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​Les Boréades (version de concert) sous la direction de György Vashegyi au Théâtre des Champs -Elysées – Jouissons d’un horizon serein – Compte-rendu

À l’heure où l’on nous répète que l’opéra français du XVIIIsiècle coûte trop cher à monter, dans une saison parisienne qui ne proposera aucune production scénique d’œuvre de Rameau, réjouissons-nous que les versions de concert permettent de retrouver non pas une, mais deux fois, l’ultime chef-d’œuvre du Dijonnais. En effet, Les Boréades, que présente le Théâtre des Champs-Elysées en ce mois de septembre, reviendra en fin de saison, à Versailles, dirigé par Václav Luks. Avant cette version de concert tchèque, c’est une proposition hongroise que l’on découvre à Paris, celle que viennent d’enregistrer à Budapest les forces locales dirigées par György Vashegyi (photo), ultime étape de la collaboration entre le chef et le CMBV qui a débouché sur toute une série de redécouvertes et d’enregistrements.

Dans Les Boréades, Rameau n’est pas tendre avec les musiciens, puisque l’ouverture exige une forte participation des cors pour évoquer la chasse royale d’Alphise, et l’on sait combien les instruments anciens sont capricieux dans ce pupitre. L’orchestre Orfeo n’en propose pas moins une interprétation à la large palette de couleurs, les quatre flûtistes étant particulièrement applaudis à la fin de la soirée. Même dans la direction « sage » de Györgi Vashegyi, qui jamais n’épaissit le trait ni n’exagère les contrastes, le génie de Rameau éclate à chaque instant, et l’on est heureux de confirmer le soupçon suscité par le disque « Jouissons de nos beaux ans ! », enregistré avec Cyrille Dubois et sorti tout récemment : une fois restituées dans la continuité du discours, au sein de l’opéra entier, les options du chef hongrois s’imposent avec plus d’évidence, et l’on profite pleinement de cet « horizon serein » que déroule l’orchestre, pour reprendre les mots ouvrant le grand air d’Alphise. Sérénité d’ensemble qui n’empêche en rien les différents caractères de l’œuvre de se manifester, notamment avec la contribution du chœur Purcell, décidément chez lui dans ce répertoire qu’il pratique maintenant depuis de nombreuses années.

 

Sabine Devieilhe © Molina Visuals
 
Bien entendu, on attendait au tournant Sabine Devieilhe dans le rôle principal féminin, qui exige à la fois une virtuosité extrême (pour les cascades de notes de l’air « Un horizon serein », justement) et une véritable étoffe dramatique. La soprano exploite ici au mieux ses qualités, conférant à son personnage la noblesse attendue et la tendresse espérée d’une reine amoureuse, avec un bel appui dans le bas de sa tessiture, souvent sollicité. A ses côtés, Gwendoline Blondeel combine toutes les menues interventions des figures secondaires qui gravitent autour d’Alphise, avec une voix un rien plus centrale mais tout aussi agile.
 
Reinoud van Mechelen © Senne Van der Ven

Du côté des messieurs, on retrouve une équipe d’habitués des productions du CMBV. Thomas Dolié revêt une fois de plus – non sans délectation, on le suppose – les habits du méchant, et l’on regrette que Borée n’arrive qu’au dernier acte. Tassis Christoyannis prête à Adamas/Apollon un timbre sonore et une autorité exemplaires. Fidèle à lui-même, Philippe Estèphe est un Borilée plein de mordant et d’ironie. Signalons quand même, en Calisis, un nouveau-venu : Benedikt Kristjánsson, ténor islandais qui évolue sans effort apparent dans un registre éprouvant, et avec un français excellent. Terminons avec l’autre haute-contre de la distribution, Reinoud van Mechelen, dans un rôle créé par Jélyote, auquel il rendait hommage dans le deuxième volet de sa trilogie consacrée aux ténors français des XVIIet XVIIIsiècles (le troisième CD, « Legros, haute-contre de Gluck », vient de paraître). Totalement maître de ses moyens, l’interprète déploie une superbe expressivité dans les airs comme dans les récitatifs qu’il a su s’approprier, et n’est pas moins à l’aise dans les passages exigeant souplesse et vélocité. L’intégrale qui sortira dans quelques mois sera sans doute un ajout précieux à la discographie ramiste.

Laurent Bury
 

Rameau :  Les Boréades (version de concert) - Paris Théâtre des Champs-Elysées 23 septembre

Photo © Wagner Csapo Jozsef

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