Traviata revisitée à l’Opéra de Bordeaux
L'œuvre est ici réduite à une quintessence : 3 chanteurs, 4 instrumentistes, 1h45 d’intrigue. La compositrice, Lise Borel, conserve la musique d’origine, mais invoque un instrumentarium original avec Xinhui Wang au piano, Mathilde Vervliet à la harpe, Jan Myslikovjan à l'accordéon et Louise Jegou au vibraphone et percussions : de quoi déployer le lyrisme et l’expressivité de la partition dans une polyphonie plus intimiste et actuelle. Une création hybride entre opéra classique et théâtre contemporain qui jette un regard nouveau sur une des œuvres romantiques les plus jouées.
Traviata Revisited : quand la recréation contemporaine s’invite à l’Opéra de Bordeaux
La pièce invite ainsi le spectateur davantage encore dans l’intimité tumultueuse de Violetta, une jeune courtisane, et de son histoire tragique avec Alfredo. Les chanteurs dialoguent, interagissent avec le public, tandis que les musiciens deviennent de véritables personnages. Le récit et le chant se déploient au même niveau d’attention.
Dans cette mise en scène d’Eddy Garaudel et dans un excès de désespoir, Alfredo cherche même le nouvel amant de Violetta parmi les spectateurs. Le quatrième mur, qui habituellement met à distance le public, est mis à bas. Tout le monde est invité aux soirées mondaines et profite, avec une pointe de voyeurisme, de la scandaleuse histoire de Violetta et Alfredo.
Georgia Tavares, chargée de la lumière et la scénographie, construit un espace en plusieurs dimensions où les décors défilent. De la chambre de Violetta à la maison de campagne du couple, elle explore les intérieurs bourgeois du XIXe siècle. Les lieux facilement identifiables permettent une lecture claire de l’ensemble de la pièce. Pas de fantaisie ou d'anachronisme, mais bien une plongée au cœur de la petite vie parisienne, et de Violetta s’affairant devant un gigantesque miroir auquel elle ne peut se soustraire, et dont les reflets sont ceux de son intériorité tourmentée.
Les musiciens sont aussi de la fête. Véritables “personnages instruments” selon les termes de la compositrice, les instrumentistes goûtent aussi à la comédie. Sortis de leur fosse, ils sont projetés sur le devant de la scène et interagissent.
Le rôle-titre de Violetta est interprété par la soprano Déborah Salazar. Elle présente une voix expressive dans cette partie vocale ardue, avec une amplitude de tessiture très appréciable. Son timbre chaleureux et clair est joliment vibré par instants et elle tient la pièce grâce à une interprétation scénique émouvante, dessinant une Violetta pétillante mais affirmée.
Le ténor Davide Tuscano revêt le costume de l’amoureux en déployant sa technique vocale assurée avec un timbre riche et une voix robuste. Son souffle long laisse éclater le lyrisme de la partition mais l’Italien est un peu moins à l’aise lorsqu’il s’agit de dialoguer en français (sans empêcher pour autant la compréhension de la pièce).
Enfin, Yosif Slavov, en implacable père d’Alfredo, complète le trio vocal. Le baryton arbore un timbre profond et ténébreux, un phrasé impeccable et une stature charismatique, réussissant à donner corps à un personnage pourtant plus en retrait. Le trio dégage une alchimie vocale et scénique qui contribue fortement à la crédibilité de ce projet audacieux de l’Académie de l'Opéra.
Même sans la (dé)mesure de ses grandes phalanges vocales et instrumentales, la pièce ne perd pas pour autant en puissance. Elle ne réinvente pas l’histoire de Violetta, mais pose un regard plus intimiste sur le parcours d’une femme ordinaire, courtisane mal née, dévoyée par la société et atteinte de la tuberculose. Le public exprime combien il aura été charmé par la pièce, notamment le duo romantique qui reçoit de très vives ovations.