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La Maison morte de Janáček à la Ruhrtriennale, plus de bruit que d’orchestre

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Bochum. Jahrhunderthalle. 8-IX-2023. Leoš Janáček : De la maison morte/De la maison des morts, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après Dostoïevski. Mise en scène, décor : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec Johan Reuter (Alexandr Petrovič Gorjančikov), Bekhzod Davronov (Aljeja), Leigh Melrose (Šiškov), John Daszak (Skuratov), Stephan Rügamer (Luka, alias Filka Morozov), Alexey Dolgov (Šapkin), Neil Shicoff (Vieux détenu), Stephan Bootz (Čekunov, Détenu 1), Elmar Gilbertsson (Čerevin, Détenu joyeux), Peter Lobert (Commandant) et Alexander Kravets, Alexander Fedorov, Lluís Calvet y Pey, Robin Neck, David Nykl, Anatolii Molodets, Vladyslav Shkarupilo… Choeur de l’Opéra Janáček de Brno ; Bochumer Symphoniker ; direction : Dennis Russell Davies.

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Une distribution d'élite parvient à se faire entendre, mais l'orchestre est réduit à un discret accompagnement par la faute de la mise en scène.

Opéra hors normes, De la maison morte de Janáček est idéal pour des festivals à haute ambition musicale et scénique : la production de Klaus Michael Grüber à Salzbourg (1992, plus tard reprise à Paris) et plus encore celle de Patrice Chéreau aux Festwochen de Vienne puis à Aix (2007) en sont des exemples bien connus, avec à chaque fois des chefs à la hauteur, Abbado et Boulez. Pour la troisième et dernière année de sa direction, Barbara Frey l'a inscrite à son tour au programme de la Ruhrtriennale, dans la salle qui en accueille habituellement les opéras, la Jahrhunderthalle de Bochum, ancien bâtiment industriel devenu une vaste salle modulable. Le metteur en scène ne se prive pas d'exploiter à fond cette modularité : pas de coupure entre salle et scène, pas de places assises, pas de décor, mais une vaste structure métallique encadrant ce qu'on nous présente comme la cour de la prison.

Les spectateurs sont dans des galeries tout autour, mais aussi dans la cour elle-même ; les interactions sont cependant rendues impossibles : le chœur omniprésent occupe presque tout l'espace, les spectateurs sont donc plaqués sur les bords de la cour. Les seuls déplacements ont lieu d'un acte à l'autre : ce n'est en réalité pas une, mais trois cours successives qui occupent la longue halle – le plus impressionnant est le début de l'opéra, où le chœur vient en courant du fond de la plus éloignée des cours. Rien ne les distingue, et à vrai dire on se demande bien pourquoi prendre la peine de ces migrations, sinon pour dégourdir les jambes des spectateurs. On a pu voir sur Arte il y a quelques années une Lady Macbeth de Mtsensk mis en scène par Graham Vick dans une vaste salle de bal à Birmingham : la fusion entre la salle et la scène y semblait beaucoup plus aboutie et pertinente, même si la captation ne peut restituer l'expérience directe du spectateur.


Le meilleur de la soirée réside indubitablement dans la distribution réunie par la Triennale. Le plus extraordinaire par le jeu comme par le chant est certainement : son personnage, Skuratov, perd la raison au cours de l'opéra, et c'est bouleversant. , qui chante l'escroc violent Luka/Filka, n'a pas la force vénéneuse de Stefan Margita chez Chéreau, mais son personnage est plus humain, plus attachant malgré sa bassesse. dans le rôle du protagoniste Gorjančikov, est très présent, et parfaitement humain. On regrette que, comme chez Chéreau, le rôle d'Aljeja, initialement soprano, soit chanté par un ténor, , ce qui prive la partition d'un contraste essentiel (même le rôle de la prostituée est ici interprétée, en fausset, par un homme), même s'il s'en sort honorablement. apporte une activité inépuisable au dernier des grands récits de l'œuvre, celui de Šiškov ; parmi les nombreux rôles secondaires, on citera d'abord le commandant de , mais aussi l'interprète du Vieux détenu, , sorti de sa retraite pour cette production et remarquablement présent.

Hélas, si belle que soit la distribution, cette Maison morte manque cruellement d'orchestre. Sans doute , avec l', ne démérite pas, mais le problème ne se limite pas à la sonorisation qu'impose toujours cette salle qui n'est pas faite pour l'opéra. On en revient à la mise en scène : à force de vouloir souligner l'expérience collective, Tcherniakov impose des bruits parasites constants, exclamations, cris de douleur, rires, applaudissements, et même bavardages du chœur, sans compter ses déplacements. Le troisième acte, dans l'espace clos de l'hôpital du goulag, apporte un peu de répit, et on peut enfin se concentrer sur les personnages. Tcherniakov le revendique, il ne s'est pas préoccupé de l'univers carcéral, mais de l'humain, encore que la complaisance face à la violence physique même là où elle n'est pas prévue dans l'œuvre ramène l'œuvre du côté du cliché plutôt que de l'en éloigner. Le problème du spectacle est donc triple, à la fois dans la réalisation musicale, dans la vision de l'œuvre de Tcherniakov et dans la lourdeur du dispositif de mise en scène. L'expérience inhabituelle que constitue la soirée est certes son principal atout auprès du public, mais le problème est bien là : ce que Tcherniakov offre ainsi au public, c'est d'abord une expérience, un moment inhabituel, un peu l'équivalent d'un saut en parachute ou d'un restaurant gastronomique. Ce n'est pas le meilleur qu'on puisse tirer d'un des opéras les plus poignants et les plus actuels de tout le répertoire.

Crédits photographiques : Volker Beushausen

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