A Salzbourg : Figaro chez les mafieux

- Publié le 18 août 2023 à 15:37
Raphaël Pichon dirige le Philharmonique de Vienne dans une Folle journée que le metteur en scène Martin Kusej, malgré quelques incongruités, transforme en un savoureux tourbillon de situations tragi-comiques. Plateau inégal, dominé par la Suzanne de Sabine Devieilhe et le Comte d’Andrè Schuen.
Les Noces de Figaro de Mozart

Mozart par le Philharmonique de Vienne : bonheur sans pareil, attisé par la direction de Raphaël Pichon qui pétrit à mains nues cette pâte somptueuse, maître des équilibres, imprimant au discours musical sa juste palpitation, sans confondre vitesse et animation – un soupçon d’abandon poétique dans le nocturne de l’acte IV, et ce serait parfait. La greffe entre la vénérable formation et le fondateur de l’ensemble Pygmalion n’allait pas de soi, elle porte ses fruits, le chef nourrissant sa lecture de sa pratique de l’interprétation historiquement informée, en accentuant sans excès contrastes et accents ; mais aussi en invitant un violoncelle dans les récitatifs, au côté d’un clavecin qui, lui, improvise volontiers, y compris en soutien de l’orchestre.

Couple désuni

Hauts et bas sur le plateau. Le Figaro sonore et plébéien de Krzysztof Baczyk devra affiner son chant. Il souffre du voisinage avec le Comte d’Andrè Schuen, baryton au galbe irrésistible, qui met à profit sa culture de Liedersänger, avec un certain génie pour la coloration, les pleins et déliés rehaussant les moindres nuances du texte et de la musique – une fièvre aussi, une rage rentrée qui hissent cette incarnation sur la plus haute marche. Adriana Gonzalez est-elle une Comtesse ? On en doute en écoutant son « Porgi amor » perturbé par d’étranges effets de détimbrage, quoique le dessin mélodique soit assez subtil ; si « Dove sono » montre l’artiste plus en voix, le naturel de la phrase mozartienne recèle des secrets qu’elle n’a pas encore percés.

On retrouve le Chérubin de Lea Desandre, toujours gracile dans ses intonations, mais toujours trop léger, compensant de désagréables raucités dans le grave par des extrapolations dans l’aigu sans doute plus conformes à sa vraie nature vocale. En comparaison, Kristina Hammarström semble avoir trop fois plus de volume, et ce qu’il faut d’aplomb pour rompre avec la tradition des Marceline décaties. Si l’on a entendu des Bartolo plus abyssaux que celui de Peter Kalman, et plus véloces dans le canto sillibato de « La vendetta », le Basilio de Manuel Günther a des accents vipérins qui font mouche. Outre Andrè Schuen, l’autre grande triomphatrice est notre Sabine Devieilhe nationale : cette Suzanne a certes tendance à courir après son grave, mais elle le fait avec sa musicalité usuelle et un sacré tempérament qui ne trouble jamais la perfection de la ligne. C’est elle qui offre une des plus belles leçons de chant de la soirée : « Deh vieni, non tardar » sur le souffle, entre ciel et terre.

Comme un film de Tarantino

Le spectacle suit les péripéties de la commedia per musica avec, pour les mouvements et la peinture des caractères, un art théâtral affûté. Martin Kusej ajoute certes quelques incongruités de son cru. Ainsi, Suzanne cède aux avances du Comte, alors que sa résistance est un des ressorts de l’intrigue. Basilio, lui, est un prêtre en soutane qui se tape Barberine et manie allègrement le fusil mitrailleur. Car comme tous les autres personnages, il fait partie d’une bande de mafieux dépravés et sans scrupule. Sexe, drogue, alcool, passage à tabac, séance de torture : rien ne nous est épargné dans ce tourbillon d’images et de situations tragicomiques qui ne laisse aucun répit à des interprètes chauffés à blanc. C’est bête et méchant comme un film de Tarantino. Et presque aussi efficace, si une débauche de décors hyperréalistes ne nous faisait visiter toutes les pièces du grand hôtel où semble se dérouler l’action, du septième sous-sol à la salle de bain, sans oublier un jardin aux herbes folles propice aux chausse-trappes. Pour impressionnants qu’ils soient, ces incessants changements de lieu imposent de nombreux précipités qui ont tendance à casser le rythme d’une journée qui, sans cela, eût été vraiment folle.

Les Noces de Figaro de Mozart. Salzbourg, Haus für Mozart, le 17 août.

Diapason