Que serait une mise en scène d’Olivier Py sans l’étroite collaboration de Pierre-André Weitz, Mathieu Crescence et Nathalie Bègue aux décors et costumes ? La question est légitime tant la plus grande théâtralité de cet Orphée aux Enfers d’Offenbach, donné pour les fêtes de fin d’année à l’Opéra de Lausanne, réside dans le faste des costumes et l’impeccable machinerie. Du début à la fin, aucun répit nous est laissé. Entre haut et bas, cour et jardin, trois pans de décors créent tour à tour des tableaux dans le tableau, réajustés en permanence sur la profondeur selon la séquence qu’ils accompagnent. Les costumes participent à l’éblouissement, entre robes à crinoline, froufrous et jupons aux tissus chatoyants et aux couleurs virevoltantes. Décors et costumes dans leur rapport et agencement effusif font ici acte de mise en scène.

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Orphée aux Enfers à l'Opéra de Lausanne
© Jean-Guy Python

Certes, on retrouve dans cet Orphée aux Enfers le langage scénique habituel de l’ancien directeur du Festival d’Avignon : procédés de théâtre dans le théâtre ; machinistes, rampes de lumière et loges de théâtre à vue ; décors noirs, esthétiques ; Hamlet en toile de fond. Mais, œuvre légère oblige, s’ajoute ici tout le folklore music-hall qui constitue l’autre penchant artistique d’OIivier Py, sa part « Miss Knife », ce personnage créé par l’artiste lors de shows musicaux solo entre travesti et chansonnier de cabaret. C’est le versant talon aiguille, porte-jarretelles et blagues salaces de son œuvre.

Il serait malhonnête de dire que l’on ne goûte pas au premier abord ce plaisir devant une proposition toute « cage aux folles » à la palette esthétique marquée entre exubérance et paillettes. Mais l’univers des cocottes et des tenues aguichantes tourne court en terme de sens. À l’image de ces danses décoratives et suggestives qui viennent, ici comme ailleurs, sempiternellement ponctuer la plupart des mises en scène d’œuvres d’Offenbach. Leur perfection esthétique et leur aspect policé amoindrissent le moment dramatique dans lequel elles s’inscrivent. Le ballet de l’acte II est vraiment de trop. Et l’on tombe progressivement dans une résolution de la pièce simplement festive et très consensuelle, loin de toute forme de distanciation… C’est comme si Py se présentait, même inconsciemment, en héritier de Jérôme Savary aux belles heures de son Grand Magic Circus, mais sans parvenir ici à relier la satire et la fable politique à l’univers du music-hall, les deux fils rouges évoluant en parallèle.

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Orphée aux Enfers à l'Opéra de Lausanne
© Jean-Guy Python

On sent pourtant bien que c’est le parti pris politique que Py esquisse au milieu de l’opéra qui est le plus porteur de théâtralité et de sens. En transformant frontalement Jupiter en Louis-Napoléon Bonaparte, et les autres dieux en courtisans et ministres, on retrouve ici la charge que constituait cette œuvre à l’époque et qu’Offenbach, face à la censure, a dû contourner en passant par le récit mythologique parodié. Comment dès lors ne pas penser à un autre président jupitérien en exercice ?

Il faut pour tenir cela, entre chant et parties parlées, une troupe engagée de toute part. Un choix a été fait autour d’une déclamation projetée « à l’ancienne », unanimement accomplie grâce à un vrai travail de fond. On regrettera simplement du côté des rôles féminins et dans les parties chantées, les carences en diction qui obligent bien souvent à revenir aux surtitres. Samy Camps en Orphée et Nicolas Cavallier en Jupiter-Napoléon ne négocient pas leur engagement et font tous deux preuve d’une égale bravoure dans leur chant. Julien Dran en Aristée/Pluton est ici dans son répertoire et son genre musical, mais ses aigus, trop dans le masque, sont toujours acides.

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Orphée aux Enfers à l'Opéra de Lausanne
© Jean-Guy Python

Eurydice est pour Marie Perbost, qui fait ses débuts à Lausanne, un parcours de santé de son soprano lyrique élégant et voluptueux, et l’on notera aussi la Diane sensible et rêveuse de Clémentine Bourgoin. On savoure enfin le parcours de Hoël Troadec (Mercure) et Frédéric Longbois (John Styx), leurs parfaites présences et relances théâtrales.

Dans la fosse, Arie van Beek sait insuffler au Sinfonietta de Lausanne ce qu’il faut de folie et de rythmes endiablés pour mener à bien cette soirée, au détriment parfois de l’équilibre entre les pupitres et d’une structure un peu rigide qui n’est pas sans accuser quelques décalage entre la fosse et le plateau… On ressort heureux, certes, mais quelque peu sur sa faim : paradoxal en cette période de réveillon.

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