A Tokyo, Simon Boccanegra sous un volcan

- Publié le 20 novembre 2023 à 08:55
Co-produit avec le Finnish National Opera d’Helsinki et le Teatro Real de Madrid, l’ouvrage de Verdi est présenté au Japon avec une distribution de chanteurs majoritairement italiens, dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction musicale de Kazuchi Ono.
Simon Boccanegra de Verdi

Trésor de la culture occidentale, notre bon vieil opéra est vénéré bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident. Au Japon par exemple, où le New National Theatre Tokyo (NNTT) présente une dizaine de titres chaque saison depuis 1997, dans sa salle ultramoderne de 1800 places, à l’acoustique aussi boisée que son décor – à laquelle s’ajoutent une salle pour le théâtre parlé de 1000 sièges et un auditorium pouvant accueillir 468 spectateurs.

Certains ouvrages sont co-produits avec de grandes institutions européennes. C’est le cas de ce Simon Boccanegra dont le public japonais a la primeur, et qui sera repris dès le printemps au Finnish National Opera d’Helsinki, puis au Teatro Real de Madrid en 2026. Actuel patron du Festival d’Aix-en-Provence, Pierre Audi assure la mise en scène, preuve supplémentaire que le NNTT avance désormais ses pions sur l’échiquier mondial de l’art lyrique.

Stylisation

Le spectacle suit la voie d’une stylisation bienvenue, grâce aux décors conçus par le plasticien Anish Kapoor. Pour le prologue, de grands panneaux triangulaires qui évoquent les voiles hissées sur les navires de la maritime Gènes, où se déroule l’action. Puis, pour les trois actes qui suivent, un volcan renversé, suspendu aux cintres, dont le cratère fumant s’ouvre au-dessus du plateau : trait d’union entre la géologie – et surtout l’imaginaire – d’Italie et du Japon ? métaphore visuelle du nom de Boccanegra (bouche noire) ? ou plutôt inquiétante déité, pesant sur le destin des protagonistes, prête à cracher sur eux ses flammes dévastatrices. Dans ce dispositif, le rouge et le noir dominent, en une nuit de feu qui se termine par une éclipse totale après la mort de Simon. N’ajoutant à la narration aucun élément superflu, la direction d’acteur, par son absolue loyauté, réussit le tour de force de rendre limpide une intrigue passablement tarabiscotée.

Les petits rôles sont tenus par des Japonais, alors que les principaux chanteurs (hormis la soprano, russe) sont italiens – un bonheur pour les délices de la déclamation. Roberto Frontali (Simon) a la tierce supérieure insolente et le cantabile qui font les grands barytons Verdi. Manque-t-il d’une once de volume et de noirceur dans l’expression de sa puissance ? Sans doute, mais certainement pas de demi-teintes ni d’un subtil dosage du pathos lors d’une agonie baignée de larmes.

Variations du sentiment

Si Irina Lungu (Amelia) pâtit au début d’un vibrato prononcé (le défaut disparaît après son premier air), la ligne reste tenue et raffinée, ornée de superbes messa di voce, avec une fêlure dans la voix par où passent toutes les variations du sentiment. La couleur latine et la projection insolente de Luciano Ganci (Gabriele) font leur effet, mais ce fier ténor devra affermir son art de la nuance et ses intonations. Riccardo Zanellato plonge avec aisance dans les tréfonds de la tessiture de Fiesco, alternant tendresse paternelle et éclats vengeurs. Enfin, Simone Alberghini (Paolo) met du fiel dans ses mots et dans son chant, avec un bel aplomb mais un muscle un peu faible pour ourdir les manigances de ce jumeau de Iago.

Le NNTT possède son propre chœur – splendide –, mais pas d’orchestre attitré. C’est le Philharmonique de Tokyo qui officie ce soir dans la fosse, avec ses cordes superbes, ses vents parfaitement dosés par un Kazuchi Ono maître des équilibres – et accessoirement directeur artistique du NNTT. Surtout, cette battue imprime au drame un mouvement perpétuel, en phase avec les effluves marins que Verdi a mis dans sa partition, sans s’interdire d’impressionnantes fulgurances lors des scènes de rébellion. Et tout du long une nervure, une électricité, des couleurs changeantes qui font régner l’esprit du théâtre.

Simon Boccanegra de Verdi. Tokyo, le 16 novembre. Représentations jusqu’au 26 novembre.

Diapason