wotan et Fricka, y compris par Wotan et Brünnhilde. C’est un cadre de l’intimité, des échanges rapprochés, bien plus fort que le bureau de Wotan ou une quelconque salle de réunion (qui n’apparaît pas dans Walküre d’ailleurs).

La scène Brünnhilde/Wotan se déroule dans cet appartement au moment même où fuient les deux amants, comme celle qui suit entre Wotan et Fricka même si elle commence dans le bureau de Wotan, on verra dans quelles conditions.
Le monologue de Wotan face à Brünnhilde  se déroule essentiellement dans l’appartement modèle des amants, et les scènes suivantes (fuite des amants, annonce de la mort duel et mort de Siegmund) sont sotuées à la fois dans l’étage où les cobayes sont en cage et l’espace déserté où dans Rheingold était situé Nibelheim…
Enfin, tout le troisième acte retrouve en décor unique la salle de conférences qui ouvrait Rheingold et où se retrouvent les Walkyries.
On reverra cet appartement-témoin dans les autres journées, il deviendra même l’un des décors essentiels au drame et Tcherniakov inscrit pour le reste les autres scènes dans des espaces déjà connus du spectateur, mais qui changent de sens selon ce qui y est représenté.

Cette relation à l’espace est un enjeu essentiel, et en même temps ce qui est clairement mis à l’épreuve, c’est Wotan, spectateur des expériences successives et de leur échec… qui semble ici expérimenter quelque chose de secret entre lui et Brünnhilde, comme pour déjouer les prévisions d’Erda (dont la robe est suspendue à la vue de tous, sinistre présage, dans la penderie de la chambre à coucher au premier acte).

Nous avons déjà évoqué le rapport à l’espace comme un élément fondateur du travail de Tcherniakov, plus coutumier de l’espace unique à légères transformations que de changements incessants de décor. Or, il est évident que chaque changement de décor n’est pas seulement une image nouvelle, mais un sens nouveau, qui pèse sur le discours proposé au spectateur.
Au centre de l’œuvre et dès la première image, Wotan, d’abord observateur muet.

Acte I
Les premiers moments du premier acte, dès le prélude, en présentent les données.

  • D’abord un criminel qui s’est échappé durant son transfert et qui est recherché, signe particulier, une tache de cheveux blancs… (vidéo). Tcherniakov a employé le même subterfuge pour son Orest de l’Elektra hambourgeoise dont nous avons rendu compte. Il s’agit de placer des êtres a priori inconnus l’un à l’autre ensemble et de voir quelle alchimie en naît.
  • Le rideau se lève ensuite sur un focus montrant Wotan dans son bureau, un Wotan qui a troqué son costume marron beige et ses cheveux très noirs traversés par sa mèche blanche pour un complet trois pièces vert et des cheveux désormais grisonnants, car le temps avance. En arrière-plan une vitre qui s’ouvre sur une femme qui se coiffe dans un appartement. Wotan se retourne et la regarde.
  • La perspective s’élargit et le rideau s’ouvre laissant apparaître la pièce isolée dans l’espace où se trouve Wotan, à laquelle est attaché un squelette d’appartement, où l’on peut tout voir, séparé du bureau de Wotan par une vitre sans tain : Wotan a tout conçu et regarde tout. La structure pivote, mettant l’appartement au premier plan, (chambre à coucher, salon, cuisine salle de bain) où la femme (Sieglinde) continue de coiffer ses longs cheveux blonds, avec toute la symbolique de la chevelure dénouée, moment d’intimité et de discret érotisme (voir par exemple les poèmes de Baudelaire, voir aussi Mélisande). C’est suffisamment suggestif pour qu’à l’arrivée de Hunding, Sieglinde noue ses cheveux et les relève rapidement. La femme surprise dans son intimité se voit aussi à ses pantoufles à pompon.

C’est à ce moment que survient Siegmund, en parka encapuchonné, dissimulé et les premiers moments sont une sorte de timide danse d’observation avec des regards furtifs, des menus gestes, puis des regards plus appuyés jusqu’à ce que Siegmund ôte sa capuche. Fascinant travail sur les mouvements esquissés ou non qui peu à peu prennent sens. Tcherniakov excelle dans les trouvailles de gestes esquissés, de regards échangés lourds de sens : c’est de la microdirection scénique, étonnante. Il ne s’agit pas forcément de jumeaux, mais d’êtres perdus, l’un fugitif dans le monde extérieur, l’autre une fugitive de l’intérieur qui se reconnaissent l’un l’autre comme perdus.

Siegmund (Robert Watson), Sieglinde (Vida Miknevičiūtė )

Après ce début très contextualisé, ce premier acte ne diffère pas particulièrement de ce que nous avons l’habitude de voir. Tcherniakov installe les protagonistes, construit les alchimies au millimètre, mais sans jamais changer le sens profond du livret, une rencontre (pas si) fortuite d’un fugitif et d’une ménagère isolée et marginalisée, sous le regard dissimulé de celui qui a conçu l’expérience, Wotan.
Hunding, un peu comme chez Valentin Schwarz, est un gardien de sécurité et très consciemment Tcherniakov en fait un succédané de policier soviétique, gabardine, uniforme, casquette, raideur, chevelure rasée sur les côtés, plus fournie au sommet de la tête, raie bien dessinée, moustache : rien n’est dit, rien n’est caricatural mais l’image suggère : cela suffit au spectateur pour identifier les fonctions. Tout est ordonné, méticuleux et froid dans ce Hunding qui n’est pas le chef de bande de Chéreau, pas le boucher sauvage (porteur d’un quartier de viande) de Grüber, ni l’assassin coupeur de têtes de Castorf. Il est tout propre et ripoliné sur lui, mais c’est le maître dominateur de sa femme objet sexuel immédiat, sous les yeux de Siegmund. La femme cobaye de Wotan l’est aussi de Hunding.

Siegmund (Robert Watson), Sieglinde (Vida Miknevičiūtė ), Hunding (Mika Kares)

Comme dans la plupart des mises en scène, Sieglinde met la table pour les hommes, chacun à un bout, et les sert, il y a les hommes au premier plan, et en arrière la femme. Mais Tcherniakov introduit des détails qui font sens, quand Siegmund explique d’où il vient, et que de son côté Hunding nettoie son arme avec un soin maniaque, il apparaît comme le méticuleux représentant d’un ordre face à un Siegmund clairement (tenue, habit) marginal ; d’ailleurs, avant d’aller se coucher, il met les menottes à Siegmund pour mieux le tenir le lendemain. Ambiance policière. Hunding a eu vent de ce criminel qui s’est échappé et le tient.

Les cobayes perdus : Robert Watson (Siegmund), Vida Miknevičiūtė(Sieglinde)

Tout le travail consiste à partir d’une scrupuleuse attention au livret, d’en éclairer les enjeux par un travail sur l’acteur d’une précision rarement atteinte depuis Chéreau. Toute la mise en scène est construite sur les effets d’une situation inopinée sur les individus, c’est-à-dire sur l’objet même de la recherche de ce centre E.S.C.H.E et cette fois-ci l’introduction d’un criminel dans l’ordre établi d’une famille « ordinaire », le chien dans un jeu de quilles …

Et malgré toute ce contexte redessiné, l’épée Nothung est là, sorte de gage nécessaire, fichée dans le mur du E.S.C.H.E, évidemment au-dessus du bureau de Wotan, signe où n’y a évidemment aucun hasard. Le regard de Wotan de son bureau observe tout et a pris soin de ficher l’épée au-dessus. Il donne une arme au criminel échappé et désarmé, pour voir, comme au bridge. D’ailleurs Siegmund l’agite d’une manière presque trop affichée, trop expansive pour que ce ne soit pas ironique : sans Nothung, la scène serait la même, le couple fuirait de la même manière.

Autre élément nouveau et pas souvent abordé dans les mises en scène, la question du temps et de son évolution, mais aussi de ses chevauchements temporels. Nous l’avons déjà dit et le répéterons, ce Ring est construit sur un fil chronologique continu avec un vieillissement des principaux personnages, notamment Wotan et Alberich, faisant de Rheingold une sorte de première journée-prologue et c’est une donnée nouvelle. Dans la plupart des mises en scènes, les héros ne vieillissent pas. Le temps n’a pas de prise au Royaume de l’Éternité. Le Royaume de Tcherniakov est celui de la finitude inscrite dès le premier épisode, une finitude vers laquelle on glisse insensiblement d’échec en échec. Mais cette finitude vient évidemment du livret, qui l’inscrit dès Rheingold et la développe de journée en journée. Qu’il y ait vieillissement ou non ne change rien… ou mieux, le vieillissement annonce de lui-même que tout rapproche de la fin, c’est un signe, un indicateur de l’impasse initiale énoncée par le livret.
Dans Die Walküre, les personnages de la « génération Rheingold » apparaissent déjà vieillissants (Fricka, Wotan) , tandis qu’apparaissent ceux de la « génération Brünnhilde », prêts à se jeter dans le futur.

 

Acte II

Début de l'acte II : Wotan (Michael Volle), Brünnhilde (Anja Kampe)

Une autre manière de gérer le temps très inattendue apparaît au deuxième acte, dont le prélude est l’exact prolongement du premier, où Siegmund et Sieglinde préparent rapidement la fuite en emportant quelques affaires (et toutes ses robes) dans un très gros sac plastique de type de ceux qu’on voit souvent portés par des exilés en errance. Ils fuient en effet l’appartement au moment-même où Wotan et Brünnhilde arrivent, impatients, à peine les amants en fuite, de fêter la réussite de l’opération.
Tcherniakov met le doigt sur une donnée rarement prise en compte qui est la relation temporelle entre une scène et une autre, un acte et un autre, et même un opéra et un autre. C’est clair entre Walküre et Siegfried, mais bien moins entre Siegfried et Götterdämmerung par exemple.

 

L’impatience et la joie aboutissent à fêter ça au champagne, bulles et Hojotoho et comme on a désormais pris l’habitude, Wotan boit, beaucoup de champagne, mais aussi du Whisky ou de la vodka : Tcherniakov en fait un personnage qui tient par l’alcool. Ils fêtent ça dans l’appartement témoin, avec Hunding endormi dans la chambre, investissant le champ de l’expérience comme si tout était réglé désormais.

Fricka : La victoire du conservatisme.
L’arrivée de Fricka, flanquée d’un gros sac à main de cuir, toujours aussi peu élégante et un peu plus « matrone » casse l’ambiance.
Dans tout cela, s’il y a un contexte particulier et des personnages « modernisés » il n'y a aucune trahison du sens du livret de Wagner, dont la profondeur est mise au contraire en valeur par le jeu et les mouvements.

Ainsi de la scène entre Wotan et Fricka, qui commence dans le bureau de Wotan. Wotan le rejoint en laissant Brünnhilde et Fricka l’y attend déjà, signe évidemment inquiétant. Comme toujours (voir Rheingold) quand il est agacé, Wotan farfouille nerveusement dans ses papiers, puis offre à boire du thé à Fricka (qu’elle refuse d’un geste évasif) pendant qu’il avale compulsivement du whisky. De son côté Fricka aussi fouille nerveusement dans son sac sans y trouver ce qu’elle cherche (ah, ces sacs de femme !), à mesure que la discussion s’anime sur le thème des deux amants.

Wotan sait qu’il y a un enjeu politique à cette rencontre et au départ feint la légèreté et la moquerie ; Fricka semble ne pas avoir le dessus : c’est un peu une reproduction en modèle réduit de ce qui va se passer au dernier acte face à Brünnhilde, manière d’affirmer l’autorité mâle et d’éliminer (ou feindre de…) les oppositions d’un revers de main. Et cette Fricka montre par son obstination et son insistance qu’elle ne lâchera rien. Wotan entre papiers à ranger et tasse de thé à offrir ne cesse de gérer sa nervosité. Mahnke garde au départ une tenue digne, le chant est presque persifleur, mais c’est l’évocation des jumeaux, de leur fuite et de la trahison du mariage avec Hunding et surtout de l’inceste qui la met en fureur, ainsi que du futur fruit de cet amour (les dieux sont omniscients) qui donne du mouvement et les deux se retrouvent dans l’appartement-témoin, le lieu du délit qui renforce la tension pendant que Hunding dort encore.

Wotan (Michael Volle), Fricka (Claudia Mahnke)

C’est une « scène de ménage » qui finit presque en violence au climax de l’échange, et qui se poursuit devant l’appartement.

C’est alors que, détail croustillant, Hunding qui dormait se réveille, s’habille, prend son pistolet, se chausse et sort. Dramaturgiquement, cela signifie que Fricka n’a pas attendu la plainte de Hunding pour intervenir auprès de Wotan (au contraire de la mise en scène de Valentin Schwarz, par exemple) et que son intervention est exactement concomitante à la fuite des amants. Fricka manœuvre et joue son jeu. En quelque sorte elle ment tout autant que Wotan.
Ce que montre Tcherniakov dans cette discussion en suivant scrupuleusement le texte de Wagner c’est qu’elle a une dimension « personnelle », un couple se déchire, et une dimension idéologique et politique qui montre que Die Walküre est un basculement définitif. Wotan finit par ne plus mentir à Fricka, annoncer son programme et surtout faire entendre que la solution ne viendra pas des Dieux, mais d’hommes libres, de mortels. Ce que Brünnhilde finira par embrasser. Il annonce la fin du pouvoir divin.
Face à lui, Fricka est une « conservatrice » dirait-on aujourd’hui, elle défend l’ordre établi et surtout la juste hiérarchie, les Dieux immortels et tout-puissants règlent les affaires du monde et les mortels sont des esclaves. Ici, il n’est pas question de laisser des cobayes libres de vivre leur vie…C’est-à-dire en gros le programme politique du Walhalla, conquis de haute lutte et avec les trahisons nécessaires dans Rheingold. C’est-à-dire le programme officiel de Wotan contre lequel il ne peut officiellement se dédire, sauf à précipiter la fin des Dieux. Le dilemme pour lui n’est pas survivre ou finir, mais finir immédiatement ou plus tard, et donc de toute manière finir. Das Ende, toujours das Ende.
On ne verra plus Fricka dans le Ring, car le reste du Ring est une tentative de nouveau monde et Fricka représente l’ancien. Tout le tragique de cette scène, c’est que Wotan est contraint politiquement d’accepter l’obéir à Fricka, pour sauver la face des Dieux, pour afficher l’ordre officiel, tout en sachant qu’il en précipite la fin. C’est pourquoi Fricka soumet à Wotan dans cette mise en scène une sorte de traité à signer, un traité de sauvegarde, une garantie, qui est en même temps pour Wotan humiliation et condamnation. Paradoxalement, le savant Wotan du centre E.S.C.H.E sauve officiellement le centre, en sachant que toutes ses recherches ont échoué. Dans Siegfried, le centre est à peu près vide et Wotan seul.
Ainsi, de lieu de la joie puis de la fuite, le lieu devient celui de l’échec du plan : Wotan comprend qu’il est contraint d’appliquer un programme auquel il ne croit plus. Fricka l’enferme dans cette impasse et étale sur la table qui a vu tour à tour les amants, Hunding, le champagne bu avec Brünnhilde (que Wotan range nerveusement au frigo), « le traité » qu’elle vient de trouver dans son grand sac, qu’elle oblige Wotan à signer (elle se méfie des serments de Wotan – jeu de scène sarcastique –  lui laissant ironiquement le stylo qu’elle lui a donné pour la signature. L’ordre établi a vaincu (Die Walküre ou la victoire des femmes ?) non contre le désordre mais contre le futur…

 

Le récit de Wotan
La scène suivante est l’un des deux sommets de la représentation, chacun constitué par l’échange entre Wotan et Brünnhilde, seuls moments de tout le Ring où les deux se croisent, même si de fait ils ne se cesseront désormais jamais de se surveiller voire de se défier et enfin de se détruire. En réalité, ce sont peut-être, sans doute même les deux sommets du Ring, parce qu’ils en déterminent le sens. Au deuxième acte, Wotan constate sa déchéance et connaît la réalité de sa fin, au troisième, il laisse l’initiative à sa fille et transmet en quelque sorte le flambeau.

C’est aussi un sommet de mise en scène, et de travail sur la profondeur psychologique des personnages, parce que Tcherniakov a sous la main deux monstres sacrés de théâtre, deux intelligences supérieures de la scène que sont Anja Kampe et Michael Volle. Le premier acte en quelque sorte va tout seul son chemin en une dramaturgie presque « automatique » et de fait, quelle que soit la mise en scène, et quels que soient les chanteurs, il fonctionne.

Et avec Robert Watson, Vida Miknevičiūtė et Mika Kares, nous avions des chanteurs qui s’appliquaient à jouer, d’excellents artisans de la scène dans un scénario qui court tout seul et que tout chanteur wagnérien a intériorisé.

Anja Kampe (Brünnhilde) Michael Volle (Wotan)

Au deuxième acte au contraire, si les deux premières scènes sont vives et tendues (avec Brünnhilde et ses Hojotoho et avec le dialogue terrible entre Fricka et Wotan), la troisième peut-être un terrible tunnel si les chanteurs n’arrivent pas à occuper l’espace musical et scénique. Or la manière dont Tcherniakov règle le duo Brünnhilde-Wotan et surtout le monologue de Wotan est magistrale au sens propre, digne d’un maître, grâce à la matière « actoriale » qu’il a sous la main : il modèle un des sommets de l’art de la mise en scène et du chant, dans la mesure où l’un alimente l’autre et réciproquement.

Quand une mise en scène est grande, elle nourrit le chant et lui donne une intensité renouvelée. C’est ce qui se passe ici où le Wotan de Michael Volle atteint des sommets d’intensité et de vérité où se rencontrent le théâtre et la vie.

Récit de Wotan (Michael Volle/Anja Kampe)

Et c’est le caractère de ce travail que de donner de chaque personnage une vérité qu’on a rarement vue à ce point lumineuse sur une scène. Tcherniakov travaille essentiellement sur le rapport père-fille, sur l’affection, la sollicitude, les regards comme on ne l’a pratiquement pas vu jusqu’alors dans une mise en scène de Die Walküre, mais veille aussi à traduire l’évolution de Wotan. Il ne faut jamais oublier que le pivot de l’acte est l’évocation de la fin « Das Ende », répété deux fois, qui marque non une prise conscience (dans cette mise en scène, Wotan est conscient de son crépuscule dès la fin de Rheingold), mais une verbalisation de cette conscience.

Michael Volle (Wotan) Anja Kampe (Brünnhilde): Das Ende…

Pour la première fois Wotan communique sur son échec, et en même temps, il se défait de tous ses attributs de pouvoir, ici le costume trois pièces, la veste tombée, la chemise en dehors du pantalon, la coiffure qui peu à peu se défait. Tcherniakov fait en sorte qu’on voie Wotan changer physiquement en l’espace d’une scène. En une scène, il a vieilli, sous le regard à la fois désolé, attentif et incrédule encore de Brünnhilde, qui l’essuie quand il va se jeter de l’eau sur le visage au lavabo, qui ne cesse par de petits gestes de lui exprimer sa tendresse, sans jamais vraiment parler (elle parlera au troisième acte), mais à la fin, quand il est sorti de scène, elle ramasse sa veste abandonnée et la serre comme un fétiche, une dernière trace de ce père tout puissant.

Brünnhilde (Anja Kampe) et la veste fétiche

Notons d’ailleurs que c’est Chéreau qui inventa ce geste de faire figurer un personnage à travers un vêtement ou un substitut de vêtement (quand dans sa mise en scène Siegfried mourant saisit une pièce de tissu blanc qui figure Brünnhilde), un geste qui depuis est repris par nombre de mises en scène et dans autant d’œuvres différentes. Un topos en quelque sorte.
Ainsi Brünnhilde est-elle bouleversée par ce qu’elle vient d’entendre, et Tcherniakov va essayer de faire percevoir au public l’évolution psychologique du personnage lors de la Todesverkündigung (l’annonce de la mort) et sa rencontre avec Siegmund. Il nous fait percevoir que « l’annonce de la mort » est un discours forcé, contre nature, où Brünnhilde mime une walkyrie aveuglément obéissante qu’elle n’est plus, parce que Wotan, volontairement ou non, lui a révélé un monde autre que celui un peu mécanique des walkyries en chasse. Avec Siegmund, elle rencontre un simple humain qu’elle regarde avec une affection presque « maternelle » en lui tenant un discours auquel elle ne croit pas…
On comprend comment Dmitri Tcherniakov réussit cette Walküre : il en fait la révélatrice des clés de tout ce qui va suivre, effacement progressif de Wotan et émancipation de Brünnhilde, au nom d’un amour qui devrait tout inonder et qui est définitivement maudit. La persistance de l’amour, c’est en quelque sorte le crépuscule des Dieux qui libère le monde de la malédiction. Croire au monde, c’est ne plus croire en E.S.C.H.E

 

Une fin de deuxième acte qui rompt avec les habitudes
Quand Wagner retourne au couple de fugitifs, ils sont déjà épuisés et c’est un moment de suspension ou d’arrêt. Dans ce monde de E.S.C.H.E totalement clos, il est impossible de fuir ailleurs que dans E.S.C.H.E espace-monde et espace-piège, espace fini et qui contient donc lui-même la fin parce qu’il est clos, comme ces rats de laboratoire pris dans des labyrinthes. Et habilement Tcherniakov nous rappelle Rheingold en faisant fuir les amants à travers les dessous, dans la réserve de cobayes, jeu de miroir entre cobayes animaux en cage et cobayes humains (« Versuchsperson » comme les appelle le langage administratif de E.S.C.H.E qu’on apprendra l’acte suivant). Le couple traine son gros sac plastique contenant les effets emportés dans l’urgence. Il n’y pas d’extérieur pour les cobayes en cage, comme l’avait très bien montré Neuenfels dans Lohengrin à Bayreuth.

Dans la réserve de cobayes, deux cobayes humains en fuite (Robert Watson (Siegmund), Vida Miknevičiūtė(Sieglinde)

Mais la fuite dans des corridors remplis de cages n’est pas exactement l’idéal pour s’échapper… alors on descend encore plus profond dans ce qui était le Nibelheim, vidé cette fois de ses occupants. Espace pour l’instant inoccupé…
Néanmoins un indice que cet espace réservé aux Études des modèles de comportement humain dans un groupe test (Untersuchung menschlicher Verhaltenssmodelle in einer Testgruppe ) sert encore. Sur un des bureaux un ordinateur, qui n’existait pas dans Rheingold (forcément, années 60 ou début des années 70). Le fait qu’il y ait cet ordinateur montre qu’entre les moments de ce Ring, il y a eu une vie, des expériences, des occupants…Des petits détails et des petits faits vrais dont Tcherniakov est friand et qu’il sème à l’envi, comme autant de petits cailloux pour nous, petits poucets.

Le décor du Nibelheim est vide, ou à peine vidé, les lampes de bureau sont encore allumées, comme si tout avait été rapidement débarrassé pour la nouvelle expérience, il reste des cloisons et des portes, jeu labyrinthique qui n’est pas sans évoquer le décor de sa Lulu munichoise sorte de Palais des glaces. Ici des portes s’ouvrent et se ferment, des reflets dans les vitres des corridors apparaissent sans objet. Les deux héros sont comme pris au piège d’un cul de sac, d’un espace à obstacles, avec une Sieglinde épuisée, en extrême faiblesse, dont Siegmund se charge, il la porte, la dissimule sous un bureau.

Annonce de la mort comme un jeu éloignement-rapprochement
Brünnhilde arrive un peu en avance et regarde avec sympathie/empathie le couple (discret sourire) puis elle entre dans un bureau derrière une porte vitrée, Siegmund dans un autre, séparés par des cloisons de verre et de métal, ils se voient sans se toucher. Le spectateur voit la scène se dérouler derrière ce décor assez encombrant, où les deux personnages dont on voit seulement le tronc bougent peu.
Ils se rapprochent insensiblement tout au long du discours de Brünnhilde, jusqu’à ce que Siegmund comprenne qu’il sera séparé de Sieglinde, alors il s’éloigne, tandis que Sieglinde se réveille hagarde.

Robert Watson (Siegmund), Vida Miknevičiūtė(Sieglinde) Brünnhilde (Anja Kampe)

Commence alors une deuxième partie à la scène, pendant laquelle Siegmund va s’occuper de Sieglinde, la couvrir, la réchauffer, lui donner jusqu’à ses chaussettes, petits détails qui marquent le sentiment, l’amour, la relation fusionnelle. Devant une Brünnhilde qui apprend là « la force de l’amour » et « la force de l’humain »  par ces petits gestes. Elle apprend des cobayes, qui peu à peu ne sont plus ces cobayes anonymes.
Brünnhilde dit les choses, mais ses regards montrent qu’elle a pour le couple une attirance, une affection qui n’en fait pas une froide messagère du Walhalla, une fonctionnaire de la police des héroïsmes, mais presque une protectrice, et quand Siegmund menace de tuer Sieglinde avec Nothung, elle décide de les aider, ce qu’elle avait décidé sans se l’être formulé, pour une raison à la fois altruiste (aider le couple) mais aussi stratégique : elle sait que Sieglinde est enceinte, elle le confie d’ailleurs à Siegmund, et elle médite déjà de s’occuper, elle, de ce futur-là.
L’émancipation de Brünnhilde c’est presque une sorte de coup d’État : poursuivre le travail de Wotan, qu’elle a compris dans une impasse au deuxième acte.

Robert Watson (Siegmund), Vida Miknevičiūtė(Sieglinde)

L’intérêt du travail de Tcherniakov est de sortir par ce motif même totalement du schéma habituel : Brünnhilde lointaine et impersonnelle, mais touchée brutalement par la grâce de l’amour, pour montrer une Brünnhilde marquée par le discours de son père, consciente des enjeux, et qui en a été si bousculée qu’elle est, dès son annonce de la mort, en empathie, jamais lointaine, couvant de son regard bienveillant les fugitifs en mauvaise posture mais garants du futur et surtout de son propre futur

Le non-duel
Tcherniakov décide de ne pas montrer le duel, mais de le faire voir dans les yeux de Sieglinde, qui entend et s’imagine le pire, elle se réveille, se cache sous les frusques qu’elle a emportées, ainsi le duel devient une projection de l’âme de Sieglinde, éperdue d’effroi et d’horreur complètement délirante. Tcherniakov renvoie le spectateur à son imaginaire, forgé peut-être par des Rings qu’il a vus et revus et en même temps le frustre volontairement.
Le décor s’enfonce dans les profondeurs : au passage dans la réserve des cobayes, les Nornes sont là, comme à chaque moment décisif, elles regardent les cages des animaux, en ouvrent certaines, comme pour que les cobayes s’échappent.
Puis on revient sur une scène vide, hors de tout décor. Wotan et un groupe de policiers casqués revêtus de gilets pare-balles.
Surprise du spectateur habitué à voir le cadavre de Siegmund au sol, les deux protagonistes du duel sont là, vivants.
Wotan est entre Hunding en uniforme et redingote de policier soviétique et de l’autre côté Siegmund, debout ne sachant que faire.

Comme jetés dans l’arène par Wotan et comme attendant ses ordres. Mais Wotan est furieux quelque chose n’a pas marché… On comprend que Brünnhilde a empêché le duel où Siegmund le fugitif-criminel était désormais programmé pour mourir, et qu’il n’y a pas eu de duel. Wotan se retrouve avec les deux duellistes à gérer au lieu d’un.
En fait on comprend aussi que Siegmund une fois avoir engrossé Sieglinde, n’a plus de fonction, il doit disparaître.

Hunding regarde Wotan en faisant un geste étonné l’air de dire « j’ai fait ce que tu m’avais dit » tandis que Siegmund est là sans comprendre, mais ce que le spectateur comprend c’est que tout était mis en scène et que la mise en scène a échoué.
Hunding est chassé, et Wotan part à la poursuite de Brünnhilde, sans un seul regard vers Siegmund resté seul sur scène (au contraire de toutes les mises en scène ou presque depuis Chéreau), dans le néant de la scène vide, abandonné par Wotan comme après en avoir usé, Kleenex jeté en pâture aux policiers qui le poursuivaient au tout début de l’opéra, il retourne à son néant de dangereux criminel. Aucune relation paternelle affective avec Siegmund pas plus on le verra qu’avec Sieglinde. Ils sont aussi anonymes que des rats en cage.

Hunding, c’est un certain ordre établi, dictatorial, un ordre qui bride la liberté humaine, lié à Fricka gardienne de l’ordre établi et naturellement et socialement l’ennemi d’un Siegmund criminel recherché : Wotan essaie par tous les moyens de se libérer de cet ordre pour explorer les possibilités de la liberté humaine. Siegmund criminel qui s’échappe serait devenu libre. Mais comme le plan a échoué, Siegmund ramassé par hasard parmi les parias sociaux ne sert plus à rien. Il le laisse la proie du monde extérieur qui ne l’intéresse pas.

Tout fonctionne comme si Siegmund n’était pas le héros libre que Wotan voulait créer, mais l’outil pour le fabriquer, la petite graine de violence sauvage nécessaire à créer un héros affranchi de tout. Tcherniakov fait de ce Ring une téléologie.
Au milieu de tout cela il reste Nothung, symbole présent, que brandit Siegmund comme symbole de liberté offert par Wotan (fichée juste au-dessus de son bureau). Elle est en miettes, mais devient signe…
Le contexte du scénario change, mais le scénario wagnérien est bien là, dans tous ses détails.

On comprend à la fois les désarrois d’un public qui ne retrouve pas son schéma habituel, mais la fidélité à l’esprit de l’œuvre, dont Tcherniakov ne s’écarte jamais et qui nous parle fortement aujourd’hui. Dans sa volonté de créer un homme nouveau, libre, qui puisse « reconquérir l’anneau », et donc rétablir un monde « poli par l’amour » et non par la malédiction, Wotan a pas tenu compte des éléments chimiques essentiels que sont les catalyseurs, ici les contextes sociaux, les lois qu’il a lui-même édictées, morales ou non, les réactions simplement humaines des êtres. Wotan, Docteur Folamour ou Jekyll, n’a pas vu que le monde existe par ses obstacles, par ses Mister Hyde, ni que « l’ennemi » est quelquefois intérieur et se cache dans son cercle le plus proche, Brünnhilde.

 

Acte III

Les Walkyries
Une fois encore, le spectateur va s’interroger sur la nature de la chevauchée des Walkyries dans le contexte créé par Tcherniakov. Les Walkyries sont dans la mythologie wagnérienne une sorte de garde rapprochée de Wotan qui lui ramènent du champ de bataille les héros morts qu’elles repèrent pour en faire des héros du Walhalla. Un processus de mythification des héros guerriers.Chez Tcherniakov, elles apparaissent comme des employées en mission, exploratrices du monde, chacune avec un outil, un casque audio, des dossiers, appareil photo, chacune peut-être avec un métier différent, revenues avec leur harnachement de leurs exploration-inspection se retrouvant pour les bilans dans la salle de réunion de E.S.C.H.E, celle déjà vue au prélude de Rheingold, dans laquelle Wotan projetait l’état des recherches sur les connections mentales.

Signe (presque) commun, un pantalon noir à rayure blanche, signes distinctifs (sans doute selon la mission), des « hauts » différents, imperméable bleu marine pour Waltraute (qu’on retrouvera ainsi habillée au Götterdämmerung) , deux autres ont un uniforme d’aviatrice (normal, elles volent sur le cheval…) surveste, ou doudoune pour d’autres. C’est une manière de les différencier, de différencier les missions, et d’individualiser un groupe qui souvent est vu dans sa globalité, dans un même costume quelquefois même un peu baroque (cf. Kriegenburg et tellement d’autres productions).
Elles projettent sur l’écran descendu quelques fiches de ces héros qui en l’occurrence sont des repris de justice ramassés çà et là, appelés « Versuchsperson », personnes-test (cobayes si l’on préfère en langage non technocratique) choisies pour leur rapport à la violence, puisque le titre de cette scène est :
Avant l’évaluation de la recherche sur le terrain concernant la violence (Vor der Auswertung der Feldforschung zur Gewalt). Comme objets de recherche (Forschungsobjekte) Il y a dans ces fiches un meurtrier, un sociopathe, un psychopathe, et un sadique « caché », un agresseur. Tcehrniakov s’amuse en leur donnant des noms venus des héros cités par les Walkyries elles-mêmes comme Sintolt ou Wittig, ou Erich Fuchs un authentique SS ayant travaillé à l’extermination de masse (c’est le sociopathe…) ou d’autres noms peut-être imaginaires. Dans leur fonction habituelle et traditionnelle, elles recherchent les héros sur le champ de bataille qui se distinguent évidemment par la violence au combat. Ici elles recherchent des figures singulières de violence.
On comprend alors mieux pourquoi on a été chercher Siegmund, dangereux criminel fugitif. C’est un des cobayes parmi d’autres, sans doute le plus caractéristique du genre, parfait étalon pour créer un futur Siegfried (mais j’extrapole…).
Le spectateur ne peut considérer cette scène que pour ce qu’elle est, une référence à des pratiques communes aux totalitarismes, expériences « scientifiques » sur cobayes humains (mais cela on le sait depuis Rheingold) ou recrutement de criminels pour leur violence supposée qui fait assez penser aux recrutements d’un Prigojine dans les établissements pénitenciers russes pour alimenter les « Milices Wagner », au nom expressément choisi par le fondateur du Groupe, Dimitri Outkine, un néonazi qui fait ainsi référence au compositeur préféré des nazis.
Les Walkyries sont donc un service privé de Wotan, recrutant pour lui des cobayes qui n’ont rien à perdre, de la chair à expérience. Et en même temps, Tcherniakov n’oublie pas l’utilisation de cette musique comme symbole de guerre et d’agression violente (cf Apocalypse Now de Coppola) et ces Walkyries ne sont pas des tendres, ce sont des miliciennes attachées corps et âme au chef, elles ont des attitudes « viriles » de cette virilité surjouée qui convient à cette scène caricaturale, chez Wagner comme dans la vision de Tcherniakov.
L’arrivée de Brünnhilde, attendue, se fait en deux temps : elle entrebâille la porte, regarde si toutes ses sœurs sont là et ressort aussitôt, puis elle revient en poussant Sieglinde épuisée.

Isolement de Brünnhilde face aux Walkyries (Anja Kampe)

Toute la scène pose clairement l’isolement de Brünnhilde face au groupe, l’incompréhension, les attitudes goguenardes, distanciées, prises de doute même. Tcherniakov montre des gestes de dénégation, des regards entendus ou incrédules, et lorsqu’après avoir recouvert Sieglinde affaiblie de son imperméable bleu de Walkyrie, elle se retrouve en noir, isolée visuellement parmi ses sœurs, et laissant Sieglinde presque comme part du groupe.
De même les regards sur Sieglinde restent incrédules, loin de l’empathie, comme des regards sur une curiosité : tout ici se règle par les mouvements, les petits gestes, jamais par des mouvements d’ensemble car chacune réagit avec son individualité. Castorf dans un tout autre contexte avait fait des Walkyries un groupe d’individualités aux costumes divers qui échangeaient mais le plus souvent dans les mises en scène on a un groupe de femmes dans le même costume qui réagissent ensemble, sans aucune singularité, si bien qu’on n’a quelquefois même pas l’impression d’un dialogue entre elles, alors que toute la scène est un échange.
Cette vision est assez prémonitoire de ce qui va se passer. Brünnhilde debout quand toutes les autres sont assises, Sieglinde considérée avec distance et qu’on va laisser partir seule (même si Brünnhilde sort un instant pour l’accompagner) munie d’un viatique donné par Brünnhilde dans une gourde qu’elle glisse dans sa poche et évidemment des morceaux de Nothung dans un plastique transparent (qui vaut bien le papier journal de Chéreau qui avait fait hurler les puristes).
Brünnhilde revient, et contrairement à l’habitude, ne se dissimule pas de Wotan, elle s’installe au dernier rang, assise, pendant que les autres s’affolent de l’arrivée du maître (du père), ici du patron .
L’entrée de Wotan dans toutes les productions est évidemment toujours spectaculaire car il est furieux. Ici, il entre avec Sieglinde, emmitouflée dans l’écharpe et la redingote, comme s’il l’avait trouvée sur son chemin, sans doute perdue dans les corridors de E.S.C.H.E (dans cette mise en scène on ne sort pas de ce monde, les fugitifs tournent en rond). Il est en furie, arrache le fouloir de laine qui dissimule Sieglinde et le lui jette au visage.  Dans un premier temps, il fait mine de ne pas voir Brünnhilde (wo ist Brünnhilde/Où est Brünnhilde ?) pourtant face à lui. Tout le discours s’adresse à elle, mais il fait mine par retenue, par un dernier sursaut de dignité, par lâcheté aussi (?) de s’adresser aux Walkyries qu’il maltraite, qu’il bouscule, il est debout, il tourne et virevolte, hurle, avec des gestes multiples et désordonnés dans toutes les directions, mais toujours en costume, toujours « chef ». Mais dès que Brünnhilde lui adresse la parole, au seul son de sa voix plutôt calme et retenue, on dirait simplement qu’il « pète totalement les plombs », il s’assoit, se lève, le corps est convulsif, les jambes tremblent, il se touche le corps, frotte son costume comme s’il s’était taché, s’essuie le front en sueur, tombe la veste, la jette, la reprend, la vide de papiers divers qu’il met en boule et jette au loin, (une fois de plus il passe ses colères sur des papiers) puis jette la veste à nouveau, et puis comme s’il ne savait plus sur quoi passer sa fureur, il s’en prend aux chaises qu’il jette au loin, laissant le groupe coi, et Brünnhilde dans ses pensées pendant que Sieglinde, paralysée attend la fin de l’orage.  Incroyable subtilité psychologique du traitement du personnage par Tcherniakov. Jamais on n’a vu Wotan entrer dans une telle fureur, où il est traité comme un personnage à la limite de la folie, froissant ses vêtements, fumant convulsivement : Michael Volle propose une scène théâtralement magistrale, un travail sur le personnage jamais vu jusque-là, si bien qu’on se demande comment s’en sortiront les futurs Wotan des reprises de cette production… Jamais on a vu une telle vérité dans le personnage, en percevant clairement qu’il est au bout de quelque chose, qu’il ne maîtrise plus son monde et que la « trahison » de Brünnhilde n’est que pour lui la prise de conscience de son impuissance. Il crie, il hurle et tout cela dans le vide, face à une Brünnhilde au total à la fois profondément triste et étonnamment sereine.

 

La conversation finale
Toutes les Walkyries sortent, poussant aussi Sieglinde avec elles, comme si elles allaient à leur tour la protéger et la prendre en charge, en couveuse en quelque sorte, disparaissant dans le labyrinthe de E.S.C.H.E comme si Wotan, traînant avec lui Sieglinde, la leur confiait implicitement, sans même la considérer, comme pour s’en débarrasser, un cobaye sans importance mais machine E.S.C.H.E continue malgré tout, comme si cette sortie de scène impliquait encore un projet secret, dont on ne saura jamais rien, sinon vingt ans après…
Et après tout, même le Walhalla wagnérien va continuer tant bien que mal.

Anja Kampe (Brünnhilde) Michael Volle (Wotan)

La scène avec Brünnhilde commence par ces gestes si vrais qui en disent tant. Entre les chaises renversées, les papiers chiffonnés, les sacs des Walkyries abandonnés, la veste de Wotan jetée, la scène est un champ après la bataille que Brünnhilde va entreprendre de ranger quelque peu, elle commence par cette veste de Wotan-symbole qu’elle avait déjà saisie au deuxième acte et qu’elle défripe rapidement, manière de faire en sorte que Wotan, assis et lui tournant le dos une cigarette au bec, se remette en ordre, manière aussi de montrer qu’elle s’occupe de lui.

Toute la conversation a lieu entre une Brünnhilde attristée, mais résolue, décidée à faire céder Wotan, et un Wotan affaibli, nerveux, sur le fil du rasoir, instable, qui semble pendant le tout début de cette scène plongé dans ses pensées, pendant que Brünnhilde avance ses pions, tout en montrant sans cesse son affection pour ce père qui semble avoir perdu pied.

Tcherniakov travaille la scène comme une partie très serrée, et créant une foule de détails et de mouvements qui en rompent ce que certains appellent la monotonie. En fait elle est traitée comme une conversation dialectique, un échange d’arguments serrés où il apparaît clairement que Wotan est furieux non qu’on lui ait désobéi, mais que Brünnhilde ait eu le front de faire ce qu’il ne pouvait lui-même accomplir. Avant même de devenir mortelle, elle se montre pleinement libre de son choix, même si c’est pour accomplir l’intention première de Wotan.
L’enjeu est donc effectivement l’impuissance de Wotan (il le dit d’ailleurs à la fin, quand il accepte enfin le plan de Brünnhilde : Denn einer nur freie die Braut, der freier als ich, der Gott/ Que seul la conquière celui qui est plus libre que moi, le Dieu).
Cette conversation est un ballet où tour à tour chacun va essayer de prendre l’ascendant mais que Tcherniakov règle très clairement à l’avantage de Brünnhilde : il y a dans cette conversation un enjeu de pouvoir un véritable enjeu politique, une fois encore. Brünnhilde justifie son geste mais envisage surtout la suite qu’elle a entrevue dès le deuxième acte. La suite sera la naissance de Siegfried, vu que la grossesse de Sieglinde semble aux mains des Walkyries qui l’ont entrainée avec elles. Mais Brünnhilde est hors du coup pour l’instant.

Une fois encore, c’est une scène longue que le spectateur profane habituellement supporte en attendant l’incantation du feu et le final, à l’affût d’une image forte et d’une musique enivrante.

Toute la conversation est faite de mouvements qui insensiblement vont rapprocher les deux personnages, Brünnhilde debout, Wotan assis, Brünnhilde face à Wotan, Wotan dos à Brünnhilde, puis des regards qui se croisent. Quelquefois Wotan se souvient qu’il a été mis hors-jeu par Brünnhilde et il se dresse, s’énerve, la repousse, la traîne même, et d’autres fois Brünnhilde prend soin de lui, elle range les chaises, plie la veste et notamment quand il cherche nerveusement une pilule dans sa poche (il vieillit) elle la cherche elle-même et la lui place dans la bouche.
À d’autres moments, elle est si dominatrice qu’il se protège. Ce jeu de mouvements divers mêmes rudes, laisse en permanence voir l’affection entre les deux personnages qui ne savent en réalité comment sortir du dilemme ou de l’aporie. À ce jeu, Brünnhilde mène sans cesse la conversation, justifiant son geste par l’amour qu’elle a pour Wotan et la certitude qu’elle accomplissait ce qu’il voulait profondément, puis apprenant qu’elle sera mortelle livrée au premier venu, elle instille l’idée que sa propre humiliation rejaillira sur Wotan (et accentuera sa déchéance et sa faiblesse) rappelant un peu les arguments de Fricka au deuxième acte. Peu à peu Wotan sentant qu’il est piégé invoque la fin, la nécessité de se séparer. C’est alors que Brünnhilde lui suggère l’idée du feu infranchissable sauf par un héros pleinement libre.

Une fin enflammée… sans flammes

 

Anja Kampe (Brünnhilde) Michael Volle (Wotan)

Toute la fin a perturbé certains spectateurs, car à l’instar de la fin du deuxième acte rien ne se passe comme prévu, comme attendu, comme rêvé pour chaque production de Walküre. Brünnhilde grimpe sur une chaise et mime sa situation, puis au moment de l’incantation du feu, le spectateur retrouve ses marques, les deux personnages qui avaient joué au jeu du chat et de la souris, s’évitant et évitant de (trop) se rapprocher se serrent enfin l’un l’autre et se retrouvent pendant le début de la scène finale, en un moment qui est sans doute l’un des plus bouleversants vus sur une scène depuis très longtemps. D’abord, les deux préparent un cercle de chaises dont on se dit « c’est le bûcher », mais très vite, assise à côté de Wotan, Brünnhilde pose sa tête sur ses genoux, il ne cesse de la caresser (habituellement, il l’endort par un baiser et là le baiser n’est que baiser d’immense affection) et quand ce moment s’achève, Brünnhilde est saisie de sanglots, juste avant l’incantation du feu.
Dès l’appel à Loge, Brünnhilde se dresse, trompant son désespoir en mimant la scène supposée advenir, dressée au centre du cercle de chaises, mimant les flammes qui montent, comme un envol, puis va prendre un feutre dans son sac et dessine des flammes sur les dossiers des chaises se remettant au centre et semblant retrouver la Walkyrie insouciante et heureuse du début du deuxième acte, comme un jeu entre les deux, comme si cette histoire de flammes était un conte pour eux deux, qu’ils se racontaient comme on s’illusionne avant un événement terrible (on pense presque au film de Benigni La vita è bella) mais très vite le visage de Brünnhilde (incroyable Anja Kampe) s’assombrit, elle descend de sa chaise, va chercher son sac à dos tient la main de Wotan et sort du décor, devant, pendant que le décor s’éloigne, la laissant seule et abandonnée au monde, pendant que Wotan esquisse un geste d’adieu et que le décor disparaît. Alors, laissée face à son destin, face à elle-même elle se retourne vers le public portant sur son visage l’angoisse du futur.

Anja Kampe (Brünnhilde) Michael Volle (Wotan)

Toute cette fin est d’une puissance humaine bien plus forte que tous les bûchers de Walkyrie, parce qu’elle dit la vérité des êtres, leur complicité, leur destin, leurs jeux aussi, qui masquent le désespoir de la séparation. De fait, théoriquement, ils ne se reverront plus (ce n’est pas tout à fait vrai… cf Götterdämmerung dans cette mise en scène). Mais la solitude finale de Brünnhilde angoissée anticipe les derniers instants de Götterdämmerung, qui laisse une Brünnhilde toujours face au monde et dans sa solitude, mais sans angoisse et définitivement sûre d’elle-même.

On sait ce que certains vont penser, ont pensé, ont déclaré et écrit : devant ces flammes dessinées au feutre, ils ont écrit « dérision », « ironie », « sarcasme destructeur ». Devant ces flammes dessinées au feutre je vois au contraire, humanité, pudeur, justesse dans l’évocation psychologique. L’adieu de Wotan à Brünnhilde avec ce décor qui recule, la laissant seule est plus parlant, plus déchirant, plus vrai dans la signification profonde de l’œuvre que tous les rochers en flammes de la littérature scénique. Cette image dit la séparation, elle dit la fin, elle dit aussi ce qu’est le destin de Brünnhilde, jetée seule dans un monde sans références, inconnu, qui devra se prendre en charge. Tcherniakov a fouillé et senti la vérité des personnages, comme rarement on a pu le voir sur une scène ; voilà pourquoi ce troisième acte de Walkyrie, qu’on pensait si simple, est en réalité si complexe, voilà pourquoi il marque déjà la fin du divin et le début de l’humain. Voilà pourquoi nous nous trouvons devant un sommet.

Les voix

Une incarnation totale des deux protagonistes

Un tel sommet n’aurait pas été possible sans doute sans les deux protagonistes Michael Volle et Anja Kampe dont la prestation confine à l’incroyable. Il ne s’agit pas de performance vocale, il y a eu d’immenses Wotan et des Brünnhilde légendaires, il s’agit d’une performance totale.
Totale au sens où l’incarnation, par sa vérité induit un chant, des expressions, une puissance que seul le travail effectué avec Tcherniakov a pu permettre. Ils me font rire ceux qui pensent que la mise en scène n’est qu’un habillage pour qu’on puisse entendre la musique, parce que dans notre cas, sans cette mise en scène et sans l’engagement des deux protagonistes dans le travail scénique, il n’y a pas d’incarnation possible d’une telle vérité.

Nous l’avons souligné, Tcherniakov travaille au millimètre les personnages et le sens de leurs actions. Et Die Walküre est d’abord un opéra de personnages qui va loin dans leur profil psychologique, et qui définit pour la suite les limites et les possibles de chacun. C’est celui aussi qui va au plus profond des sentiments individuels des uns envers les autres, Wotan-Fricka, Wotan-Brünnhilde notamment : pour les autres, c’est plus conforme. Nous avons dit plus haut combien le premier acte quel qu’en soient les contextes a une dramaturgie tellement serrée qu’il est difficile de changer le chemin.

Anja Kampe (Brünnhilde) Michael Volle (Wotan) (Acte II)

Avec le monologue de Wotan du deuxième acte et la conversation du troisième, d’infinies possibilités s’offrent aux (grands) metteurs en scène. Mais ils doivent pour cela avoir des chanteurs à tête, des personnalités qui non seulement savent ce qu’ils chantent, mais veulent aussi représenter en cohérence ce qu’ils chantent. Tcherniakov ne fait que leur offrir cette occasion. Il est évident qu’Anja Kampe et Michael Volle ont adhéré au travail du metteur en scène, jusqu’à faire oublier totalement le contexte, E.S.C.H.E , les cobayes, et à plonger le spectateur dans deux drames humains presque insoupçonnés. Tcherniakov donne aux personnages une telle vérité intrinsèque, qu’on en oublie presque la performance vocale, pour ne s’intéresser qu’aux souffrances, aux excès, aux attendrissements parce que la performance vocale est indissociable de chaque mouvement, et qu’à l’inverse chaque mouvement semble naître de leur parole et de leur chant. Rarement le mot incarnation n’a semblé plus adéquat, plus juste : ils sont d’abord chair, corps, chaque geste semble suggéré, inventé, surgir d’une improvisation géniale tellement ils sont vrais.

 

Anja Kampe avait déjà incarné Brünnhilde à Salzbourg dans la mise en scène reconstituée de Vera Nemirova à partir de la production Karajan-Schneider Siemssen, qui était en soi une gangue lointaine, et elle était loin d‘avoir convaincu. Ici Anja Kampe est simplement la Brünnhilde rêvée pour cette production, parce que metteur en scène et chanteuse ont travaillé ensemble sur Parsifal et sur Tristan, dans ce même théâtre, qu’ils se connaissent et qu’elle est une actrice incomparable. Mais elle a aussi acquis une maturité vocale, une intensité dans l’expression qui lui permet de s’affirmer dans cette Brünnhilde comme l’unique possible.
Si l’expression vocale, les couleurs, la puissance sont au rendez-vous, ce qui emporte tout comme un ouragan, c’est la personnalité, incroyable qui réussit à rendre une Brünnhilde presque juvénile, joyeuse, et en même temps un personnage qui n’a rien d’écervelé, qui prend des décisions, qui manœuvre, qui résiste, un personnage bien plus intérieur que bien des Brünnhilde d’aujourd’hui. Elle n’irradie pas en scène à la manière d’une Gwyneth Jones au chant quelquefois incertain, mais qui sur scène emportait tout par sa seule présence.  Elle réussit à imposer un personnage complexe, fouillé, pas immédiatement lisible, mais qui envahit de sa présence d’actrice. Son personnage, même dès ses Hojotoho initiaux possède une humanité innée. Elle est d’emblée humaine, c’est à dire tout sauf un petit soldat, chaque inflexion, chaque regard, chaque nuance vocale est vie. Ce que nous fait entendre Tcherniakov dans cette mise en scène « laïque » sans mythologie ni épopée, c’est que Brünnhilde est née pour être mortelle, née pour les aventures humaines, et que même dans ce E.S.C.H.E elle n’est pas chez elle. Entre naïveté, obstination, disponibilité, et liberté, cette Brünnhilde de Walküre  nous fait entendre déjà celle de Götterdämmerung.

Michael Volle (Wotan)

Michael Volle recrée le rôle de Wotan, au point qu’on a l’impression d’une prise de rôle. Nous avons vu au long de sa carrière comment il est progressivement arrivé à ce degré d’accomplissement, au point d’être aujourd’hui le seul Wotan possible, c’est-à-dire le seul qui sache totalement être et vivre le personnage, dans son ambiguïté et ses douleurs. Volle, c’est d’abord quelqu’un qui a un soin époustouflant du texte à dire, quel qu’il soit. Il fut à Bayreuth un Beckmesser extraordinaire, sans doute musicalement inégalé (avec Kränzle) depuis parce qu’il avait ce qu’un Hermann Prey sur la même scène avait, une diction, un sens de l’expression et du texte qui ne le rendait jamais ridicule et un timbre d’une incroyable suavité.  Passé à Hans Sachs, il garde ces qualités en donnant au rôle son extraordinaire humanité, sachant parfaitement dominer le théâtre de conversation, jouant sur les rythmes, les inflexions, les accents avec une incroyable maîtrise. Même dans un rôle aussi ridicule en quelque sorte que le Grand prêtre de Dagon de Samson et Dalila, dans une mise en scène à oublier, il sculptait un personnage dans un impeccable français.
Dans Wotan, il est d’abord une voix, multiple, nerveuse, puissante, incroyablement ductile parce qu’il est d’abord un texte, qu’il suit et interprète mot à mot, en en offrant une variété de couleurs qui époustouflent. Et de ce texte possédé jusqu’à la moindre inflexion procèdent le geste, les mouvements corporels, l’expression du visage. Il réussit dans le deuxième acte à se montrer d’abord mûr, en pleine santé et énergique, puis détruit et surtout vieilli et négligé, dans une transformation qui montre que c’est fini.
C’est évidemment encore plus impressionnant au troisième acte, dans cette colère phénoménale qu’il affiche devant les Walkyries et devant Brünnhilde, où il réussit à montrer qu’il ne maîtrise même plus ses gestes devenus presque mécaniques dans leur répétition. voire leur non-sens.

Et dans le duo et la scène finale, c’est sans doute le travail théâtral qui domine, précis, méticuleux, où chaque geste semble naturel et tout est calé sur la musique, sur la dynamique, sur les rythmes et évidemment sur la partenaire parce que la partition (au sens large) se joue et se chante à deux. Impossible de travailler cette scène sans une confiance absolue dans le metteur en scène et dans la partenaire : on sent parfaitement qu’ils ont tous deux parfaitement compris l’enjeu de ce travail qui est de montrer derrière l’histoire, même celle scénarisée par Tcherniakov, des personnages emportés par le destin, l’un qui va céder de plus en plus de terrain et l’autre qui se projette vers un futur, mais chacun dans la déchirure d’un attachement qui se solde par une séparation définitive. Toute est évidemment dans le texte de Wagner, qui n’a jamais sonné avec autant de conviction ni de force, parce qu’il n’est pas joué, chanté, mais complètement personnifié.
Les italiens ont un verbe qui rend parfaitement l’idée, qui est « immedesimare » « participer à une situation avec un état d’esprit tel qu’on la vit et qu’on la sent comme la sienne propre »((vient d’une particule qui renforce un pronom personnel : me medesimo, c’est plus fort que moi-même, c’est un engagement qui va encore au-delà)). Les deux chanteurs sont leurs personnages et eux-mêmes en même-temps, on a l’impression que la distance entre la vie et la scène est effacée, ce qui à l’opéra est un exploit que seuls des légendes (Callas !) ont pu atteindre. L’opéra demande un double travail, sur la voix (la musique les rythmes etc…) et le jeu c’est à la fois un travail éminemment physique et aussi éminemment distancié qui demande qu’on ne se laisse jamais aller et qu’on soit attentif à tout. Ici on oublie tout pour se trouver sans aucune distance avec le seul drame, et l’impression nette est que la puissance, les aigus, les inflexions sont produites par une situation psychologique naturelle (c’est l’illusion) et pas un travail au millimètre sur le texte et la musique (c’est la réalité). Une illustration inattendue du Paradoxe sur le comédien de Diderot, où l’expression qui est la plus naturelle est produite par un incroyable travail sur soi et traduit en fait la distance la plus forte.

Comment une telle performance et un tel engagement ne pourraient-ils pas rejaillir ensuite sur les futurs Wotan de Michael Volle, il sera passionnant de le réentendre dirigé par un metteur en scène aussi peu intéressant que Mc Vicar à la Scala. Mais ici, c’est à une composition unique à laquelle il nous a été donné d’assister, portée aussi par la direction très dramatique et urgente de Thomas Guggeis, on le verra.

 

Une Fricka affirmée et subtile à la fois
Face à ces deux sommets, les autres protagonistes ne déméritent pas, à commencer par Claudia Mahnke en Fricka, encore une chanteuse qui chante aussi bien avec la tête qu’avec la voix, et qui ne chante jamais aussi bien que lorsqu’elle est bien dirigée par un metteur en scène, comme sa Fricka et sa Waltraute magnifiques avec Castorf à Bayreuth ou comme récemment dans Die Zauberin (L’Enchanteresse) à Francfort cette saison. Après la Fricka assez légère de Das Rheingold où on la voyait, souriante, participer à la fête finale pendant que Wotan lui, était déjà conscient que les choses étaient mal emmanchées, elle a vieilli, elle est devenue une dame en corsage un peu « mémère », qui porte un grand sac pas très élégant, mais qui l’affirme comme « matrone ». Le personnage de sa scène avec Wotan n’a plus rien d’une épouse aimante. Elle est passée du côté des contrôleurs, statuette de commandeur, avec cette distance entre une allure rassurante de dame rangée, et sa rage à poursuivre Wotan jusqu’à ce qu’il cède. On se souvient que dans Das Rheingold, c’était Loge qui tenait le contrat face aux géants et Wotan ne cessait pas de farfouiller dans des papiers quand il était en difficulté, ce qu’il continue de faire ici face à Fricka. Bien sûr il est nerveux, et se donne le change en fouillant des papiers. Mais jamais ces papiers dans cette mise en scène ne disent quelque chose, comme s’ils n’avaient pour lui jamais eu dans ses mains de vraie valeur. Fricka au contraire les conserve. Non sans ironie, Tcherniakov lui fait chercher nerveusement les traités au fond de son grand sac, car sans traité, dans ce monde d’hommes menteurs, pas de victoire possible. Wotan est celui qui rompt les pactes, alors mieux vaut avoir un contrat en main.
Ce qui frappe, c’est toujours le chant très affirmé et très maîtrisé de Claudia Mahnke, gardant en scène une certaine dignité et une certaine raideur et en même temps très expressif par son accent et sa puissance.

Mahnke joue sur toutes les expressions, de la fureur à la distance, avec un chant qui épouse toutes les subtilités du texte. Elle chante le début avec distance, en souriant, comme un jeu où chacun joue sa part dans un jeu de masques, on perçoit dans son chant l’ironie voire le persiflage et en même temps la détermination, face à un Wotan qui joue le même jeu de masques. Jusqu’à ce que les masques tombent et où elle montre une palette expressive riche, engagée, allant jusqu’au cri, puis reprenant sa tenue fière, avec un visage qui exprime les différentes étapes de sa démarche, redevenant à la fin la matrone puissante qui a vaincu, à la fois fixe et expressive, élégante et distante. Une très belle composition très humaine, très subtile aussi, et jamais exagérée ni surjouée : elle aussi travaille dans cette scène un certain naturalisme, on se croirait quelquefois dans une scène d’Ibsen réglée par André Antoine.

Les prestations des trois autres protagonistes, Robert Watson, Mika Kares et Vida Miknevičiūtė se situent à de bons niveaux à des degrés divers, sans toutefois atteindre la vérité des trois précédents. Pour plusieurs raisons qui tiennent d’abord à une dramaturgie plus serrée, qui ne permet pas d’espace créatif si important. Le premier acte de Walküre est peut-être le moins inattendu de tout le Ring, celui où toutes les mises en scènes, traditionnelles ou non, se retrouvent. Les contextes changent peut-être, mais ce sont les voix qui à la fin, font le succès ou non de ce moment.

Des jumeaux encore plus égarés
Or les deux jumeaux dans cette production sont interprétés par des nouveaux venus dans leur rôle. Si on connaît par ailleurs Vida Miknevičiūtė, qui chante depuis quelques années dans tous les théâtres importants d’Europe les grands rôles du répertoire dramatique, (Chrysothémis, Leonore, Elsa etc…), on découvre Robert Watson, ténor américain jusqu’ici plutôt vu en Europe dans des rôles secondaires.
On a entendu dans Siegmund tous les grands ténors wagnériens, de Hoffmann à Vogt, en passant par Kaufmann, et puis aussi, plus inhabituel, Placido Domingo. On attend d’un Siegmund une voix au timbre séduisant, de la puissance pour les Wälse, et une aura scénique qui puisse bouleverser le public.
Tout en restant honorable la prestation de Robert Watson ne restera pas dans les mémoires, le chant reste sans éclat, le timbre quelconque. Il reste fade. Le « dangereux criminel » annoncé n’est pas particulièrement marquant dans la prestation vocale. Certes, ils se sort de ses Wälse, mais il est loin des géants de cette distribution et évidemment loin de ses grands prédécesseurs de Hoffmann à Kaufmann. Et pourtant, il est vraiment le personnage voulu par la mise en scène, cobaye un peu perdu, déséquilibré, peut-être dangereux, qui ne sait pas au départ ce qu’on attend de lui, sans véritable assurance. En ce sens il est à rebours de toutes les stars qui ont interprété le rôle, et il est assez juste dans sa fadeur.
Vida Miknevičiūtė a le physique du rôle : avec sa longue chevelure blonde, on pense à une héroïne de contes allemands à la Loreley, ou justement à une héroïne de reality show, qui se coiffe avec une sorte de langueur qui ferait penser qu’elle se sait observée. Elle est bien plus engagée dans le rôle, mais sans part d’invention personnelle même si elle travaille avec précision les indications de la mise en scène sans doute plus urgente et plus émouvante au deuxième acte où ses hallucinations sont un élément très frappant de l’interprétation. Fondamentalement instable et placée là sans trop le vouloir, elle voit Siegmund comme un accident heureux, c’est en effet un élément chimique placé là pour provoquer une réaction, mais on sent chez elle une instabilité fondamentale. Mais c’est une chanteuse qui n’a pas la chaleur immédiate d’autres Sieglinde, à laquelle on adhérerait d’emblée. Elle reste distante, et Tcherniakov la rend sans réaction, comme éteinte au troisième acte.

Vocalement, elle s’affirme sans discussion comme une belle Sieglinde, crédible, affirmée, intense, avec une voix forte, bien soutenue et contrôlée, des aigus éclatants, une puissance très tranchante, mais qui ne prend pas aux tripes. Vocalement néanmoins, elle devrait faire de ce rôle un de ses chevaux de bataille.

 

Un Hunding dans la tradition
Mika Kares est lui aussi en quelques années devenu la basse wagnérienne de référence dans la grande tradition des basses finlandaises (Salminen), sans avoir toujours l’affirmation scénique qui va avec la voix (par ex. son Marke décevant). Dans Hunding, il réussit grâce à la mise en scène à imposer un personnage distant, froid, brutal, de ces brutes prêtes à tout et qui se retiennent, sans doute lui aussi un cobaye placé là pour toutes ces qualités : il reste le plus souvent fixe, à table, occupé à lutiner Sieglinde ou nettoyer son arme avec attention et amour… Tcherniakov en fait un policier face au criminel, un représentant d’un ordre oppressif (cf la relation avec son épouse) et l’appartement devient le lieu clos de l’expérience chimique entre les trois personnages. Il est assez convaincant, bien plus que dans certains de ses autres rôles et il est vocalement à son aise, il n’a pas besoin de se forcer et le rôle de Hunding est plus tendu que spectaculaire. Il diffuse vraiment cette tension ambiante, tout en ayant cette allure butée, fermée de celui qui ne croit sûrement pas à la dialectique. Son profil est plutôt réussi dans l’ensemble.

Des Walkyries vivantes, à rebours d’une certaine tradition
Il est enfin toujours difficile de distribuer les Walkyries, surtout lorsqu’on en fait dans la mise en scène un ensemble substitutif d’un quelconque chœur, comme c’est souvent le cas. Castorf en avait fait des individualités un peu salonardes qui se retrouvaient, Schwarz en efface les personnalités. Ici, elles s’affirment comme des individualités, des costumes à la fois différents et similaires, des allures qui vont de la jeune fille audacieuse à la dame mûre (Waltraute), et des jeux de scène étudiés pour chacune, avec échanges de regards, gestes de dénégation, crainte, mais aussi un certain virilisme, affiché dans la manière dont elles se saluent, ou dont elles se tiennent ; et ainsi, la scène n’a pas la lourdeur habituelle et n’est pas vraiment caricaturale. D’autant qu’en posant Brünnhilde au milieu sans être cachée et Sieglinde presque omniprésente avec Brünnhilde comme avec Wotan, Tcherniakov introduit de la complexité, de l’individualité et qu’on voit des personnages avant de voir un groupe.
Vocalement l’ensemble se défend admirablement parce que justement le groupe est mis en scène et acquiert cohésion, couleur, puissance et expression par le jeu. Venues d’horizons divers, troupe, studio, chanteuses invitées, elles constituent un ensemble affirmé et efficace (Clara Nadeshdin, Christiane Kohl, Michal Doron, Alexandra Ionis, Anett Fritsch, Natalia Skrycka, Anna Lapkovskaja, Kristina Stanek). C’est musicalement l’une des meilleures chevauchées qu’on ait pu entendre.

Une direction dynamique et théâtrale, riche d’avenir
Enfin dans la fosse, c’est Thomas Guggeis, nouveau directeur musical de l’Opéra de Francfort, ancien assistant de Daniel Barenboim et une des baguettes d’avenir de la nouvelle génération germanique (on commence à le voir aussi diriger à l’étranger) qui reprend les rênes, ayant alterné cet automne avec Christian Thielemann.
L’approche de Thielemann que nous avons déjà évoquée dans nos articles sur Siegfried et Götterdämmerung avait quelque chose de fascinant par la manière dont chaque son apparaissait ciselé, raffiné jusqu’à l’impossible, quelquefois même totalement hypnotique, avec un revers de la médaille, un lien assez lâche avec le rythme de la mise en scène, des tempi assez lents qui pouvaient mettre les chanteurs en porte à faux entre ce qui leur était demandé scéniquement et ce que la fosse proposait.
Avec Thomas Guggeis, sans doute plus proche de ce qu’aurait fait Barenboim, on a une attention plus forte à l’événement scénique.
La direction est nettement plus en place que pour Rheingold où l’on avait perçu quelques problèmes d’attaques imprécises, et de coordination, sans doute dus à une reprise de contact avec des répétitions limitées. On note une nette amélioration et un travail d’autant plus intéressant qu’il est bien plus lié à la scène et au déroulement dramatique, avec des accents sans doute moins « esthétisants » qu’avec Thielemann en octobre, mais une force plus affirmée, plus en phase avec le plateau, plus de vie et de dynamique en fosse.

Le son qui en émerge n’a pas la fascination, l’ébriété musicale d’un Wagner tourneboulant qui pouvait frapper par ailleurs dans la direction de Thielemann, mais le chef allemand en était à son enième Ring, même si c’est son premier à la tête de cet orchestre (qui semble en avoir été particulièrement satisfait par ailleurs). C’est en revanche le deuxième Ring de Thomas Guggeis (après celui d’octobre) qui n’a pas encore trente ans, et il y montre des qualités théâtrales notables, adaptant toujours le tempo au rythme scénique, respirant avec le plateau sans jamais couvrir les voix, maintenant la tension et refusant la complaisance sonore, avec tantôt l’urgence voulue, tantôt la discrétion d‘un accompagnement soutenant les chanteurs mais dessinant un univers dramatique, en laissant l’orchestre respirer, avec un son d’une vraie clarté, d’une vraie transparence. Son autorité incontestable donne à sa direction une vraie couleur, très personnelle et c’est sans doute le gage d’un futur qui comptera.

 

 

Au terme de ce long essai d’analyse d’une production qui nous semble en termes de mise en scène et- surtout de « Personenregie » (de conduite d’acteurs) le sommet de cette production du Ring, et en termes vocaux et musicaux ce qui sans doute peut se faire de mieux aujourd’hui, on doit s’interroger comme souvent sur son futur. Quand on sait le travail musical et scénique accompli par l’ensemble des protagonistes, comment un autre Wotan pourra par exemple rendre la force et l’intensité d’un Michael Volle ? C’est là la limite du théâtre de répertoire.
Par ailleurs, dans le récit de Tcherniakov, après le programme affiché dans Das Rheingold, Die Walküre montre déjà les fissures, les béances, les contradictions d’un projet qui ne peut se réaliser sans ruptures ni déchirements. Nous avions noté que Wotan à la fin de Rheingold voyait déjà son crépuscule. En confiant à Brünnhilde son futur, en la laissant dans l’espace vide, abandonnée à elle-même il prend aussi son dernier risque. Tcherniakov nous montre magistralement que le projet du Ring porte en lui-même son propre échec. Il n’invente rien, le texte de Wagner ne cesse de le dire et de ce point de vue il est d’une rare fidélité au texte tout en donnant aux caractères un relief inattendu, renouvelé, loin de toute dérision. Il montre que derrière E.S.C.H.E aux nobles objectifs se cache un système totalitaire, au bord du gouffre et incapable de maintenir des règles claires, puisque bâti sur des fondations qui prennent l’eau dès le départ. Tcherniakov ne fait que confirmer la richesse des possibles du Ring wagnérien, et sa portée politique voire idéologique, en s’appuyant sur une autre entrée, une autre version du totalitarisme. Après cette Walküre déchirante, Siegfried va nous montrer les limites de la liberté.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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2 Commentaires

  1. Volle est très probablement le plus grand Wotan actuel mais c'est certainement le plus émouvant. Ayant eu la chance de voir les Ring 3 et 4, il y avait une émotion supplémentaire la seconde fois. Peut-être parce que Volle, rentrant de New-York, était fatigué et a sorti de ses tripes ce Wotan déchirant. Quand on sait qu'il ne se sent pas à l'aise dans cette mise en scène, qu'il perçoit comme trop contraignante, chapeau l'Artiste !
    Pour Guggeis, une très bonne surprise. Après l'avoir entendu sur cette même scène et à Vienne beaucoup moins intéressant, sans finesse, avec la mauvaise habitude de couvrir les chanteurs ; rien de tout cela dans ce Ring 4. Après avoir attendu jusqu'au dernier moment, comme tout le monde je pense, l'annonce du miraculeux retour du Maestro Barenboim …

  2. Je vois sur Arte cette Walkyrie mise en scène par Tcherniakov.Il s’agit des premières représentations dirigées de manière remarquable par Thielemann.Merci à Guy Cherki dont le commentaire m’a accompagné pendant toute cette représentation.Ses observations sur la mise en scène sont d’une très grande pertinence.
    Le «  couple » Volle ‑Kampe est véritablement bouleversant et la fin de l’acte III nous conduit vers des sommets d’émotion.

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