La clemenza di Tito © OBV-Annemie Augustijns
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La clemenza di Tito par Rau : à la recherche des émotions perdues

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Progressivement, le public s’installe dans la salle illuminée de l’Opéra d’Anvers.
Étrangement, la scène n’est ni dissimulée par le traditionnel rideau rouge, ni habitée uniquement par un décor silencieux et mystérieux.

Un groupe de personnes s’y déplace de manière décontractée, en conversant et en savourant du champagne. Acteurs et chanteurs semblent déjà dans leurs rôles.

Le brouhaha des discussions persiste dans la salle, car officiellement, le spectacle n’a pas encore commencé. On ne nous a pas demandé d’éteindre nos portables, le chef d’orchestre n’est pas encore apparu sous les applaudissements, et la lumière n’a pas baissé.

Cette approche inhabituelle crée une atmosphère intrigante et immersive. Au lieu de suivre la traditionnelle séquence de préparatifs, nous sommes immergés dans un espace où la frontière entre la réalité et le spectacle est floue.

La clemenza di Tito © OBV-Annemie Augustijns
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Milo Rau, le metteur en scène, tient ses promesses en nous offrant une approche provocatrice de « La Clemenza di Tito ».

L’opéra de Mozart se déroule dans un camp de réfugiés, où acteurs professionnels et non professionnels se côtoient, le tout assaisonné par une violence graphique et sanglante, digne des séries les plus frappantes des plateformes de streaming.

Dans cette relecture radicale de l’opéra de Mozart, des réfugiés ayant fui persécutions et conflits armés côtoient des hipsters dont l’engagement semble se limiter aux slogans imprimés sur leurs t-shirts.

La clemenza di Tito © OBV-Annemie Augustijns
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Sur scène, on retrouve une multitude d’élements : des vidéos en plans serrés qui agrandissent l’action scénique, des monologues au microphone, des mini-documentaires sur les chanteurs et les acteurs, des surtitres qui passent soudainement du libretto de l’opéra au contenu des vidéos.
Ce tourbillon d’informations surcharge malheureusement le public et détourne son attention des chanteurs, qui s’efforcent de transmettre des émotions profondes et d’offrir de superbes lignes mélodiques.

Dans ce maelstrom d’histoires, d’époques, de langues et de médias, on a du mal à suivre le récit, à comprendre les personnages et à empathiser avec eux.

Si la voix de ténor de Jeremy Ovenden est impeccable et son personnage interprété avec cohérence, son Tito aux cheveux en bataille pourrait être n’importe qui, tout comme la Servilia de Sarah Yang, qui pourtant se fait remarquer par sa belle voix touchante.

La clemenza di Tito © OBV-Annemie Augustijns
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Anna Malesza-Kutny livre des superbes prouesses vocales comme si de rien n’était, mais sa Vitellia demeure froide et sa transformation, passant de manipulatrice machiavélique à femme repentie, échappe au spectateur.

Anna Goryachova s’investit pleinement pour nous offrir un Sesto émouvant et sincère, déchiré entre amour pour Vitellia et loyauté envers Tito. Malheureusement, cela est ruiné par une mise en scène chaotique qui va jusqu’à la faire chanter dos au public.

Caché sous un bleu de travail, des lunettes d’aviateur et une coiffure improbable, l’Annio de Maria Warenberg émerge comme l’un des personnages les plus attachants de cette production, grâce aussi à sa diction impeccable.
Dès sa première entrée en scène, le mezzo captive le public avec une interprétation naturelle et communicative, une sonorité soigneusement travaillée et une touche de second degré. Son couple « lesbien » avec Servilia fonctionne parfaitement et suscite toute notre sympathie.

La clemenza di Tito © OBV-Annemie Augustijns
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Malgré des choix scéniques astucieux, tels que les décors tournants et la présentation préalable d’œuvres d’art illustrant les moments clés de l’opéra à venir, la seule envie qu’on a est celle de fermer les yeux et de se laisser envelopper par la splendide musique de Mozart, sublimée par la direction soignée d’Alejo Pérez.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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