À Bucarest, Saint François d’Assise de Messiaen met en exergue les personnalités

- Publié le 21 septembre 2023 à 15:38
Joignant les forces du Balcon à celles de l’Orchestre de l’Opéra de Bucarest et d’un vaste ensemble choral, Maxime Pascal et un plateau de chanteurs idéalement divers offrent une version de concert sensible et engagée de l’œuvre-monde de Messiaen. Le dessin-vidéo de Nieto ajoute une touche supplémentaire de poésie onirique à cet univers foisonnant.
Saint François d’Assise de Messiaen

Avec ses « Scènes franciscaines », Olivier Messiaen disait « [avoir] voulu marquer, dans la succession des huit tableaux, la progression de la grâce dans l’âme d’un saint ». Empruntant au genre de l’opéra une structuration classique en actes et tableaux, le compositeur brosse un portrait puisant directement aux sources anciennes qu’il a lui-même élargies en livret : Fioretti, Considérations sur les stigmates, témoignages de franciscains du XIIIe siècle (Thomas de Celano, saint Bonaventure), écrits (rares) du saint (Cantique des créatures) accueillent ici et là quelques références aux Écritures (Ecclésiaste, évangile de Luc) ou plus tardives (Imitation de Jésus Christ).

Musique-monde

Dirigeant sans baguette, comme à son habitude, Maxime Pascal exalte remarquablement cette musique-monde, dans laquelle le compositeur lui-même voyait une « synthèse [de ses] découvertes musicales ». Les emprunts aux esthétiques extra-européennes portent avec évidence la marque d’un « ailleurs », qu’il soit jeu de claviers percussifs introduisant l’essentiel des tableaux, à l’instar du gamelan balinais, ou référence au théâtre Nô dans le traitement (et l’accompagnement musical) du chœur-commentateur. Les leitmotivs sont parfaitement différenciés, jusqu’à leurs transformations les plus infimes, de même que la diversité des atmosphères de chacun des tableaux. La scène du Baiser au Lépreux (troisième tableau) est à ce titre une absolue réussite, qui évolue presque insensiblement d’une volontaire laideur stridente en une jubilatoire danse de la guérison.

La formidable cacophonie de la scène du Prêche aux oiseaux (sixième tableau) est bien le « grand fouillis organisé » polymusical que Messiaen avait « cherché et obtenu » : les plus subtils des chants s’y discernent sans peine, poétiquement soulignés par les images vidéo de Nieto, fins traits dessinés sur fonds colorés qui envahissent l’écran placé derrière le plateau, débordant parfois sur les côtés. Surtout, cette dense masse orchestrale – Le Balcon s’est ici joint à l’Orchestre de l’Opera Națională București – parvient à envelopper les chanteurs et à exalter leur ligne sans jamais couvrir le texte, ce qui, sans fosse, tient du prodige. Le vœu du compositeur est ici parfaitement respecté, qui souhaitait que les paroles fussent toujours parfaitement compréhensibles.

Éloge de la diversité

La distribution, particulièrement convaincante, fait la part belle aux personnalités vocales. Si l’on peut s’étonner de l’hétérogénéité de certains partis pris, on adhère finalement sans réserve à cet éloge de la diversité. Antoin Herrera-López Kessel, passée une légère tension initiale, triomphe dans le rôle-titre : conduite, souffle, et une certaine « douceur posée », intensément intérieure font de lui un François idéal. Ses « frères » sont aussi différents que possible. Mathieu Dubroca, parfaitement naturel en Frère Léon, attachant dans ses craintes récurrentes (« J’ai peur, j’ai peur sur la route »), Rodolphe Briand âpre et condescendant en Frère Elie, Andriy Gnatiuk tendre et bienveillant en Frère Bernard, Safir Behloul doux et souriant en Frère Massée. Le Lépreux trouve en Damien Bigourdan un interprète superlatif, agressif dès son entrée, transfiguré après sa guérison. L’Ange pur d’Elena Tsallagova complète heureusement cet ensemble remarquable. Seul maillon faible : le chœur, dont le texte, pas toujours clairement énoncé, disparaît trop souvent dans la masse orchestrale. Petit bémol face à la qualité de ces quatre heures engagées avec rigueur, enthousiasme et générosité que, même en version de concert, on ne voit nullement passer.

Saint François d’Assise de Messiaen. Bucarest, Festival Enescu, le 20 septembre

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