Au Théâtre des Champs-Élysées, “Don Giovanni” pour un centenaire

- Publié le 9 février 2024 à 17:06
Philippe Jordan
Donné en version de concert, le “Don Giovanni” dirigé par Philippe Jordan possède une théâtralité élancée, porté par une distribution internationale homogène.

C’est un anniversaire peu banal que le Théâtre des Champs-Élysées fêtait lundi : le centenaire de la première venue de l’Opéra de Vienne avenue Montaigne. En 1924, Franz Schalk avait dirigé trois opéras de Mozart et un concert symphonique au sein de la « Grande saison d’art » de la VIIIe Olympiade, « sous le patronage du Comité international Olympique ». Autre temps, autres mœurs…

Irrésistible théâtre

Orchestre (le noyau des Wiener Philharmoniker, avec Volkhard Steude en Konzertmeister), chœur, solistes (excepté Zerlina) et chef (en l’occurrence Philippe Jordan, très aimé des Parisiens comme l’a prouvé l’accueil du public), ont repris à Vienne en janvier Don Giovanni dans la production de Barrie Kosky. Cela se ressent ce soir à Paris : même en version de concert, et sans mise en espace, le théâtre est là, vif, incarné. Ce qui s’entend dans le naturel des récitatifs, accompagnés au pianoforte par Jordan lui-même et par le chef d’attaque du pupitre des violoncelles. Les dialogues entre Don Giovanni et Leporello, notamment à l’acte II, sont irrésistibles.

Mais l’unité de la représentation résulte aussi d’une distribution homogène, soudée par le travail scénique antérieur. L’Américain Christian Van Horn est un Don Giovanni de très belle stature, tant vocale que physique. La voix est légèrement rugueuse, il manque quelque peu de fluidité au début, mais se libère au fil de la soirée. Coup de cœur pour le Leporello du Slovaque Peter Kellner : vocalement idéal, il est celui qui a les mots les plus vifs, dessinés. Excellents aussi l’Ottavio de l’Ukrainien Bodgan Volkov – ses deux arias sont magnifiquement phrasées, et il a du caractère, ce qui n’est pas rien dans ce rôle – comme le Masetto de Martin Hässler. Quant au Commandeur, on a connu timbre plus noir que celui d’Antonio Di Matteo, mais le chanteur affiche une belle ampleur sans se figer.

Chez les dames, la Zerlina de l’Américaine Alma Neuhaus séduit par le charme, la lumière du timbre, la fraîcheur de la voix, la vivacité de l’incarnation. Dans le match entre les donne, la Slovaque Slávka Zámečníková (Anna) et l’Italienne Federica Lombardi (Elvira) partagent d’identiques qualités : la prestance, une capacité à incarner les élans intérieurs de leurs rôles. Timbre singulier, Lombardi, au début, force un peu les effets vocaux, quand Zámečníková concentre toujours plus l’émotion de son personnage – superbe au II

Naturel viennois

Le profil général de l’interprétation revient bien sûr à Jordan, qui tient son plateau de bout en bout. Son Don Giovanni viennois est plus élancé, dramatique, contrasté que celui qu’il dirigeait naguère à Paris. Mais c’est Vienne ! C’est-à-dire une fluidité, un naturel, une réponse collective constante aux couleurs et aux nuances vocales. Et plus nettement encore dans le II, où l’accompagnement des arias nous vaut des moments mémorables.

On regrette que le TCE n’ait pas profité de l’occasion pour éditer un spécial Opéra de Vienne / Orchestre philharmonique de Vienne dans sa collection « Chroniques ». Un tel centenaire se fête.

Don Giovanni de Mozart. Théâtre des Champs-Elysées, le 5 février 2024. 

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