Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth (1847, révision de 1865)
Melodramma in quattro atti
Livret de Francesco Maria Piave d'après la tragédie homonyme de William Shakespeare
révisé par Andrea Maffei
Création le 14 mars 1847, Teatro della Pergola, Floren

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak, Denis Guéguin
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

Macbeth Vladislav Sulimsky
Banco Tareq Nazmi
Lady Macbeth Asmik Grigorian
Femme de chambre de Lady Macbeth Caterina Piva
Macduff Jonathan Tetelman
Malcom Evan LeRoy Johnson
Médecin Aleksei Kulagin
Serviteur de Macbeth Grisha Martirosyan
Assassin / héraut Hovhannes Karapetyan
Solistes des Sankt Florianer Sängerknaben Apparitions

Angelika Prokopp Sommerakademie der Wiener Philharmoniker
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
(Chef des chœurs : Jörn Hinnerk Andresen)
Wiener Philharmoniker

 

Salzburger Festspiele, Felsenreitschule,samedi 19 août 2023, 15h

Deux opéras de Verdi au programme de Salzbourg cet été, et tous deux fondés sur Shakespeare, Falstaff, la dernière œuvre, et Macbeth qui, si elle n’est pas la première œuvre du maître italien, appartient encore, en 1847, aux œuvres de jeunesse, même si c’est déjà le dixième titre en 8 ans de carrière. C’est que Shakespeare fait partie des horizons permanents de Verdi, l’unique à la fin de sa vie avec Otello (1887) et Falstaff (1893). L’œuvre est révisée pour Paris en 1865 (version française de Charles Nuitter et Alexandre Beaumont) avec notamment la modification du début de l’acte IV et (discuté par certains aujourd’hui) du chœur final de happy end, comme une concession au conformisme ambiant qui a cours à l’opéra et c’est en 1874 que la version définitive en italien sera présentée à la Scala, soit 27 ans après la création, signe de Verdi tenait à son œuvre restée pourtant longtemps « en deuxième ligne », alors qu’elle est considérée aujourd’hui comme l’un de ses chefs d’œuvres , notamment depuis l’édition scaligère de Claudio Abbado en 1975, signée Giorgio Strehler avec Shirley Verrett et Piero Cappuccilli, qui a jeté un regard totalement neuf sur l’œuvre.
En effet, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, il n'y avait eu que deux reprises seulement à la Scala (qui est le mètre-étalon verdien), l’une en Décembre 1952 en ouverture de saison 1952–53, dirigée par Victor de Sabata, avec Maria Callas, qui contribua à relancer le titre, l’autre en février 1964 (Saison 1963–1964) dirigée par Hermann Scherchen dans une mise en scène de Jean Vilar, avec Birgit Nilsson en Lady… Depuis la production Strehler, il y a eu la production Vick (avec Muti) et Livermore (avec Chailly), au total, cinq productions en 71 ans.

Au festival de Salzbourg, Macbeth entre au répertoire en 1964 avec reprise en 1965, dans une mise en scène de Oscar Fritz Schuh dirigée par un encore jeune Wofgang Sawallisch avec rien moins de Dietrich Fischer Dieskau et Grace Bumbry puis est proposé en 1984 et 1985 (Dir : Riccardo Chailly, Ms : Piero Faggioni avec Cappuccilli et Dimitrova) et enfin en 2011 sous la direction de Riccardo Muti, dans la mise en scène de Peter Stein (Željko Lučić, Tatjana Serjan) et fait partie des titres de Verdi représentés le plus fréquemment puisque la présente production est la quatrième de l’histoire du Festival. Ce qui atteste que Macbeth fait partie des œuvres obligées d’un Festival qui a présenté du maître italien Falstaff, Simon Boccanegra, Trovatore, Otello, Don Carlo, Aida, Un ballo in maschera, La Traviata (sans compter d’autres titres en version de concert), c’est-à-dire les plus grands chefs d’œuvres.
La production 2023, signée Krzysztof Warlikowski, passionne parce que c’est une tentative d’exploration de la totalité des problématiques posées par l’œuvre de Shakespeare, étant bien entendu que si l’opéra de Verdi ne reproduit pas dans son livret (de Francesco Maria Piave, revu par Andrea Maffei) l’intégralité des données du texte shakespearien, Verdi qui connaît son Shakespeare sur le bout des ongles en propose entre texte et musique tout l’esprit. Ce qu’en propose Warlikowski, c’est donc une lecture qui est fidèle à l’un comme à l’autre pour livrer une vision glaçante du monde.

 

La vidéo de ce spectacle est disponible sur Arte concert :
https://www.arte.tv/fr/videos/115046–001‑A/giuseppe-verdi-macbeth/
En ligne jusqu’au 27 octobre. Il est vivement conseillé de s’y référer pour suivre notre essai d’analyse.

Le couple Macbeth est d’abord pour tous un couple noir, isolé dans son pouvoir mal acquis et son fol désir de le conserver à tout prix, presque dans une bulle, comme l’a montré le travail de Barrie Kosky à Zürich et à Vienne, concentrant l’œuvre autour d’un espace réduit surgi de l’obscurité, entouré de corbeaux… Une vision dense comme un trou noir, qui correspond parfaitement à à l’horizon d’attente du spectateur et à l’idée qu’on a de cette histoire terrible et sanglante.
La force de Kosky fut de rencontrer cette attente avec génie et virtuosité.
La force de Warlikowski comme souvent, comme toujours, est de tisser autour de l’œuvre un réseau de références qui en révèlent une (sinon la) vérité, qui replacent l’œuvre dans ses sources, ici Shakespeare, mais aussi dans les déclinaisons possibles, voire obligées du récit. La force de Warlikowski est de faire respirer l’œuvre dans une galaxie plurielle, où chaque élément est solidaire de l’autre, proposant une effrayante et terrible logique, la logique tragique.

Ces images s’imposent au spectateur quand il s’installe, à rideau ouvert, découvrant l’espace théâtral, espace de l’agôn (du grec ἀγών), espace de combat, espace dont on sait à l’avance qu’il sera tragique. Puis il est éclairé par les images qui accompagnent le couple Macbeth durant le prélude, des images « d’avant-destin ».
Warlikowski pose d’emblée des données essentielles pour suivre et comprendre le drame.

D’abord, il pose l’espace, qu’on sait très difficile, de la scène du Grosses Festspielhaus de Salzbourg, une scène peu profonde qui s’étire en largeur et que seuls les grands metteurs en scène et les grands décorateurs savent gérer. C’est un espace qui va souligner doublement cette largeur : d’une part par ce magnifique banc de bois qui est un banc d’attente et de méditation et d’autre part une galerie vitrée qui court toute la paroi du fond, qui apparaît éclairée avant même le début du spectacle.
La scène apparaît au spectateur avant la première note comme cet espace immense barré de deux traits (banc et galerie vitrée), un espace en soi déjà lourd, déjà mystérieux de machine infernale pensé par Malgorzata Szczęśniak.

Jeu de paume : sol rouge, marques au sol, tel se présente le sol dans le décor de Malgorzata Szczęśniak

Un espace qui représente, – on le devine avec les marques au sol et aussi d’une certaine manière la galerie vitrée, un jeu de paume. Un jeu infernal va s’y jouer. Un jeu de rois puisque le jeu de paume est le jeu des rois… Un décor dont on aura la clé à la toute fin de l'opéra.

Car l’idée de départ, celle qu’on nous montre durant le prélude, est l’attente de deux êtres isolés, éloignés l’un de l’autre : l’isolement de ce qu’on ne sait pas encore être un couple, renforcé par l’immense espace, deux points minuscules un peu perdus. Un homme apparemment assoupi, au visage caché par son chapeau, en position d’attente sans qu’on sache exactement qui il est et ce qu’il fait, de loin on pourrait dire un errant, un clochard, ne seraient-ce les vêtements plutôt soignés.
De l’autre côté, une femme, suprêmement belle et élégante, qui au départ attend tranquillement, fixe, sans mouvements, et puis qui laisse deviner une attente tendue, puis angoissée par quelques mouvements nerveux du corps : un regard sur sa croix pendue au collier qu’elle touche et qu’elle embrasse, quelques gestes pour se débarrasser de son manchon, ouvrir son sac à main pour retoucher le maquillage…Une femme qui nous attendrirait presque, une femme toute humaine.

Image initiale : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

L’autre première image qui apparaît dans le même temps à l’écran (en ce début Warlikowski pose les outils scéniques qui seront à disposition) est celle d’un bébé, image rassurante a priori, avec des images de maternité : allaitement, un visage maternel heureux qu’on met immédiatement en lien avec la femme songeuse. L’image du bonheur possible…
Ce que Warlikowski nous laisse voir d’abord en ce prélude, c’est une tranche d’humanité ordinaire, une vision de quotidien banal de ces histoires humaines qui touchent chacun, dont il est pour l’instant impossible de projeter un destin singulier. Pour chacun des deux, c’est l’attente avant de savoir…
Et savoir, connaître, c’est le début de la Chute.

Acte I

Dès la fin du prélude, l’espace est comme écartelé, puisque chacun des deux personnages que nous ne connaissons pas encore va à l’opposé vers deux espaces nouveaux comme enchâssés, à cour, la femme va visiter un médecin, et se forme un box médical avec des rideaux de plastique opaques, et à jardin, l’homme va suivre une vielle dame rassurante qui tricotait près de lui, et qui l’entraîne gentiment : évidemment une sorte de Norne ou de Parque qui file les destins en tricotant.La vieille dame du destin servira tout au long de l’œuvre de serviteur discret, au moment des scènes-clés, aussi bien pour Macbeth que pour Lady Macbeth, mais aussi pour Banco au moment de son assassinat. C’est elle, vêtue d’un corsage violet, couleur associée à la spiritualité et au rapport avec des forces supérieures ou obscures qui entraîne l’homme (on ne connaît pas encore son nom) vers cette étrange boite-pièce qui a glissé des coulisses pour occuper tout le côté gauche, remplie de femmes aveugles, portant lunettes noires et brassard jaune des aveugles. Elles semblent assemblées en un groupe très compact comme dans une salle de jeu remplie à ras-bord. Au milieu du groupe de petits êtres portent des masques…
Les sorcières.
C’est le moment déclencheur. Jusque-là, régnait l’anonymat de la vie ordinaire de deux êtres dont on ne savait pas qu’ils formaient couple, chacun attendant dans son coin. Désormais, d’un côté comme de l’autre, s’effectue le saut vers un destin imprévu, comme surgi de calculs étranges, le fruit du hasard objectif. Au moment où les sorcières entourent Macbeth (on connaît enfin son nom : elles l’ont nommé), la femme subit un examen gynécologique, la vision du bébé et de la maternité heureuse ne nous trompait pas.
Parallèlement, leurs destins se déterminent, chacun de son côté va savoir…

 

Les sorcières dans la boite-pièce (Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor)

Warlikowski en ces quelques images a posé le couple dans son humanité, son mystère et ses problèmes. Il va désormais poser le destin et ses instruments : les instruments de l’irrémédiable.
Ces premières scènes vont montrer dans quel cadre va se dérouler ce Macbeth, et sur quels éléments Warlikowski va privilégier dans sa vision, parce qu’il s’agit bien d’une vision.

Nous avons insisté en premier lieu sur la géographie éclatée de l’espace, comme si deux destins de deux anonymes se déroulaient indépendamment. On commence à savoir quelques éléments, le nom (Macbeth : Vien Macbetto. Eccolo qua !) d’un côté dès qu’il entre dans la boite-pièce ;  c’est alors qu’apparaît Banco se promenant dans la galerie supérieure vitrée dont nous parlions et qui par hasard voit Macbeth entrer dans l’espace des sorcières. Il l’observe attentivement et décide de le rejoindre. Le hasard fait bien (ou mal) les choses. Là encore, les déterminations se tissent sans que personne ne soit conscient que tout est presque déjà accompli.
Banco vu par Warlikowski a d’ailleurs quelque chose de fascinant et de presque irréel. Dans un univers dont les costumes toujours incroyablement soignés et personnalisés de Malgorzata Szczęśniak renvoient aux années 1930, il apparaît dans un complet gabardine chapeau (sans cravate) avec des cheveux fins et frisés (le texte parle à un moment de ses boucles) comme une figure presque dessinée, sortie d’une image sortie d’un film, entre le mime Marceau et Jacques Tati, comme si Warlikowski le voulait déjà « à part », au visage très fin, presque de porcelaine ou de celluloïde, sans expressions marquées (Tareq Nazmi est assez bluffant dans son incarnation) par opposition à un Macbeth très humain, interrogatif, aux yeux étonnés et mobiles.

Quand les deux sont là, comme pris au piège, sans jamais vraiment dialoguer, croisant les regards plus qu’en conversation comme dans deux monologues parallèles (Verdi fait bien les choses…) commence une ronde avec les petites créatures, moment des « prédictions » et alors en même temps apparaît sur l’écran l’examen gynécologique dont on voit d’abord le siège d’examen qui ressemble à un instrument de torture, et d’ailleurs de gros plans sur le beau visage de la femme surprise dans quelques expressions de douleur n’est pas loin de le confirmer.

La ronde avec les petites créatures : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Tareq Nazmi (Banco), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor

La fiction des destins séparés s’écroule. D’autant qu’à un moment, les petites créatures masquées se déplacent toutes vers le box d’examen clinique pour en revenir, autre signe qu’elles sont maléfiques et que si le côté gauche est maléfique, le côté droit ne l’est pas moins : on quitte déjà une sorte de réalisme pour évoquer le monde superposé d’un au-delà oppressant.

Ce qu’il faut retenir de la scène, c’est qu’on passe de deux univers apparents à un seul, avec une concomitance entre les prédictions des sorcières et l’examen préalable à l’annonce de l’infertilité de la femme, avec cette translation des petites créatures (peut-on les appeler "enfants" avec leur brassards d’aveugle et leur masques qui pourraient rappeler vaguement Halloween ?) qui soulignent que dans cet espace le temps ne compte pas, les créatures sont des sorcières comme les autres ; la ronde où elles entraînent Banco et Macbeth a quelque chose d’une danse macabre, avec la même distance entre la ronde, jeu sympathique des enfants et sa fonction ici de drôle de ronde de nuit. Mystérieuse aussi la vieille dame rassurante, souriante et tricoteuse, qui va envoyer tout ce beau monde au trou et qui pendant le chœur final (s’allontanarono, tarentelle macabre et distanciée qu’on aime tant…) fait sortir les petites créatures comme la maîtresse les élèves après la récréation, vision ironique de Warlikowski , mais en même temps particulièrement claire : la vieille dame est la maîtresse, celle qui commande, celle de qui tout procède.
Je parlais plus haut de concomitance.

Désormais tout se met en place et dans ces premières scènes, vient en effet le temps des concomitances.

Face à face : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Tareq Nazmi (Banco), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor

La première c’est la réflexion des deux, Banco et Macbeth, après la scène des sorcières. On a remarqué qu’ils se croisaient sans se voir, sans se parler directement : ils se parlent maintenant et s’adressent l’un à l’autre, l’atmosphère est lourde, elle s’achève cependant par un face à face, un symétrique des deux êtres assis sur le banc, et un grand éclat de rire commun, mais la séparation est accompagnée de regards et de gestes inquiets. Dans le même moment, autre concomitance, la femme sort de l’examen, elle sait également.
Désormais, ils savent tous et tout peut commencer…

Suit alors, sur la tarentelle des sorcières et leur sortie, l’un des (nombrreux) beaux moments de ce travail :

La sortie, munie de son compte rendu d’examen de la femme détruite, sans chapeau, en chemisier se traînant un peu le long du banc et puis s’allongeant, tandis que derrière le banc un peu hagard, Macbeth marche en sens inverse, hagard lui aussi : ils se croisent sans se voir, et ce croisement m’a renvoyé à une autre image de mes souvenirs de spectateur : le croisement de Macbeth et de Lady Macbeth (appelons la désormais par son nom) que nous évoquions plus haut, m’a fait penser à une très belle image de Giorgio Strehler dans son Macbeth scaligère (1975), où à un moment, les deux se croisent, mais ce que Strehler souligne ce sont les deux traines de leurs costumes qui se superposent en se croisant. Image inoubliable de deux êtres liés.
Ici ils semblent être dans l’intermonde entre celui du rêve, de l’attente voire de la foi (combien de fois la femme a‑t‑elle serré contre elle sa croix…) et celui de la chute qui va suivre toutes ces annonces, un intermonde dans les limbes, accompagné par cette musique dansante qui en devient effrayante, tout un jeu de parallèles et de contrastes, tout un jeu des âmes où chacun est au bord du gouffre…
Seul Banco d’un seul regard montre qu’il sent quelque chose… mais pas eux, pas encore… ces replis psychologiques sont merveilleusement dessinés mais d’autres signes devraient aussi nous alerter car chaque moment de ce début très dense est signifiant : Warlikowski fait en sorte que tout soit en place dès les premières scènes, avant les premiers méfaits : tout ce qui va se passer ensuite n’est que conséquence logique de ce début, si précis, si délicat, si étonnant.
L’autre signe, c’est l’arrivée des compagnons qui vont annoncer à Macbeth qu’il est sire de Cawdor… ces compagnons sont habillés très casual mais tous portent des brassards jaunes, de ce même jaune que celui des sorcières aveugles, presque comme un signe de reconnaissance, ou plutôt ici politique. Il nous indique que nous sommes dans une société de compagnonnage milicien, probablement un état totalitaire, que le pouvoir est déjà en quelque sorte dictatorial- le texte qui renvoie à l’exécution sommaire de l’ancien sire de Cawdor nous le confirme. Nous ne sommes pas chez les bisounours.
Cet indice du brassard est en soi un tout petit signe, c’est pourtant le signe d’une des idées forces de ce travail, qui est la nature du pouvoir totalitaire fondé sur un sentiment d’appartenance commun qui devient groupe de pression. Nous étions dans un univers psychologique, d’âmes en peine ou en trouble : nous tombons dans un univers politique. C’est leur fusion que nous raconte le Macbeth de Krzysztof Warlikowski…

Dès la lecture de la lettre, c’est désormais le temps de la superposition, on avait deux personnages séparés dans l’espace, ils seront désormais toujours ensemble.
La lecture de la lettre est en effet une lecture à deux…

Traditionnellement, Lady Macbeth lit la lettre à haute voix, Warlikowski la fait lire par Macbeth, isolé dans la galerie vitrée, qui fait mine de l’écrire sur la vitre, comme si Lady Macbeth entendait la voix intérieure de l’époux lui parler. Elle a en main ses résultats d’examen gynécologique, et la lettre qu’elle lit.
Les deux documents sont désormais eux aussi concomitants, l’annonce du pouvoir possible, et l’annonce de l’infertilité certaine.

Alors commence l’une des scènes fortes de cette production, qui est en même temps le premier air de lady Macbeth Vieni t'affretta. Elle déchire les deux documents, comme des documents secrets qu’il convient de faire disparaître avant d’accomplir la mission.
Elle se dirige vers le lavabo, qui trône, dans sa blancheur de porcelaine, isolé comme un objet-culte (et Warlikowski qui connaît son monde sait parfaitement qu’il s’attirera les éternels commentaires… encore le lavabo !) et cette fois-ci, au lieu d’en faire un objet simplement présent. Il s’en sert très étrangement dans un délicieux paradoxe.

Rappelons d’abord que le lavabo c’est un symbole d’intimité, de lieu où l’être ne peut se mentir à lui-même.
Lady Macbeth jette ces lettres dans le lavabo et les brûle.
Dans un lavabo, on se lave les mains, et ici Lady Macbeth efface ces traces comme pour s’en laver les mains, à la Ponce-Pilate, dans un lavabo où brûlent des papiers. C’est une image simple que j’ai trouvé vertigineuse, de ce lavabo qui devrait par sa fonction première éteindre le feu par l’eau et qui au contraire le fait si bien vivre que Lady Macbeth s’y réchauffe les mains… comme au-dessus d’un foyer, d’un chauffage, à une flamme née de deux nouvelles dont l’une va compenser l’autre, la possible royauté et l’infertilité définitive. Une flamme nouvelle est née.
Warlikowski nous montre Lady Macbeth qui jusqu’ici nous attendrissait plutôt au cœur de son intimité, de sa méditation, puis de sa décision. Et voilà comment il montre en elle le monstre naissant.
C’est presque un tableau : Monstre naissant au lavabo.

Les choses alors se précipitent, le rythme s’accélère devenant presque haletant.  D’abord, la cabalette Tutti, sorgete où réapparaît la vieille dame, non plus tricoteuse mais gouvernante qui répond d’un signe de tête quand la Lady demande si Duncan sera là, et qui l’aide à s’habiller d’une robe en noir et blanc, aux formes géométriques et angles saillants, et en s’habillant la Lady ne manque pas, comme au tout début de se mettre un peu de poudre, en fouillant dans son sac, féminité triomphante là ou précédemment c’était presque un signe de protection.
Arrive Macbeth et alors la conquête du pouvoir devient un objectif de couple, et non plus d’une ambition singulière, c’est le premier élément marquant : on ne peut faire d’enfant, conquérons le pouvoir.
Toutes les scènes qui se succèdent montrent les fils que tisse la mise en scène : à cour, le côté des meurtres et des forfaits, symbolisé à chaque fois par ce rideau de plastique opaque de box d’hôpital qui se déroule comme un corridor de mort.
De son côté, Duncan arrive avec un petit cortège de favoris, de tous ceux dont les Macbeth vont se débarrasser (ou essayer de) et parmi eux Banco et son fils.
Le lit soigneusement préparé de Duncan est un lit médicalisé, un lit d’hôpital, qui renforce cette qualification de mort clinique (avec le jeu sur le soin au chevet du malade qui devient assassinat), mais en même temps l’idée du meurtre-maladie, d’une œuvre qui observe cliniquement les conséquences du choix du couple, avec cette idée de rideau opaque d’une mort (ou de « soins ») qu’on cache.
Warlikowski évite toute vision du sang, dans une scène décrite par le texte comme un carnage. Et d’ailleurs, même si Macbeth évoque le poignard (Mi si affaccia un pugnal !) il assassine Duncan en s’aidant de l’oreiller pour en étouffer les éventuels cris en une mort… propre en quelque sorte, une mort clinique au sens propre (le mot clinique vient du grec ϰλίνη (klinè, le lit) et la vidéo montre les deux corps s’embrassant presque longuement, comme pour une transmission de pouvoir, faisant du signe de l’un qui se défend et l’autre qui agresse un signe d’union… Je t’aime … je te tue.

Le duo qui suit, celui du couple meurtrier où Macbeth accablé contemple ses mains sanglantes et annonce ses nuits sans sommeil, est aussi construit de signes minuscules qui en disent long sur les personnages et le couple.
Le banc reste celui de l’isolement, mais cette fois l’isolement à deux : il montre en Macbeth et la Lady bien sûr la solidarité dans le crime, notamment dans la deuxième partie du duo où Lady Macbeth essaie d’effacer l’angoisse du mari, quand ils grimpent sur le banc, debout, bras-dessus bras-dessous, puis lorsque Lady Macbeth lui remet ses chaussures (qu’il avait enlevées précédemment pour éviter le bruit dans la nuit au moment du meurtre), extraordinaire signe d’amour, et de réconfort, montrant le couple se (re)construisant autour du meurtre, signe d’humanité aussi : ces deux êtres sont des humains, comme le montre aussi leur « dégoût » du sang qu’ils ont versé pourtant. Un signe étonnant à ce propos : Lady Macbeth fume une cigarette qu’elle confie à son mari pendant qu’elle le rechausse comme un enfant, et quand il la lui rend, elle s’aperçoit que la cigarette est tachée du sang, elle file au lavabo s’en débarrasser, puis demande le poignard (en réalité une sorte de canif, très discret, qui doit nécessiter des coups nombreux ou bien ciblés pour faire mourir), elle en revient elle aussi ensanglantée, et tout en se lavant les mains dans le fameux lavabo, elle lave celles du mari, les essuie, encore un geste d’attention et d’amour et en même temps geste symbolique et annonciateur de la suite (la tache de sang de la scène du somnambulisme) que ces deux êtres qui lavent leur crime dans le lavabo pendant que à cour, Banco fait son apparition, seul, accablé.
Le sang les effraie, les dégoûte, et leur est désormais attaché. Warlikowski montre par tous ces petits gestes qu’avant d’être des monstres, ils sont des humains, c’est une des grandes données de cette mise en scène qui refuse l’idée de monstruosité en soi. Banals humains, Macbeth et Lady Macbeth illustrent en quelque sorte l’idée de la banalité du mal chère à Hannah Arendt.
Faire du couple Macbeth un couple de monstres serait exempter le spectateur et les autres hommes de ce danger-là, en faire des Pharmakoi, des sortes de bouc émissaires qui dédouaneraient le reste de l’humanité. Warlikowski à raison refuse cette idée trop simple et trop cathartique : il nous dit : eux, c’est nous, et c’est bien plus effrayant.

La scène finale de l’acte I est doublement spectaculaire et c’est l’une des scènes les plus réussies esthétiquement et dramaturgiquement de l’ensemble de la production.
Esthétiquement parce qu’elle prend toute la largeur de la scène, avec tout le chœur étalé, et qu’après les scènes de nuit et de meurtre qui précèdent, elle éclaire l’ensemble en une scène de funérailles « à l’anglaise » qui ne peut éviter de faire penser très discrètement aux dernières funérailles royales vécues par le monde entier accablé de douleur médiatique.
Mais le coup de « théâtre » est double, il en fait à la fois une scène de funérailles et une scène de couronnement.
C’est ensuite de faire accompagner le cercueil de Duncan d’un cortège d’enfants, posant dans cette mort la question des enfants tels qu’elle a été posée par les sorcières, le roi est mort, les enfants lui succèdent, c’est-à-dire la normalité. D’ailleurs, le premier à s’avancer est Malcolm devant la dépouille.
Ainsi cette scène sanctionne à la fois la mort et la succession, l’arrivée des enfants est spectaculaire, surprenante les petites filles avec des lys symbole de virginité, pureté mais aussi de royauté, et les petits garçons portant le cercueil avec un maître de cérémonie enfant.
La scène place l’enfant au centre du système, et au centre désormais de ce que va être le drame, non parce qu’il est enfant, mais parce qu’il légitime un roi, par le principe dynastique. Sans enfants, le couple Macbeth quelle que soit la manière dont il accèdera au pouvoir, est illégitime.

Dans cette cérémonie,  tout se joue, d’un côté le statut des familiers du roi défunt, un Banco en doute, un Malcolm à la fois présent et absent (ce n’est pas un hasard si Verdi ne le fait parler qu’au quatrième acte) avec un chœur dont les femmes portent des lunettes noires qui évidemment rappellent les sorcières et de l’autre un Macbeth qui se recueille devant le cercueil, brutalement repoussé par son épouse qui s’agenouille et se love dessus ostensiblement et pendant que se déroule encore le chant de deuil, les enfants d’un signe discret de Lady Macbeth retirent le cercueil, très rapidement,

Couronnement dans le deuil : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor

Macbeth et sa femme se font donner les habits de roi, (avec toujours la vieille dame des destins) qui rend l’effet de « coup d’état » plus fort, Banco et son fils, Macduff avec femme et enfant, Malcolm, un instant tous ensemble pour le concertato se retirent, tous devenus des menaces, et restent seuls en scène le couple Macbeth saluant la foule, puis riant de ce rire qui nous rappelle celui de Banco et Macbeth après la scène des sorcières, de ce rire qui semble forcé et qui se termine en silence angoissé de Macbeth et méditatif de la Lady,  ils sont désormais seuls, contre tous, sans soutiens, sans enfants. Mais la prédiction qui concernait Macbeth s’est accomplie. Pas ses conséquences…

Acte II

"ici commence le court bonheur de leur vie" : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Asmik Grigorian (Lady Macbeth)


Puisque la prédiction est accomplie, la question est celle du pouvoir et de son maintien.
Dès ce début de second acte se pose la question de l’illégitimité et de l’accomplissement des destins. Les sorcières, dans leur oracle – il s’agit bien d’un oracle – et les rendre aveugles rappelle évidemment Tirésias, le devin aveugle qui accompagne la tragédie d’Œdipe, histoire de cet enfant dont un oracle dit qu’il tuera son père et épousera sa mère et dont les parents essaient de se débarrasser en le confiant à un berger qui pris de pitié ne l’abandonne pas : il finit adopté par Polybe, roi de Corinthe. Œdipe apprenant d’un oracle qu’il tuera son père s’éloigne de Corinthe pour préserver Polybe et gagne la Thébaïde où il tue Laïos, son véritable père, sans le savoir, et devient après avoir résolu l’énigme du Sphinx roi de Thèbes dont il épouse la reine veuve, sa mère.
Les oracles disent la vérité, reste toujours à savoir les interpréter.

Sans transition, le couple se retrouve seul, et Macbeth médite sur le sens d’un pouvoir sans succession. La question des enfants chez Shakespeare se pose à propos de la stérilité du couple, un couple royal stérile est toujours un drame dynastique, notamment si un pouvoir a été acquis de manière illégitime. Avoir un successeur c’est un moyen de légitimation et d’installation dans la durée (voir Napoléon, arrivé au pouvoir par coup d’État, devenu Empereur et qui pour légitimer sa lignée doit avoir un fils, d’où le divorce avec Joséphine et le mariage Marie-Louise d’Autriche qui lui donne un fils irrigué de sang Habsbourg.).
Alors la question de l’enfant va devenir obsessionnelle. Warlikowski a pris bien soin d’afficher jusque-là Macduff et Banco avec leur enfant, et l’enterrement de Duncan (nous l’avons vu) était aussi emblématique de la question.
Si la fuite de Malcolm qui a bien compris qu’il n’avait pas intérêt à rester à la cour, a laissé entendre qu’il avait commandité l’assassinat du père, c’est là pur artifice de communication politique. La vérité sous-tendue par tout le drame jusqu’à la dernière image par Warlikowski, est qu’au bout de l’histoire déroulée par les sorcières, c’est Fléance, le fils de Banco qui gagne. Fléance, l’enfant dangereux. Comme l’était bébé Œdipe pour ses parents…

Alors Lady Macbeth chante La luce langue, l’air superbe ajouté en 1865 qui commence lui aussi par l’expression d’un doute, du moins tel que Warlikowski organise l’air : quand elle chante, l’expression Nuovo delitto n’est pas vue comme l’expression d’une décision, mais qu’un doute, une vague crainte, voire un désespoir qui la fait d’abord se regarder au miroir

Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

puis s’écrouler comme devant un nouveau gouffre (Asmik Grigorian est simplement extraordinaire…comment elle chante « requiem » par exemple en variant le jeu sur le souffle ! avant de se lancer dans la cabalette), même chez la Lady subsiste, une trace d’hésitation certes vite balayée. Toujours cette présence de l’humanité derrière le monstre qui se redresse en disant è necessario. Warlikowski refuse toute linéarité des sentiments, toute vision brute, mais toujours laisse un espace au personnage pour lui donner sa chance.

C’est pendant ce temps que Macbeth s’installe devant la TV et regarde Edipo Re de Pasolini et on y reconnaît les images initiales qui ouvraient le prélude. Le bébé qu’on croyait signe de bonheur et s’avère le bébé fatal, l’enfant instrument de fatalité. Celui par qui la fin et la mort arrivent, comme l’enfant des parents d’Œdipe. Macbeth devrait sans doute en tirer une leçon. Mais Macbeth est homme, et donc il ne tire aucune leçon de l’histoire et de la mythologie. C’est tout l’histoire des passions humaines, et toute l’histoire des tragédies. L’homme essaie de détourner les oracles quand il les comprend et s’il ne les comprend pas, (Macbeth subira et l’un et l’autre) il prend les décisions erronées.

Toute cette scène à la fois prémonitoire et symbolique se déroule pendant qu’en arrière-plan se prépare la table pour le dîner du final du second acte sans compter des passages dans la galerie vitrée, des arrêts, des regards, comme si ce qui se passait était l’objet de secrets, de complots, comme si le couple était déjà de toute manière condamné.
Un des traits de cette mise en scène, dû à l’espace unique, est la fluidité des passages d’une scène à l’autre, comme une longue glissade avers l’abîme.

La scène suivante (celle des assassins de Banco) est traitée de manière ironique, tous les meurtriers sont en imperméable et lunettes noires, comme pour un contrat mafieux, d’autant plus ironique que le but en est peut-être le meurtre de Banco qui réussira, mais surtout celui de Fléance, le fils, bien plus important (Macbeth vient de regarder Edipo Re de Pasolini et il en applique la recette) qui va rater. Pas bien forts ces assassins…
C’est d’autant plus ironique que la musique de Verdi, dansante et banale, n’évoque pas un assassinat futur, mais une équipée un peu légère : il faudrait d’ailleurs étudier ces musiques étrangement rythmées et légères qui accompagnent les groupes de comploteurs ou ceux qui trament quelque chose, que ce soit dans Macbeth, dans Rigoletto ou dans Un ballo in maschera par exemple, mais il y a d’autres exemples… comme une mise à distance, comme si ces gens ne méritaient pas une musique élaborée… D’ailleurs Macbeth semble vaguement conscient de leur côté amateur, il les passe en revue, arrange un col, les regarde avec méfiance, il préfère ne pas y penser et passe au centre de la scène où il prend sur la table dressée… une raquette de jeu de paume… le jeu des rois.

Ici, trois niveaux : sur le banc à jardin Banco et son fils, isolés, à droite, côté cour, le côté de la mort, les tueurs, les sicaires, et au centre, cette table qu’on continue de préparer depuis le début de l’acte et qui en semble donc le climax.
La scène se termine par l’apparition du couloir de la mort avec son plastique translucide dans lequel passent les tueurs, désormais comme un rituel.

L’air de Banco Come dal ciel precipita, un des airs de basse les plus célèbres de la littérature verdienne, se passe côté cour, dans une espèce de salon d’attente intime où Banco et son fils sont assis. Sur l’écran, une locomotive à vapeur en attente en gare… ça sent le départ… Banco est en chemise bretelles, et c’est son fils qu’il prépare au départ, l’habillant, avec l’aide de… la vieille dame des destins, qui est là pour garantir que les oracles s’accomplissent : lui va rester, jusqu’au moment où il comprend son destin (o tradimento). La scène est presque traitée comme une sorte de sacrifice consenti du père pour prémunir le fils qu’on voit pendant l’air marcher dans la gare, monter dans le train, et partir vers son destin. Le fils est d’ailleurs une « projection de l’enfant » aussi artificielle que dans un jeu vidéo (toujours cette face de porcelaine ou de celluloide…) comme si cet enfant allait devenir non réel, la projection du père (qui va mourir sous peu) mais aussi de Macbeth dont il va devenir l’obsession. Quant à Macbeth pendant le même air, il dessine sur un ballon gonflé, les boucles de Banco, faisant du ballon autour de la table (Banco est officiellement invité) sa cible, son obsession, puis le spectre.

La scène finale de l’acte II, est la scène phare de l’œuvre à la fois à cause du brindisi chanté par Lady Macbeth (Si colmi il calice) que du délire de Macbeth qui croit voir le spectre de Banco, premier signe de la descente en Enfer du couple. Le sommet de la gloire et le début de la fin.
Warlikowski va construire la scène d’une manière à la fois conforme au livret, mais en semant en même temps une succession de signes lisibles ou cryptiques, qui à la fois soulignent la nature du pouvoir exercé, mais aussi les angoisses, jouant sur le politique et le personnel en un jeu très serré composé d’une mosaïque de petits éléments, de petits faits soit ironiques, soit fortement référentiels d’une telle densité que le spectateur peut se sentir  un peu perdu.

Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Vladislav Sulimsky (Macbeth), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor,

D’abord, la table est dressée avec un plan de table comme dans les dîners officiels. Vu les convives, c’est essentiellement Banco et son fils, la famille Macduff et le couple Macbeth.
C’est un dîner de cour, et entrent latéralement assis sur des gradins les courtisans, qui vont évidemment assister au dîner, un peu comme à Versailles se donnait à voir le souper du roi, cette idée de cour, de dîner offert en pâture quotidienne à la cour du Roi Soleil, est presque confirmée par ce soleil en néons qui descend des ceintres, le dîner du roi triomphant.

Mais, l’assemblée des courtisans sur des gradins rappelle aussi que le décor est une salle de sport, une salle de jeu de paume (le jeu des rois, je me répète) : on va en quelque sorte assister à un jeu de rois… et l’entrée de la famille Macduff est marquée par l’enfant qui jette une poupée à Macbeth qui la remet à Lady Macbeth qui la tient un instant comme un bébé… puis la met de côté ; c’est fugitif, mais donne le ton de toute la scène…
C’est alors que Macbeth regardant le plan de table se met à jouer avec l’enfant de Macduff d’abord au bras de fer puis il lui offre une raquette de jeu de paume, (comme on offrirait une sorte de sceptre) qui immédiatement se lève pour faire les gestes du jeu alors que Macduff va bientôt la prendre en faisant les mêmes grands gestes de joueur de paume (sorte de tennisman…). Inutile de déchiffrer le symbole, il se décline à vue… Tout le monde joue un peu au roi (l’enjeu réel) dans cette petite assemblée, et en même temps, les douces âmes ne peuvent éviter aussi d’y voir un moment d’attendrissement de Macbeth sur l’enfant, celui de l’autre, celui qu’il n’a pas (et qu’il fera d’ailleurs assassiner…). Warlikowski évidemment joue sur l’ambiguïté.
Lady Macbeth est vêtue de manière assez excessive, robe longue de soie multicolore, épaules dénudées et surtout coiffure très sophistiquée qui fait penser à une tenue de scène (on a vu dans cette coiffure une tenue qui rappelait Eva Peron, qui fut comme on le sait comédienne), renforcée par la descente du soleil-néon.

Le brindisi (pendant lequel Macbeth qui semble nerveux caresse encore la tête du fils Macduff…) est conçu comme un numéro de cabaret et le soleil derrière rappelle aussi le film « L’Ange Bleu » de  Josef von Sternberg (1930),

Marlene Dietrich dans "L'Ange Bleu" avec le soleil en fond

il y a le public, le fond de scène en soleil levant (on pense aussi au drapeau de l’Empire du Japon) et l’escalier indispensable dans les scènes de cabaret. Pour renforcer l’allusion, le public (le chœur) se balance de droite à gauche rappelant certaines assemblées de partis totalitaires, impression renforcée par le fait qu’au-delà des cotillons (comme une fête un peu forcée) chacun porte une médaille ou un signe distinctif d’appartenance à un parti (ou à une organisation). On a donc tous les signes du pouvoir totalitaire, les adhérents, les officiels, le soleil levant…

Dîner tendu…

Les Macbeth ont pris le pouvoir, mais on le sait, ce pouvoir était déjà un pouvoir totalitaire
(souvenons-nous des brassards), l’allusion aux années trente par les costumes et les symboles achève d’en faire la démonstration.
La scène est particulièrement complexe et réglée avec une précision d’horloge, il faudrait entrer dans le détail des mouvements de chacun, pendant les apparitions du spectre, ici symbolisé par un ballon aux boucles dessinées, d’abord (celui qu’avait dessiné Macbeth) , puis un ballon installé sur un des fauteuils d’où Banco a chanté son air, et notamment les Macduff, interdits, à la fois pris entre le devoir de participation au dîner et leur gêne, mais aussi le jeu en arrière-plan de Macbeth avec les sicaires, les deux valets en noir dont l’un a les gants tachés de sang, qui ont enlevé Banco à la scène précédente et qui s’installent à table un instant à sa place et à celle de Fléance.

Dans un contexte de trouble, la reprise du Brindisi a des allures de chant d’encouragement, presque un chant de guerre, comme pour détourner l’attention, ce n’est pas du tout la répétition du premier couplet, avec une sorte d’énergie presque criée où Asmik Grigorian est stupéfiante.
La dernière partie est une sorte de délitement général, le bel ordonnancement du chœur se défait, à mesure qu’apparaît pour l’assemblée l’évidence des crimes, Macbeth devient de plus en plus halluciné et la Lady essaie de le calmer doucement, par des baisers ou des caresses (toujours ce couple soudé par le crime et par l’amour) et puis, le retour à table autour de la soupe (le dîner se poursuit…) s’achève quand la vieille dame des destins arrive avec le plat principal que Macbeth soulève, y découvrant un bébé sur une salade, vision subjective et délirante de Macbeth, qui m’a rappelé à la fois le Festin de Thyeste (encore une histoire d’usurpation de trône et de pouvoir teintée cette fois d’adultère : Atrée trompé par son frère Thyeste qui avait séduit sa femme Erope et eu d’elle plusieurs enfants, invita lors d’une fausse réconciliation Thyeste à diner et lui servit ses enfants en ragout… références mythologiques qui ne peuvent échapper à un Warlikowski hélléniste) et un film de Peter Greenaway, Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de 1989, où l’un des personnages est tué et rôti, puis présenté comme un plat à déguster… En tous cas une vision plus sarcastique qu’effrayante qui montre simplement le vacillement de la raison et le début de la fin, puisque toute l’assemblée se défait, et que le monde autour des Macbeth va s’empresser de fuir ; ironie aussi la chute du rideau sur lequel se projette le bébé aux légumes, comme une vision imposée cette fois à la collectivité des spectateurs. Là encore une vision sarcastique, sans rien de scandaleux ou de pervers, au contraire de ce qu’a écrit un journal gratuit qui devrait se lire en vingt minutes et qui ne sollicite même pas vingt secondes de cerveau disponible… sans doute son premier (et dernier) article (lamentable) sur Salzbourg…

 

Acte III

La dramaturgie verdienne fait de cet acte III, après le climax que constitue la scène di Brindisi qui commence par une fête et se termine en désastre, une sorte de relance, de nouveau début. La nouvelle visite aux sorcières n’a pas du tout la même couleur que la première. Elle est une déclinaison d’une sorte de chapitre : « Oracles, thème et variations ».
Le troisième acte en effet est presque exclusivement la scène des sorcières, plus développée qu’au premier acte et se termine par un court duo du couple qui s’enfonce dans le crime et le sang tout en s’affaissant, comme on va le voir.

Cette fois, Shakespeare et Verdi nous montrent non plus un oracle dont la prédiction est claire et lisible, comme au premier acte, sans problème d’interprétation, mais une nouvelle version de la pratique oraculaire, celle de la vérité révélée et cachée (du type de la célèbre réponse de l’oracle de Delphes à Crésus, raconté par Hérodote : Crésus demande à la Pythie s’il doit faire la guerre aux Perses de Cyrus le Grand et l’oracle lui répond : « Si tu fais la guerre aux Perses, tu détruiras un grand empire ». Crésus fait la guerre croyant détruire l’empire ennemi, est battu et détruit le sien…)

La réponse de l’oracle apparaît claire, mais celui qui l’entend, conduit par ses désirs, ses passions fait une erreur d’interprétation. C’est une méditation sur l’aveuglement humain.

Macbeth, soleil et sorcières : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor,

C’est ce type d’oracle, très différent du premier qui est ici proféré, et la musique de Verdi n’a plus ce côté dansant du premier acte. Les sorcières s’expriment sur une musique inquiétante et sinistre, l’ambiance a clairement changé.
Macbeth, qui est entrainé avec son épouse dans la spirale du meurtre, réinterroge les sorcières sur la suite, parce que la scène de l’apparition du spectre l’a fait chanceler, un peu comme Wotan, Wanderer chancelant, consulte une deuxième fois Erda dans Siegfried après l’avoir fait de Rheingold, et la réponse d’Erda a une tout autre couleur.
Par ailleurs, si dans le premier acte la rencontre des sorcières était (faussement) fortuite, elle est volontaire dans le troisième acte. Au premier acte, début d’une ascension qui se termine par la vue du gouffre.

Au troisième acte, c’est le début de la fin, qui va se marquer même physiquement sur le personnage. Warlikowski règle la scène avec une sorte de délectation remplie de détails incroyables, qui font de cette scène une scène de funambulisme entre réalité et fantasme, entre visions hallucinées et début de tous les délitements, avec cette fois la nécessité, le déterminisme du sang, dans le même décor que précédemment, avec le même Soleil en néon comme s’il n’y avait pas de rupture. Encore cette fluidité dont il était question plus haut.
Le sang était apparu presque timidement au premier acte au moment de l’assassinat de Duncan, puis plus nettement dans la scène des sicaires aux gants ensanglantés de la scène du repas, il va être cette fois protagoniste.
Quant aux sorcières, conformément au texte d’ailleurs, elles vont développer leur palette de symboles maléfiques, en veux-tu en voilà, avec comme dominant la déclinaison des poupons, suite toujours aussi sarcastique des dernières images de l’acte II.

D’ailleurs, en liaison avec l’acte II, d’une part, apparaît la vieille dame des destins si sympathique, toujours tricotant, et derrière elle un poupon percé d’aiguilles, malédiction bien connue des amateurs, avant même le début de la musique, à cour dans le petit salon d’attente où Banco préparait son fils (côté cour, côté mort, n’oublions pas), avec une petite fille entourée de poupées, dont celle offerte par le fils de Macduff à Macbeth : il y a quelque chose de volontairement caricatural dans ces visions qui sont moins des visions en direct que celles de Macbeth, aux limites de l’imaginaire ou de la psychose.

Au centre pour faire lien, la table du repas de l’acte précédent, recouverte elle aussi de poupons dont certains noirs, en décomposition, percés d’un poignard, les poupons déjà sacrifiés et les autres en préparation.  Tout cela renvoie au monde des messes noires, des bébés qu’on y sacrifie (Le polonais Warlikowski sait-il que dans les années trente, on accusait dans le Nord de la France les émigrés polonais très catholiques de sacrifier des bébés pendant les messes ?), bref à une imagerie traditionnelle, vue  par la mise en scène avec une certaine distance.
Remarquons l’éclairage de la table, isolée par un tromblon (un éclairage utilisé aussi dans le final de l’acte II) qui n’est pas sans rappeler les tromblons systématiquement utilisés jadis par le scénographe Max Bignens dans les mises en scène de Jorge Lavelli, une table qui sert en quelque sorte d’autel sacrificiel, puisque les petites sorcières (ou les sorcières, tout simplement) amènent une sorte de victime pour lui couper les cheveux traversés par des bandelettes comme les victimes sacrifiées de l’antiquité qui sera la guide de Macbeth dans sa vision.

La musique est bien plus noire qu’au premier acte, où les personnages semblaient au départ prendre les sorcières comme une sorte de plaisanterie, mais qui dès l’arrivée des compagnons en brassard s’est révélée plus sérieuse que prévue : c’est au début de ce troisième acte que Verdi avait placé le ballet obligatoire pour Paris dont il est intéressant de lire la description dans le livret :

Ballet

La scène est remplie d'esprits, de diables, de sorcières, qui dansent autour du chaudron.
Hécate, la déesse de la nuit et des sortilèges, apparaît. Tous se tiennent debout religieusement, et presque tremblants, la contemplant.
Hécate dit aux sorcières qu'elle connaît leur travail et qu'elle sait dans quel but elles l’ont invoquée. Elle examine tout avec soin, puis annonce que le roi Macbeth viendra les interroger sur son destin, et qu'elles devront le satisfaire.
Si les visions annihilent trop ses sens, elles convoqueront les esprits aériens pour le réveiller et lui rendre sa vigueur.
Mais on ne doit pas différer plus longtemps la ruine qui l'attend.
Les Sorcières ayant respectueusement reçu ses ordres, Hécate disparaît au milieu des éclairs et du tonnerre. Toutes dansent alors autour du chaudron dans un désordre infernal, et ne s'arrêtent qu'à l'approche de Macbeth.

Warlikowski s’appuie sur le point essentiel qui l’intéresse : Si les visions annihilent trop ses sens, elles convoqueront les esprits aériens pour le réveiller et lui rendre sa vigueur.
Mais on ne doit pas différer plus longtemps la ruine qui l'attend.

C’est un Macbeth à la fois complètement troublé et égaré qui doit être présenté et en même temps qui marque, comme le dit la didascalie, la ruine qui l'attend.
Mais Warlikowski montre la double postulation : d’une part des visions claires qui montrent que la chaine du sang est irrémédiable, ce sang que le couple avait des difficultés à supporter au premier acte, et d’autre part le début de la ruine se marque non par une prise de conscience personnelle, mais par un affaissement du corps : il s’écroule et se relève boiteux, effet clairement psychosomatique.

Entre rituels de sorcellerie assez communs dans l’imagerie traditionnelle puis dans la partie finale de la scène des sorcières, dans le monologue des spectres (Fuggi, o regal fantasma), déroulement, une fois de plus du couloir de la mort avec ses rideaux de plastique translucide la scène se déroule, ou du moins déroule ses visions de l’irrémédiable, et d’où vont apparaître les spectres qui troublent Macbeth.

Les trois apparitions sur fond de soleil qui a perdu sa couleur or, sont toutes sanglantes et mystérieuses, comme venues du fond des âges : les sorcières d’ailleurs n’ont pas d’âge, en attestent les masques de vieilles femmes que revêtent les petites filles.
Mais ces apparitions outre le sang ont en commun d’avoir la tenue de Banco au moment de son assassinat, pantalon brun, marcel et bretelles

Première appartition : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Grisha Martirosyan (Première appartition ),

La première est un homme en fauteuil (prémonitoire puisque Macbeth finit en fauteuil roulant) dont la tête est couverte d’un masque-casque de fer, poussé par une veuve en talons, mais avec la coiffure de Banco, la seconde, tout aussi sanglante, celle d’un enfant chauve, tenant un rameau d’olivier, la troisième celle d’un enfant-roi à l’évidence mésopotamien, Banco les unit, mais ces enfants ensanglantés sont évidemment une projection de ce rêve de Macbeth qui ne manquera pas en dernière question de demander aux sorcières ce que deviendra Fléance…

Deuxième apparition : Soliste du St. Florianer Sängerknaben , Vladislav Sulimsky (Macbeth)

L’enfant au rameau d’olivier (allusion à la forêt de Birnam qui avance sans doute)  chauve m’a fait penser allez savoir pourquoi au Yul Brynner des Dix commandements, vision égyptoïde (d’un Pharaon que l’Ancien testament accuse d’avoir ordonné la mort de tous les enfants juifs mâles, encore un massacre des innocents…) que j’ai dans ma tête (à moins qu’elle n’évoque celle d’un poupon de celluloide qui aurait trop grandi, vu le contexte) opposée à celle, cette fois très claire, de la dernière apparition, couronne haute, barbe longue, d’un roi mésopotamien…
Alors qu’il soit permis au spectateur que je suis de rêver à son tour soit à une allusion à l’oracle de Cyrus dont il était question plus haut, soit à Nabuchodonosor : entre Ramsès et Nabuchodonosor, deux épisodes bibliques (qui évoquent les errances des juifs) que le film de Pasolini, Il Vangelo secondo Matteo qui va suivre la scène, viendrait en quelque sorte parfaire, pour d’autres raisons.
Il y a un jeu de superpositions d’images, délirantes ou non, qui créent aussi chez le spectateur des errances, des visions très personnelles (j’ai vu Les Dix commandements quand j’avais neuf ans et certaines images m’ont poursuivi longtemps) qui de toute manière ne sont pas contradictoires avec la trame, images de pouvoir exorbitant, images de crimes, et en même temps images qui se superposent aussi dans la tête de Macbeth témoignages de son trouble, qui comme dit la didascalie du ballet plus haut « annihilent ses sens ».

La dernière partie de la scène est sans doute la plus frappante, parce qu’elle résume ce qui précède et met clairement al focale sur l’obsession de Macbeth : sortent du couloir de la mort à cour un à un des spectres qui sont autant d’enfants revêtus du masque de Banco, autant de petits Banco qui embrument l’âme de Macbeth avec l’idée magnifique de Warlikowski de répéter la scène du repas de l’acte précédent.

Vladislav Sulimsky (Macbeth), et tous les petits Banco

À l’acte précédent, il manquait Banco et son fils autour de la table et désormais on en a en veux-tu en voilà, en concentré du père et du fils, et sur la table (où sont encore les assiettes), tous les poupons dont le premier avait été servi par la vieille Dame à un Macbeth délirant déjà et ces « enfants Banco » déchirent et cassent les poupons tout en visant Macbeth par des jeux de miroir, en en faisant leur cible et illustrant une fois la ruine qui l'attend selon la didascalie du ballet. D’ailleurs le texte le confirme : il s’évanouit en disant O me perduto tandis que les sorcières appliquent l’ordre d’Hécate (voir didascalie ci dessus)
Ei svenne!… Aerei spirti, ridonate la mente al re svenuto ! (il s’évanouit, esprits des airs, redonnez son esprit au roi évanoui)
Voilà donc un Macbeth boiteux, laissé à terre dans sa vision si prémonitoire qui est trouvé par une Lady Macbeth aux cheveux défaits, au truc en plumes un peu défraichi, elle aussi sur le chemin de la déchéance, titubante, un verre à la main (sa sortie de scène avec ses pas hésitants au moment où entre Macduff est un moment de pur jeu tout à fait extraordinaire…).

Et le duo final de ce troisième acte rendu très court par l’absence du ballet initial, se conclut par la seule solution possible : la fuite en avant, d’autant que Macbeth comme il se doit a interprété les prophéties comme la liberté de tout faire :  « O Macbetto ! Macbetto ! Macbetto !
Esser puoi sanguinario, feroce :
nessun nato di donna ti nuoce. (O Macbeth, tu peux être sanguinaire et féroce, aucun homme né d’une femme ne peut te nuire). »
Comme souvent les humains il a pris en compte la première partie de la prophétie, et se trompe sur la seconde…

Vladislav Sulimsky (Macbeth), Asmik Grigorian (Lady Macbeth)

Ainsi donc la scène, au milieu des poupons brisés, de la table défaite, est un duo entre un homme diminué et une femme plus ou moins ivre qui se lancent dans le duo « Ora di morte – e di vendetta… » pensant à la mort des autres et à la vengeance contre les autres, alors qu’ils prophétisent leur propre mort et la vengeance des autres contre eux. Les derniers mots sont clairs, à prendre dans le sens opposé aux Macbeth « Ora di morte, ormai t'affretta ! Incancellabile… il fato ha scritto » (heure de mort, il est temps de te presser, irrémédiable, c’est écrit par le destin). C’est tout le programme du quatrième acte.

La transition entre troisième et quatrième acte est évidemment hautement emblématique : d’un côté pendant le dernier duo entrent les gradins du final de l’acte II, vides cette fois, soulignant l’isolement du couple fui de tous, entre aussi Macduff (qui ouvre le quatrième acte, toujours cette fluidité des transitions, pendant que la Lady sort de l'autre côté d’un pas hésitant comme nous le soulignions plus haut) et que Macbeth, à jardin quitte ses habits, aidé de ses serviteurs et se retrouve avec ses dessous ensanglantés (toujours le sang versé, motif de l’acte III), il s’écroule, et l’on apporte un fauteuil roulant pour l’y installer, la descente aux Enfers continue, mais on lui donne un uniforme militaire pour la guerre…

 

Acte IV

De manière assez traditionnelle, l’acte IV contient trois des plus grands airs de la partition, celui de Macduff, dalla paterna mano, celui de Lady Macbeth (l’air du somnambulisme : una macchia è qui tutt’ora) et l’air final de Macbeth (pietà,rispetto, amore) avec dans cette version une petite surprise supplémentaire….

Il s’ouvre sur le chœur « patria oppressa », chœur des réfugiés écossais qui en 1847 prenait place dans les grands chœurs patriotiques écrits par Verdi à l’instar du Va pensiero de Nabucco dans un contexte de Risorgimento, profondément modifié en 1865, puisque l’Italie a alors conquis son indépendance.
Warlikowski n’en fait pas un chœur intégré dans l’action, pas de vision de réfugiés pétris de douleur et de nostalgie, il en fait un chœur de deuil, un chœur funèbre qui accompagne l’une des scènes les plus fortes de la soirée, comme un accompagnement orchestral en dehors de l'action.
D’un côté sur l’écran apparaît Il Vangelo secondo Matteo de Pasolini, et la scène du massacre des innocents, et de l’autre entrent sur scène un cortège d’enfants en sous-vêtements, conduits par l’épouse de Macduff qui s’installent sur les gradins, à qui elle va donner une potion empoisonnée (style secte du Guyana) dans un gobelet de carton avec une paille, comme une boisson d’été achetée dans un quelconque fast-food, affectionnée des enfants. Et peu à peu, ils s’écroulent. La mère en donne la dernière lampée à son fils, puis avale le reste sans paille.
Suicide collectif, pour échapper au massacre.

Passage de l' acte III au IV : Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Jonathan Tetelman (Macduff) et le film "Il Vangelo secondo Matteo" en arrière plan)

Parallèlement, Macduff, qui a fui pour rejoindre Malcolm est bouleversé et pendant son air, on apporte un à un les cadavres des enfants, étalés au premier plan en ligne, le tout sous le regard lointain de Macbeth dans son fauteuil.
Warlikowski construit encore une fois donc une série d’images en superposition où le massacre des enfants tient la place centrale.

On comprend que le massacre des innocents soit le pendant filmique de la scène. En effet, le massacre des innocents fait suite à la prophétie qu’Hérode avait reçue de ses devins que le « roi des juifs » était né, c’est à dire une menace directe pour lui : il fait donc assassiner tous les enfants de moins de deux ans, mais comme l’histoire le raconte, le seul à échapper est Jésus que Marie emporte, et dont la naissance a aussi été objet d’une annonce (presque) oraculaire, l’Annonciation par l’Ange Gabriel. Comme Hérode, Macbeth, nouvel Hérode, fait assassiner tous les enfants possibles pour que Fléance fils de Banco ne lui échappe pas (c’est le sens du duo final de l’acte III), et Fléance, comme Jésus, échappe au massacre.
C’était d’ailleurs annoncé par les sorcières, mais on ne prend des prédictions que celles qui vous arrangent, comme dans la lecture des horoscopes. En cela une fois de plus, les Macbeth sont humains, trop humains.

Le monologue de Macduff qui suit est plus une méditation intérieure d’un père coupable, qui s’accuse d’avoir laissé massacrer sa famille, qu’un air de désespoir expressionniste, il alimente ainsi sa future vengeance (d’oublions pas les sorcières qui avaient averti Macbeth : O Macbetto ! Macbetto ! Macbetto !

Da Macduffo ti guarda prudente.) dans une scène dont les mouvements et la tenue sont presque parallèles à ceux de Banco au moment du départ de son fils dans le monologue Come dal ciel precipita, mais cette fois, en symétrique : il reste vivant et la famille est morte ce qui au théâtre n’est jamais un bon signe. Macduff n’est pas un héros, n’est pas un Banco, et Warlikowski dans les scènes finales, le montrera fortement. Mais déjà le rituel de mort terrible qui accompagne son air, où les cadavres des enfants sont exposés au premier plan détourne en quelque sorte par sa force les regards de Macduff pour se focaliser sur le tableau de ces petits corps sans vie… une manière aussi de dire où se trouve l’essentiel.
D’ailleurs la scène se conclut de manière terrible, comme une rupture. A peine la musique de l’air de Macduff s’éteint qu’on amène un pupitre, avec une musique radicalement différente. Malcom entre et le discours Macduff/Malcolm sonne comme un discours politique de comices : le chœur (le peuple) est caché hors scène au premier plan vers la salle, et sur scène, les gradins vides, le pupitre, des micros et les enfants morts, tout fait jeu de contrastes entre le duo sensé être un chant de guerre et d’entrainement et ces enfants morts. Warlikowski insiste en quelque sorte sur la vacuité… et un petit geste de Malcolm en dit long : il s’essuie ses lunettes, qui n'est pas précisément le geste d’un tribun, d’un futur roi. Entre Macduff qui n’est pas trop à l’aise avec sa propre histoire et Malcolm qui apparaît faible et mal dans sa peau, le futur ne semble pas vraiment assuré.

Le passé est d’ailleurs en mauvaise posture aussi, le roi en uniforme avec ses décorations apparaît en fauteuil roulant, et de l’autre côté Lady Macbeth entre en scène un peu ailleurs.
La scène du somnambulisme est musicalement une scène minimaliste, où tout est laissé à la voix. La musique de Verdi est complètement ascétique, presque décharnée. Là encore et comme dans toutes les scènes finales, Warlikowski prend la tradition à revers, introduisant la vie par-dessus tout là où règne la mort.
Le duo introductif entre la dame de Lady Macbeth est le médecin est comme un moment d’attente, suspendu, la dame de compagnie fait des réussites (on va voir que ce n’est pas si neutre…) et le médecin prend des notes sur le comportement puis le discours de la Lady qui n'est pas somnambule : tout le livret est respecté, elle porte une lampe au long fil qui est sans cesse une gêne ou un lien, et, en totale ruine physique, les yeux creux, elle est dans une sorte de crise d’insomnie, avec son masque de sommeil sur le front, et doublée d’une crise éthylique : elle ne cesse de boire, confusément, sentant l’alcool et le confondant avec l’odeur du sang, regardant la prétendue tache avec un œil vivace loin du somnambulisme traditionnel. Une crise entre l’alcoolisme et la folie, pendant que Macbeth sur son fauteuil n’est pas mieux loti, ou hagard ou endormi. C’est la vision de la ruine telle que décrite par les sorcières, mais dont les éléments structurants depuis le début sont toujours présents

  • Le couple, elle se dirige vers Macbeth, pas bien en point non plus, l’embrasse, le couvre de caresses,
  • Le sang qui reste un élément obsessionnel : elle va vers le lavabo, toujours là quand il faut, et s’y ouvre les veines.

Warlikowski conçoit ce moment, l’un des plus connus de l’œuvre non comme « suspendu » comme souvent mais comme le dernier avant la mort, avant le suicide (le texte en effet ne dit pas comment la reine est morte). C’est un moment à la fois dramatique et très concret, très réaliste, voire singulièrement vivant (notamment tous les gestes à table) qui n’a rien de la scène habituelle d’une Lady morte vivante, en cours de « zombisation ».

Cette force de vie même au seuil d’un suicide, est un trait qui va marquer toute la fin.
La Lady s’allonge au pied de son mari et gisante, elle attend la mort en lui prenant la main.
C’est alors dans ce désert glacé que Macbeth commence son air Pietà, rispetto, amore (il dit onore à la représentation vidéo, est-ce voulu ?) que Warlikowski fait sonner de manière désespérée et solitaire : – en haut dans la galerie, deux jeunes gens boivent et s’amusent, tout se défait et seul dans son fauteuil roulant le roi croit en la victoire, s’accrochant à un oracle qu’il a mal interprété. Tout l’air se chante à terre et se termine main dans la main avec Lady Macbeth expirante mais encore assez vivante pour recevoir son baiser et lui caresser le front… une mort à deux, à la Roméo et Juliette…

Une fin à la Roméo et Juliette ? Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Vladislav Sulimsky (Macbeth)

C’est alors que la Dame de compagnie arrive avec le médecin en disant Ella è morta… è morta la regina lui lançant la carte sans doute d’une dame (de pique ?) : Warlikowski par ce geste change la logique et justifie toute la fin de la scène. La dame de compagnie a vu la carte annonciatrice de drame et se précipite avec le médecin… pour essayer de ne pas arriver trop tard, à la Lady étendue reste un souffle de vie, si bien que dame de compagnie et médecin (avec trousse médicale adéquate) la sauvent… pendant que Macbeth appelle aux armes et qu’on lui présente son fauteuil…

Toute la fin de la scène va se dérouler avec le couple vivant, dans une sorte de pantomime étrange et destructrice, mais pas de ceux qu’on croyait… et en somme dérisoire.
Arrive en effet Macduff, chapeau, costume trois pièces et pistolet, tel un mafieux qui va exécuter un contrat, qui ne cesse de le pointer sans jamais tirer, pendant que Malcolm se penche sur la Lady remise en vie pour lui arracher la lampe au long cordon, avec lequel en un étrange ballet il va enserrer Macbeth sur son fauteuil roulant, puis la Lady à son tour, liés tous deux et regardant un peu goguenard le ballet autour d’eux.

Le couple coupâble do,nt personne ne sait trop quoi faire : Grisha Martirosyan (Diener), Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Vladislav Sulimsky (Macbeth)

En haut sur l’écran, l’étrange Fléance, être réel ou presque rêvé, celui qui a (presque) motivé tout ce sang, au milieu de la nature, observe sans expression ce ballet où Macduff pointe son pistolet sans tirer et où Malcolm essuie ses lunettes pour la dernière fois, pendant que Macbeth a devant lui la vision du petit spectre de Banco (avec le masque) qui observe tout et notamment le couple prisonnier, retenu là comme un trophée, presque sacralisé, si sacralisé que Warlikowski a fait insérer à ce moment l’air final de Macbeth de la version 1847, Mal per te, un air noble et retenu, qui n’a rien à voir avec l’agitation ambiante et qui tranche aussi avec la vision dérisoire de ce couple prisonnier que d’aucuns ont assimilé aux Ceaușescu. Sur l’écran ballet aérien d’enfants comme de petits anges autour de Fléance, l’absent toujours présent.

Epilogue

Tout pourrait s’arrêter là et les Macbeth pourraient mourir sous le feu de Macduff : le roi Malcolm arrive demandant où est l’usurpateur, Macduff lui indique en chantant salve o re non à Malcolm mais à Macbeth, ils tombent la veste qu’ils mettent derrière le dossier de Macbeth, comme s’ils prenaient date, mais tout est interrompu par le chœur de victoire rajouté en 1865.
Un chœur de victoire qui remet à la fin (théoriquement) les justes vainqueurs à leur place et donc qui est conforme au happy-end.
Mais Warlikowski ne le voit pas ainsi. D’abord le couple est vivant, se recroqueville l’un sur l’autre comme s’il reconstituait une sorte de cocon, et Lady Macbeth ne cesse de regarder ce qui l’entoure, passant du rire aux larmes, et n’hésitant pas avec son mari à braver de leur regard Macduff qui n’arrive pas à tirer. Le chœur continue et les deux vainqueurs sont de plus en plus perdus, Macduff vise une enième fois Macbeth, mais la foule envahit l’espace central et étouffe le couple, comme les soldats d’Hérode le font avec Salomé en un mouvement circulaire qui marque, dans la dernière seconde, une prise de pouvoir du peuple.
Même si c’est la scène finale de l’acte, je préfère appeler ce moment épilogue, parce que ce qui s’y passe n’est pas la suite logique de ce qu’on a vu jusqu’ici et qui devrait se terminer par la mort des Macbeth.

Warlikowski les préserve jusqu’à la fin, comme un trophée en une scène que j’appellerais volontiers flaubertienne, où la révolution, la guerre, la victoire, aboutissent comme dans la scène de la prise des Tuileries de l’Éducation sentimentale, à un clapotis.
Ce n’est pas le « peuple souverain » ici qui fait défaut, mais les deux successeurs, Malcolm et Macbeth (des deux il y en a toujours un de trop d’ailleurs) visiblement hors course et dérisoires.
C’est donc le peuple qui apparemment a le dernier mot : n’oublions pas que nous sommes dans un Jeu de Paume, et le peuple s’y rassembla en 1789 et s’y constitua en assemblée nationale : réuni en trois ordres, il n’en fit plus qu’un.
Warlikowski prend soin de diviser le chœur (maquillé avec des masques noirs dessinés de conspirateurs d’opérette ou de Joker de cour de récréation) en trois parties, les deux latérales et la partie centrale, qui chante la victoire, disposé comme les trois ordres, et ces trois ordres se réunissent en un mouvement circulaire qui étouffe le couple Macbeth, qui rappelle le dessin de David du Serment du jeu de Paume. Victoire du peuple sur la monarchie abusive (Macbeth) et la probable monarchie faible et velléitaire (Malcolm et Macduff).
Happy End démocratique, dans un état qui était totalitaire et violent.
-
Pas tout à fait.
Dans la galerie supérieure, le petit spectre de Banco, l’enfant au masque de papa, considère cette étrange scène, mais surtout se projette au fond une double vision

  • D’abord la forêt, la nature qui rappelle l’état de nature cher aux philosophes du XVIIIe et notamment à Rousseau : mais l’état de nature c’est la loi du plus fort
  • C’est alors qu’apparaît en dernière image quand se baisse le rideau, le jeune Fléance dont on avait vu le visage fixe, presque cellulosé (j’avais dit de porcelaine) peu avant qui marche d’un air décidé vers son destin de roi.

Alors, Adieu Macbeth et Lady, Adieu Malcolm et Macduff, Adieu peuple souverain.
A la fin c’est Fléance qui gagne, et vu son regard, l’avenir ne sourira pas…

Les aspects musicaux

Plus je pense à nos habitudes et aux modes d’écoute, qui varient selon les époques et les pratiques d’exécution, mais aussi selon la manière d’aller à l’opéra et de le vivre, plus je suis convaincu de la difficulté de chanter Verdi. Que tous les compositeurs aient leur style est évident, mais on a aujourd’hui un peut tendance à uniformiser l’opéra italien, à en définir le style par rapport au vérisme, et on entend chanter aussi bien Donizetti que Verdi et quelquefois Bellini, comme s’il s’agissait de Puccini (au mieux) ou Giordano (au pire), il y a une uniformisation du chant italien tirant vers le vérisme qui en banalise l’expression et qui en tue l’originalité. C’est une manière d’aplanir les difficultés. Sans doute l’internationalisation du chant lyrique et la présence continue au répertoire quotidien des opéras du chant italien amène à ce type de dérive qui fait tout confondre et mélanger.
Depuis longtemps, suivant en cela une chanteuse comme Martha Mödl, je suis persuadé qu’autant un chanteur moyen dans Wagner ne nuit pas (à quelques exceptions près) à l’œuvre qui réussit à surnager, autant la même chose en chant italien et notamment dans Verdi, peut détruire une représentation.

La carrière de Verdi à l’opéra est longue, elle de 1839 à 1893, 54 ans… Aujourd’hui cet espace de temps est écrasé et on a tendance à ne pas observer qu’en 2023, on ne chante plus l’opéra comme en 1969… le physique des chanteurs a changé, les mises en scènes se sont complètement transformées et ont transformé le style de représentation et surtout le répertoire s’est bien plus ouvert.
Dans la même mesure, quand Verdi écrit Falstaff (nous en parlerons), il prend en compte des évolutions du chant qui sont définitives, dans le style d’opéra, dans la manière de l’organiser, les opéras de Puccini tout comme les opéras véristes (on rappelle que Puccini n'est pas vériste).ne sont pas structurés comme un opéra de Donizetti,
En ce qui concerne Macbeth, quand la création a lieu au teatro della Pergola à Florence en 1847, Donizetti est encore vivant, et le style belcantiste est encore très présent dans les habitudes et les pratiques, même si la voix de la Lady est redoutable, elle procède d’une tradition (le monologue du somnambulisme peut-être clairement lu comme une scène de folie telle que celles qui pullulent dans le bel canto), mais déjà les choix de Verdi qui font la différence sont notables : la scène du somnambulisme est un des premiers exemples de minimalisme musical, d’assèchement orchestral qui renforce la solitude éperdue du personnage.

Mais Macbeth est revu pour Paris en 1865, et sa version définitive en italien est proposée à la Scala en 1874. Verdi était à la fois sourcilleux sur ses présentations d’opéra dans les différents théâtres (c’était un bon commerçant qui savait veiller à ses intérêts) mais aussi parfaitement conscient des évolutions du temps, du public, et des échanges explicites et implicites qui se développaient entre les artistes.
1874, c’est déjà le temps du chemin de fer, Bayreuth est en construction, Wagner a écrit presque toute son œuvre et ses écrits théoriques, et est déjà l’objet d’un culte et d’une folie curieuse (Verdi le note quand Lohengrin est créé en Italie à Bologne en 1871). En 1847, de ses « grandes » œuvres il a créé le Fliegende Holländer et Tannhäuser. Ce n’est pas le même monde intellectuel ni artistique, Verdi en observateur avisé du monde intellectuel le sait, l’observe, en tire lui aussi des enseignements, il évolue et pourtant reste aussi lui-même avec des principes qui jamais n’ont varié.
C’est que Verdi – on l’ignore ou on feint de l’ignorer- a toujours été très soucieux du livret, du texte, il y mettait souvent sa patte : on ne peut se permettre en chantant Verdi (quelle que soit l’œuvre) d’ignorer les accents, de savonner les mots, de manquer de clarté dans la diction. C’est vrai dans tout l’opéra et les plus grands chanteurs sont ceux dont la diction nous fait comprendre le texte, mais Verdi tout autant que Wagner avait un souci de la musicalité d’un mot qu’il savait accompagner à l’orchestre d’une manière adéquate. Regardons dans Macbeth une fois encore la scène du somnambulisme, miracle d’expression musicale et théâtrale en soi, mais regardons aussi le brindisi, où les reprises n’ont jamais le même ton, la même couleur. Il y a chez verdi un musicien du mot qui fait penser quelquefois au gueuloir flaubertien. La musique de Verdi est souvent d’un étonnant raffinement là où on ne l’attend pas, elle est aussi quelquefois en décalage : qui attendrait la tarentelle des sorcières ? qui attendrait à chaque fois qu’il se prépare un assassinat, une musique presque plus légère (on l’a souligné plus haut) comme pour nous dire – on est au théâtre, ça n’est pas tout à fait sérieux, et pour aussi imposer une distance presque … brechtienne…

Prenons enfin dans Macbeth le monologue de Macduff Dalla paterna mano, qui doit être un chef d’œuvre d’intériorité et de retenue pour produire cet effet d’une voix de ténor qui doit être solaire, dans un moment de totale obscurité : le soleil au service du nadir… Peu de ténors en sont capables ou même capables de comprendre la situation où se mélange accablement, culpabilité et en même temps désir d’avenir et donc de vengeance.

Oui, chanter Verdi est compliqué parce que Verdi exige une technique de base qui reste tributaire des lois du bel canto, un souci permanent du texte et de l’expression parce que les rythmes, la respiration musicale disent des choses des psychologies (voir l’amami Alfredo de Traviata toujours pris trop lent, au mépris de la partition, pour appuyer et faire pleurer Margot) et que Verdi a moins le souci de la voix que du théâtre. C’est d’abord un metteur en scène des voix, qu’il veut d’abord expressives avant d’être « belles ». Il n’y a rien d’apollinien chez Verdi au sens où il se complairait dans le joli à faire pâmer l’amateur de gosiers d’or.
D’où ses déclarations sur la voix de la Lady, qu’il ne veut pas « belle », qui doit être la voix de la déchirure, incisive, mais qui arrive aussi à douter, de l’acide et du miel mélangés, d’où aussi cette étrange distribution des tessitures, avec un ténor qui doit être toute nuance et retenue et surtout pas « ténor »,  Banquo spectral dès le début avec une voix qui doit être particulièrement profonde, et Macbeth un baryton, la voix préférée de Verdi, la voix la plus « humaine », et donc la plus plastique (voir Rigoletto) de la frustration amoureuse (Luna) qui peut être noire (Jago), impérieuse (Amonasro, Nabucco), et qui souvent est tout ensemble tendre, blessée, vengeresse (Renato, Carlo de Forza) et c’est enfin la voix de l’humanité (Boccanegra, Posa).
Et Macbeth, c’est tout à la fois la blessure, l’humanité, la fragilité, la terreur, la bravoure. C’est tout à la fois et donc un rôle d’une très grande complexité interprétative.

 

La distribution de ce Macbeth est dans l’ensemble solide et homogène, sans être vocalement exceptionnelle (à l’exception notable de la Lady).
Comme il se doit dans un Festival tel que Salzbourg, les rôles de complément doivent être impeccables étant donné aussi l’alchimie délicate d’un opéra de Verdi telle que nous avons essayé de la définir précédemment. C’est le cas de Caterina Piva, dame de compagnie qui tient son rôle et encore plus du médecin à la voix sonore et pleine de relief de Aleksei Kulagin (un futur Banco ?). Les deux membres du « Young Singers Project » Grisha Martirosyan (Serviteur de Macbeth) et Hovhannes Karapetyan (Sicaire/Héraut) tiennent aussi très dignement leur place. Que dans un tel espace, chaque voix même secondaire ou épisodique se remarque est un vrai signe positif.
On connaît Evan LeRoy Johnson qui appartient à la troupe munichoise et qui a participé ces dernières années à plusieurs productions de Warlikowski. Sans avoir une voix d’une puissance marquée, il a un timbre assez séduisant et montre dans Malcolm une vraie énergie juvénile et un engagement notable, aux côtés d’un Macduff cependant plus (trop ?) spectaculaire. Il constitue plutôt une bonne surprise.
Par ailleurs, et on le verra dans le détail, le travail scénique effectué avec Krzysztof Warlikowski contribue largement à tendre l’exécution vocale, à lui donner une couleur tantôt pathétique, tantôt noble, tantôt ironique, et l’engagement de chacun dans la mise en scène en servant les personnages sert aussi le chant. Il y a toujours – certes à des niveaux divers- une solidarité entre le chant et la mise en scène, et tout chanteur « à tête » est évidemment aidé dans son expression par ce que lui demande la mise en scène. Or, il y a ici un engagement supérieur de chacun dans les personnages voulu par la mise en scène, avec d’ailleurs un résultat presque paradoxal, par exemple pour le Banco de Tareq Nazmi qui vocalement n’a pas la couleur très sombre et sépulcrale de certains Banco qui ont marqué les scènes, comme Ildar Abdrazakov qui tient le rôle continument ou presque à la Scala depuis vingt ans ou avant lui un Nicolai Ghiaurov aux côtés de Claudio Abbado.

Vocalement il est en deçà de l’habituel attendu qui est celui d’une voix sépulcrale.
Comme c’est un chanteur de très bon niveau, intelligent avec ici une présence en scène très forte, physiquement, par le regard, par les gestes, par l’allure de ce personnage que je qualifiais de porcelaine, même s’il n’est pas familier de ce répertoire, par la relative pâleur vocale, il donne à Banco un profil moins attendu qui colle évidemment au projet scénique et qui ne dépare pas. Au disque ce serait autre chose, mais l’entreprise scénique est une alchimie fort sensible et dans cette alchimie, il trouve parfaitement sa place.
Je serai moins généreux avec Jonathan Tetelman, qui a reçu une ovation océanique pour une prestation discutable qui montre qu’un certain histrionisme vocal (ce que j’appelais plus haut la couleur vériste qui est de mode) fonctionne au niveau du public, mais montre que ce chanteur dont on fait grand cas (nouveau Corelli ou Domingo…) ne sait pas encore ce qu’est interpréter, ni ce qu’est le chant verdien, s’il sait en revanche ce qu’est se mettre en spectacle vocal.

Jonathan Tetelman (Macduff)

Il fait de ce rôle un rôle pathétique, à la Leoncavallo ou à la Mascagni, avec des sanglots rentrés et autres fanfreluches qui font spectacle et qui font pleurer la midinette, d’autant qu’il a un physique avantageux… il chante trop fort, à la limite du cri quelquefois (il faut montrer qu’il a de la voix, mais il y a des manières intelligentes de le faire et moins superficielles ou m’as-tu vu) et donc avec une pointe de vulgarité. Il n’a rien perçu de ce que ce moment pouvait avoir d’intérieur, de contradictoire, de méditatif aussi alors que la position assise que lui impose au départ la mise en scène devait un peu le faire réfléchir. L’air est piégeux et il est tombé dans celui de la facilité.
Il ne faut jamais croire les réputations montées en épingle…

Ce que j’écrivais sur Tareq Nazmi s’applique aussi partiellement à Vladislav Sulimsky, lui aussi excellent chanteur (on se souvient de son formidable Mazeppa à Baden-Baden), qui n’a pas le format habituel d’un Macbeth à l’italienne, ni l’émission italienne, mais celle typiquement slave sans vibrato et avec une projection qui quelquefois fait défaut, notamment au troisième acte où il manque de cette vigueur vocale désespérée qu’on a pu entendre chez de très grands Macbeth, mais ce manque est en quelque sorte presque une force dans cette mise en scène. Mais c’est indiscutable, il est le personnage voulu par ce spectacle, où il semble dès le départ entraîné sans le vouloir, contraint sans cesse de se surmonter lui-même. Le personnage ici est ni un lâche, ni un faible dominé par sa femme, mais bien plus par une fatalité qui l’écrase et qui l’entraîne. Bref, il n’est pas un monstre, il est banal, de cette banalité du mal dont je parlais plus haut, et cette voix-là convient parfaitement à ce personnage-là. On sent qu’il comprend intuitivement ce qu’on veut de lui et que son chant suit cette pente moins héroïque, sans le relief qu’ont pu avoir eu certains Macbeth, mais avec une incroyable présence en scène : il est méditatif, hésitant, et quelquefois ‑comme on dit aujourd’hui- un peu bipolaire, avec ses accès de pouvoir, de colère, de joie (au moment du couronnement). Il y a quelque chose de paradoxalement tendre dans ce Macbeth-là qui m’a beaucoup touché qui n’est pas le Macbeth noir baignant dans le mal et le sang. Ce Macbeth de Sulimsky, vocalement comme scéniquement est entraîné comme dans un courant violent qui mènerait à une chute d’eau, il est obligé d’épouser le courant et le cours des choses, et c’est ainsi qu’il chante. Ça n’est pas « verdiennement » toujours orthodoxe vocalement, mais il reste cohérent avec le livret et il est malgré tout un Macbeth très marquant.

Mais celle qui écrase tout à son passage, celle qui aimante tous les regards quand elle est en scène c’est Asmik Grigorian qui est une Lady Macbeth d’une incroyable vérité, et qui domine complètement la partition. Certes, elle n’a pas la couleur âpre et sombre que Verdi voulait, mais depuis Gencer, dont la voix avait une couleur sombre, mais pas âpre du tout, on chercherait en vain des interprètes d’un calibre et d’une couleur telle que Verdi la rêvait.
Et aujourd’hui où Anna Netrebko règne en Lady sur les scènes, encore moins.
Asmik Grigorian sait gérer toutes les facettes d’une voix capable de tout dire, d’abord parce qu’elle dit le texte d’une manière supérieurement claire, elle articule parfaitement chaque mot, elle en distille chaque vibration sur l’ensemble du spectre. Son chant est très contrôlé, millimétré même, avec des variations étonnantes de couleur : comment elle affronte la reprise du brindisi, comme si elle en faisait non plus une invitation à fêter, mais un chant d’entrainement d’une foule à la guerre, pour détourner l’attention du délire fatal de Macbeth. Comment, dans La luce langue, elle commence d’une manière lyrique, voire désespérée, en se regardant au miroir, comme détruite et abattue, et comment ensuite elle se remet et se lance dans ses imprécations meurtrières, comment enfin elle domine de manière presque unique le ré bémol pianissimo de la scène du somnambulisme qu’elle réussit à varier, sur le fil du souffle comme voulait Verdi… tout cela laisse songeur.
Évidemment, elle use dans ce rôle unique de ses dons d’actrice exceptionnels, toute la scène muette du début, les regards, l’angoisse, le sourire timide devant le médecin, la fierté rentrée, elle réussit à tout montrer, le désespoir au début, la ruine à la fin où on se demande si elle est vivante ou cadavre de clocharde attachée à son époux tout comme la scène du Brindisi traitée comme une scène de cabaret berlinois dont elle serait la chanteuse, ou la scène du somnambulisme où elle n’a pas l’allure défaite ou fantomatique habituelle, mais où elle continue de se dresser, fièrement, dans une sorte de vide abyssal autour d’elle. Elle se glisse dans la mise en scène, altière ou détruite, femme anxieuse ou reine comblée, Evita Peron ou Elena Ceaușescu, elle est tout à la fois et se perd dans le crime avec conscience et résolution, sans jamais abdiquer quelque reste d’humanité. Une magistrale prise de rôle, qui ne peut que susciter l’admiration éperdue.

Si Asmik Grigorian dans son interprétation aussi bien scénique que vocale ne souffre aucune discussion, les rôles d’hommes sont plus contrastés, soit un peu à côté malgré des dons vocaux indéniables (Tételman), soit des voix « hors style », mais qui sont tellement dans le rôle, et tellement musicaux qu’elles arrivent à convaincre, grâce à l’alliance du jeu et du chant, qui est d’ailleurs le propre de l’opéra.
En revanche si on salue la performance des petits chanteurs de Saint Florian (St.Florian Sängerknaben) de petits chérubins nourris au lait mystique brucknérien utilisés ici comme qui dirait à contre-emploi, plutôt décevante est celle du chœur, la Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor (la formation du chœur de l’opéra de Vienne l’été), avec dans le chœur des sorcières quelques décalages et erreurs de rythmes, et surtout dans patria oppressa, le grand chœur attendu de tous, où je les ai trouvés manquant singulièrement d’intensité. Leur prestation dans le chœur final était plutôt réussie. Mais on les a entendus meilleurs dans cette œuvre à Vienne, dans leur maison.

C’était Franz Welser-Möst qui devait assurer la direction musicale, un accident l’a contraint à renoncer et c’est Philippe Jordan, qui dirige régulièrement Macbeth à Vienne dans la production Kosky, donc également habitué aux musiciens du Phiharmonique de Vienne en fosse traditionnellement à Salzbourg.
Force est de reconnaître qu’il a une certaine affinité avec cette œuvre, plus qu’avec d’autres Verdi parce qu’il sait en faire ressortir les finesses, les ruptures, les éclats. Il dirige comme d’habitude avec beaucoup de précision en prenant soin de contrôler les volumes pour laisser les chanteurs s’exprimer, dont tous n’ont pas des voix tonitruantes. Sa direction imprime une certaine tension, ne refuse pas le spectaculaire, mais sait faire respirer la mélodie, imprimer un rythme, dessiner un univers plutôt varié, en développant une palette de couleurs particulièrement riche, donnant de l’œuvre une vision contrastée, nerveuse et sombre, mais aussi brillante. Il y aidé par le Philharmonique de Vienne, très au point comme souvent, dans sa routine salzbourgeoise de luxe où il ne se surpasse pas, mais assure une représentation de haut niveau orchestral. Il reste que c’est sans doute une des meilleurs moments entendus de Philippe Jordan.

 

Quelques mots pour conclure :

Indiscutablement la production dans son ensemble a connu un gros succès public, elle a été la production la plus vite remplie et il n’était pas facile de trouver des places. Musicalement, à part l’exceptionnelle prestation d’Asmik Grigorian, la star indiscutée du Festival, c’est un ensemble de très bon niveau sans faire partie des Macbeth de légende. Mais il n’y en a pas, ni à Salzbourg, ni ailleurs.
Scéniquement, il s’agit d’un travail supérieurement dominé de Krzysztof Warlikowski, débordant d’idées. Toujours fasciné par Shakespeare, il aime se perdre dans les méandres de cet univers dont on déroule sans cesse des fils infinis. Comme toujours, il présente un univers sculpté ad hoc par Malgorzata Szczęśniak dont les décors et costumes sont toujours frappants : on reste ébahi de la tenue initiale de Lady Macbeth, le jeu des vidéos (Kamil Polak, Denis Guéguin) est aussi passionnant entre références filmiques et visions presque abstraites de l’enfant (futur) roi, et les mouvements sont toujours impeccablement réglés (chorégraphie Claude Bardouil) :  il y a là comme toujours un style, comme chez les grands artistes, romanciers ou peintres, qui n’est pas plus répétition que le petit chien des tableaux de Carpaccio ou les mots du gueuloir flaubertien.

Ce qu’on aime en Warlikowski, c’est que si son univers nous est familier, il reste toujours surprenant, un peu déroutant, et donc jamais répétitif. Seuls ceux qui n’entrent pas dans cet univers nous assènent « il se répète » comme cette fois-ci où tout le monde s’est rué sur l’explication d’un couple en mal d’enfants qui compense en tuant ceux des autres (je schématise, mais c’est l’idée) alors que la question de l’enfant devient une question existentielle non pour la question du manque d’enfant (déjà traitée par Michieletto à la Fenice de Venise) mais celle du pouvoir sans enfant, du pouvoir dans sa stérilité existentielle. La question est politique : il s’agit de la délectation de l’exercice du pouvoir, une question que Shakespeare ne cesse d’explorer et en même temps de sa transmission et de sa légitimité, autre question typiquement shakespearienne
Devenant couple royal, ils sont condamnés d’emblée à n’être qu’un hapax et à justifier par le sang l’existence de leur pouvoir, entrainés presque malgré eux dans le crime sans bonheur. Un couple à mettre en vitrine comme il est mis en exposition à la fin et dont on ne sait plus que faire tant leur déchéance fait ressortir leur humanité, notre humanité.
C’est un regard désabusé que Warlikowski propose du monde, dans un autre style, tout aussi désabusé que celui de Marthaler dans Falstaff. À méditer.

 

La vidéo de ce spectacle est disponible sur Arte concert :
https://www.arte.tv/fr/videos/115046–001‑A/giuseppe-verdi-macbeth/

En ligne jusqu’au 27 octobre. Il est vivement conseillé de s’y référer pour suivre notre essai d’analyse.

Małgorzata Szczęśniak, Asmik Grigorian, Krzysztof Warlikowski

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Superbe analyse du Wanderer. C’est d’autant passionnant et utile, qu’ayant vu trois fois la vidéo, et comparant ici avec certaines descriptions et certaines illustrations, on se rend compte que les deux aspects se complètent. Evidemment dans la salle il est possible d’avoir une vue d’ensemble et les vidéo projetées apparaissent de manière simultanée avec la scène, aspects peu visibles en vidéo, celle-ci permettant par contre de mieux voir les acteurs-chanteurs, leur expression et la direction d’acteur. En tout cas la mise en scène dans tous ses aspects est somptueuse.
    J’avais une bonne base pour apprécier Macbeth : le disque de la Scala avec Verrett et Cappuccilli, dirigée par Abbado et la représentation à Garnier en 1984 avec Verrett, Bruson, direction G Prêtre et mise en scène de Vitez. Représentation que j’avais aimé, mais je ne suis guère retourné à Macbeth, trouvant, entre autres, que le resserrement de la dramaturgie en faisait un peu un récit de bande dessinée (genre : « les belles histoires de l’Oncle Paul »). Mais ici je n’ai pas eu ce sentiment du fait de l’extraordinaire cohérence de la mise en scène.
    Quatre moments m’ont particulièrement marqué, et finalement il font un peu passer le détail du déroulement en arrière-plan. 1- l’extraordinaire entrée d’Asmik Grigorian lors de la réception : impériale ! ;2- le meurtre des enfants et l’alignement de leurs corps qui m’ont évoqué l’exposition des corps de la 2ème de Mahler dans la mise en scène de Castellucci à Aix ; 3- désolé, mais cela a été immédiat, sans suggestion extérieure : la vision de Macbeth et de la Lady ficelés sur leur fauteuil et les Ceausescu lors de leur « procès » que j’avais suivi à l’époque ; 4- Macbeth et la Lady allongés, plus ou moins mourants, et essayant de toucher leurs mains ensanglantées (c’est autrement fort que le même procédé au 1 de Tristan à Bayreuth).
    Maintenant je me pose la question de la perception de cette représentation si ce n’était pas Asmik Grigorian qui interprète lady Macbeth : certainement moins d’enthousiasme. C’est bien là l’impact de quelques rares interprètes exceptionnels. C’était peut être ele cas de Callas, mais je ne l’ai jamais vue et je n’ai pas à travers les enregistrements la même perception (excepté Lucia Berlin 1955, exceptionnelle). Mais avait-on la même impression dans, par exemple, le cas de B Nilsson ? je l’ai vue en scène, je l’admire beaucoup mais ce n’est pas la même chose. Je crois que c’est en relation avec les qualités d’acteur / actrice. Dans cette période antique que j’évoquais, cela concernait à mon avis Anja Silja ou Wolfgang Windgassen dans le répertoire allemand, même s’il était raisonnable de discuter les qualités purement vocales. Mais au fond la question reste toujours : « prima la musica e poi le parole » ? Franchement ma perception va en faveur d’une parole et d’une mise en scène de grande qualité et d’une musique satisfaisante mais pas nécessairement le seul critère de qualité. Cela me parait être les cas de cette représentation. En tout cas c’est une représentation extraordinaire.

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