Rusalka à l'Opéra de Bordeaux © Éric Bouloumié

Première bordelaise de Rusalka de Dvorak en natation synchronisée

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Le chef-d’œuvre lyrique de Dvorak, Rusalka, fait son entrée au répertoire de l’Opéra national de Bordeaux dans une mise en scène de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil qui resitue le conte de Kvapil dans l’univers de la natation synchronisée. Sous la direction de Domingo Hindoyan, Ani Yorentz livre une incarnation vibrante du rôle-titre.

Créé triomphalement à Prague en 1901, Rusalka a néanmoins mis du temps à s’imposer sur la scène internationale. Donné pour la première fois en France en 1982, l’opéra de Dvorak n’avait encore jamais été joué à Bordeaux. Son entrée au répertoire du Grand-Théâtre se fait dans le cadre d’une nouvelle coproduction initiée par la région Sud et ses quatre institutions lyriques : Avignon, Nice, Toulon et Marseille. Elle est confiée à Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil et leur collectif Le Lab. En donnant à la naïade et au livret de Kvapil – qui renouvelle une légende popularisée par La petite Sirène d’Andersen – les visages contemporains de la natation synchronisée, le duo dissout la distance du merveilleux pour n’en conserver que la puissance imaginaire intemporelle traduisant la difficile chrysalide de l’adolescence et la découverte par une jeune fille de sa féminité.

Ainsi Rusalka devient une jeune nageuse qui fait sécession vis-à vis de ses partenaires de compétition emmenées par un Esprit des eaux aux faux-airs de Philippe Lucas, tandis que Jezibaba, la sorcière, revêt l’uniforme d’une femme de ménage. Dans les vidéos de natation synchronisée qui jalonnent le spectacle – et utilisées opportunément pour les numéros de ballet –, une voix off témoigne de la lassitude de l’héroïne qui aspire à s’émanciper du groupe réduisant à des clones les jeunes sportives.

Rusalka à l’Opéra de Bordeaux © Éric Bouloumié

Pour autant, cette plongée psychologique – en un geste similaire à celui de Robert Carsen à l’Opéra de Paris il y a une vingtaine d’années, avec un résultat cependant autre – ne tend pas vers la simplification réaliste, et ne se s’interdit pas l’humour, fût-il amer, à l’exemple des chorégraphies de nymphes au bord du bassin vide où gît Rusalka, ou au cœur de la solitude mutique de cette dernière avec son bocal à poisson rouge. La tension dramatique n’est peut-être constante tout au long des trois actes – le décor unique laisse un peu en creux le deuxième, rythmé par les mondanités de l’amour. C’est sans doute dans les panoramas paysagers – de landes marécageuses qui pourraient être celles du Médoc voisin – et la couche virtuelle suggérant l’eau et le remplissage de la piscine que se révèle le mieux la qualité évocatrice du travail vidéo de Pascal Boudet et Timothée Buisson, et, partant, du feuillage suggestif de la relecture de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, qui retient la quintessence universelle des significations de l’oeuvre.

Rusalka à l’Opéra de Bordeaux © Éric Bouloumié

Dans le rôle-titre, Ani Yorentz se distingue par une authentique intensité expressive, faisant affleurer une touchante vulnérabilité sans sacrifier la sensualité vocale. La princesse étrangère, campée par Irina Stopina, contraste par un timbre plus monolithique qui résume l’indifférence morale de la séductrice. L’homogénéité et la plénitude du mezzo de Cornelia Oncioiu soutient l’allure un rien matrone de la sorcière Jezibaba. En Vodnik, l’Esprit des eaux, Wojtek Smilek émeut par une autorité paternelle marquée d’une tendresse que la maturité de la basse polonaise éclaire. Si le Prince de Tomislav Muzek pâtit d’une fragilité de l’émission que ne compense pas entièrement l’humanité du personnage, les trois nymphes dévolues à Mathilde Lemaire, Julie Goussot et Valentine Lemercier, ainsi que les interventions de Clémence Poussin en garçon de cuisine, et Fabrice Alibert en garde-forestier et chasseur, nourrissent la couleur du drame, au folklore réinventé.

Préparés par Salvatore Caputo, les choeurs y participent pleinement. Quant à l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Domingo Hindoyan le fait sonner généreusement, sans réduire la partition à son inspiration pittoresque, à l’image d’une proposition qui ne sacrifie pas à la réinterrogation des légendes le plaisir de leur attraction imaginaire.

Gilles Charlassier

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