Wolfgang Amadé Mozart (1756–1791)
Die Zauberflöte, K.620 (1791)

Singspiel en deux actes sur un livret d’Emanuel Schikaneder.
Création le 30 septembre 1791 au Theater auf der Wieden, Vienne

Direction musicale : François-Xavier Roth
Mise en scène : Cédric Klapisch
Décors : Clémence Bezat
Costumes : Stéphane Rolland, Pierre Martinez
Lumières : Alexis Kavyrchine
Images numériques : Niccolo Casas
Illustrations : Stéphane Blanquet

Cyrille Dubois (Tamino)
Regula Mühlemann (Pamina)
Florent Karrer (Papageno)
Catherine Trottmann (Papagena)
Jean Teitgen (Sarastro)
Marc Mauillon (Monostatos)
Aleksandra Olczyk (La Reine de la Nuit)
Judith van Wanroij, Isabelle Druet, Marion Lebègue (Trois Dames)
Ugo Rabec, Blaise Rantoanina (Prêtres/Hommes d’armes)
Josef Wagner (L’Orateur)
Trois Enfants : Solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine

Chœur Unikanti-Maîtrise des Hauts-de-Seine, direction Gaël Darchen
Les Siècles

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le mardi 14 novembre à 20h

On ne s'improvise pas metteur en scène d'opéra. C'est le triste constat que pourra tirer Cédric Klapisch, cinéaste bien connu du grand public et dont La Flûte enchantée peine à éveiller l'intérêt. La difficile alchimie de l'opéra semble résister aux tentatives qui cherchent ici à le contraindre à rentrer dans un cadre où les idées peinent à percer, tant en nombre qu'en cohérence. Le plateau alterne le meilleur (Regula Mühlemann, Catherine Trottmann) et les déceptions (Cyrille Dubois, Aleksandra Olczyk) quand, dans la fosse, on aurait pu attendre mieux de la direction de François-Xavier Roth à la tête de son orchestre Les Siècles. 

Cyrille Dubois (Tamino), Florent Karrer (Papageno), Judith van Wanroij (Dame)

On peut comprendre l'idée d'un directeur de salle de proposer à un cinéaste connu du grand public de faire ses premiers pas dans la mise en scène d'opéra. L'intérêt vise à donner un motif de curiosité à ceux des cinéphiles qui, sans cela, ne seraient peut-être jamais venus d'eux-mêmes à l'opéra. Au-delà de la billetterie, le principe consistant à inviter à l'opéra un artiste issu d'une autre sphère culturelle constitue un pari dont on espère toujours qu'il débouchera sur une réussite pour les deux parties qui s'engagent à collaborer. Mais l'opéra reste un domaine moins perméable à certains modes d'emploi qu'on voudrait lui imposer. Spectacle multiple par essence, il contraint déjà le théâtre dont il est historiquement issu à passer sous les fourches caudines (et paradoxales) d'une technique musicale et vocale qui limitent l'expression qu'on croirait libérée par la simple magie du jeu de l'acteur.

D'un autre côté, la puissance des images et des idées trouve dans un rythme du chant (forcément différent de celui de la voix parlée) un cadre expressif capable d'en faire oublier sa propre dimension conventionnelle. Ces quelques principes fondamentaux rappellent que l'alchimie de l'opéra peine à trouver ses marques dans des recettes souvent trop simples. Quatre ans après de très mornes Nozze di Figaro par James Gray, le projet de Michel Franck de confier La Flûte enchantée à Cédric Klapisch se heurte au même problème, avec un résultat qui traduit à la fois une méconnaissance de ce qu'est une mise en scène d'opéra et une tendance à limiter à des conventions des éléments qu'on aurait cru plus propices à faire émerger la personnalité du cinéaste.

Le succès du cinéma de Cédric Klapisch vient d'une appétence pour des comédies urbaines aigres-douces mettant en scène des personnages dont on suit les destins dans des cadres familiers, que ce soit un immeuble parisien ("Chacun cherche son chat", 1996) ou une colocation étudiante ("L'Auberge espagnole", 2002). La magie de l'écran noir ne transparaît pas dans cette Flûte enchantée qui semble aligner les poncifs, sans jamais recourir à un travail de l'image qui pourrait signer la présence d'un cinéaste aux commandes de ce vaisseau en perdition. Cédric Klapisch donne l'impression de s'enliser dans une approche qui joue sur des données contradictoires au point de s'annuler parfois. En premier lieu, une direction d'acteur aux abonnés absents, où la spontanéité cède à une relative raideur comme cette entrée en scène de Tamino dissimulant son visage derrière sa cape écarlate façon Nosferatu de roman gothique, les trois Dames entre Pokémon et culbuto ou bien Papageno abandonné en scène et réduit à un long numéro d'improvisation façon stand-up.

Cyrille Dubois (Tamino)

Tout ce beau monde est peu aidé, il faut bien l'avouer, par des costumes dont l'esthétique rappelle un futurisme emprunté maladroitement à Aelita de Protazanov (Reine de la nuit) ou à l'univers Manga et anime (Pamina). Tout ça est à la fois terriblement daté et en un mot très laid. On croit deviner derrière le Papageno en perroquet punk à plumes et le Sarastro en tenue argentée, l'opposition entre une nature inviolée et un monde hyper technologique. Il serait exagéré de faire de cette idée un concept capable de tenir une soirée, mal illustrés par des décors de Clémence Bezat qui alternent des troncs d'arbres et sur des toiles peintes, une forêt tropicale et une ville futuriste en passant par un datacenter aux allures de couloir de prison. Les personnages arborent des maquillages censés différencier les groupes auxquels ils appartiennent mais ces signes assez illisibles tiennent des couleurs des indiens kayapo (Trois dames, Tamino, Pamina) aux marques ethniques improbables (Monostatos) ou Sarastro changé en Maurice Béjart futuriste. Limitées à un décevant serpent tricéphale et un bref carnaval des animaux, les vidéos de Niccolo Casas et Stéphane Blanquet déçoivent carrément, tout comme le palais de Sarastro fait d'un réseau de filins d'acier et censé représenter ce "maillage mondialisé qui tout à la fois nous libère et nous emprisonne" (sic). L'affaire tourne fréquemment au petit jeu de la couverture dramaturgique qu'on tire du côté ou de l'autre, sans emporter la décision et surtout sans dégager d'idée claire, à défaut d'ambition. Terminons par l'initiative très maladroite du metteur en scène consistant à réécrire les dialogues dans un français qui confond Singspiel et blague Carambar dont l'effet comique involontaire garanti envoie par le fond toute l'entreprise.

Le plateau est dominé par l'interprétation attentive de Regula Mühlemann, offrant à sa Pamina un soin dans le phrasé et le souffle ("Ach, ich fühl’s") qui joue avec une palette dynamique relativement discrète. L'émission est parfois durcie par la présence de Cyrille Dubois qui force la couleur de son Tamino dans des zones qui tendraient à confondre héroïsme et expressivité ("Bei Männern, welche Liebe fühlen"). Le Papageno bien banal de Florent Karrer joue sur des effets d'acteurs pour faire oublier une projection terne et un relief trop relâché qui contraste avec la pétillante Papagena de Catherine Trottmann. Franche déception en revanche pour la Reine de la Nuit d'Aleksandra Olczyk, vocalisant avec une étroitesse qui peine à dissimuler quelques difficultés périlleuses dans les changements de registre ("Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen"). Jean Teitgen n'est pas à son aise non plus quand la ligne de son Sarastro descend trop bas, dévoilant un trait étonnamment charbonneux ("O Isis und Osiris"). Marc Mauillon cabotine son Monostatos là où l'Orateur de Josef Wagner s'en tient au minimum syndical. Les deux hommes d'armes d'Ugo Rabec et Blaise Rantoanina ne marquent guère plus les esprits, de même que les Trois Dames mal ajustées en ce soir de première (Isabelle Druet, Judith van Wanroij et Marion Lebègue). Les Trois Garçons issus de la Maîtrise des Hauts-de-Seine relèvent le niveau de belle manière, affichant une unité de timbre et une homogénéité d'intonation qu'on ne retrouve pas forcément dans le Chœur Unikanti…

A la tête de "ses" Siècles, François-Xavier Roth joue la carte d'une lecture à la fois énergisante et jamais à court d'idées. La qualité des instruments anciens offre une palette expressive qui joue sur une immédiateté et un naturel dans la perception et l'affinité de cet orchestre avec la musique de Mozart. Fallait-il pour autant céder à la tentation de sonoriser les transitions pour surligner auditivement les effets de vent dans les abysses, l'eau, le feu ou le pépiement des oiseaux dès l'ouverture ? On reste sur une impression mitigée alors que de la fosse pouvait certainement venir les idées qui manquent tant à la scène.

Cyrille Dubois (Tamino), Regula Mühlemann (Pamina)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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