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​La Traviata à l’Opéra de Marseille – Violetta impériale – Compte-rendu

 
A l’heure où des questions se posent sur la fréquentation des maisons lyriques si vous voulez jouer à guichets fermés, choisissez La Traviata. Les cinq représentations de l’ouvrage de Verdi programmées à Marseille jusqu’au 15 février affichent complet. Et s’il reste un ou deux strapontins, c’est au poulailler qu’il faut aller les chercher !
Ce succès populaire indiscutable confirme, si besoin en était, le pouvoir attractif de l'ouvrage, la passion des mélomanes, en particulier ceux de la deuxième ville de France, pour Verdi et la qualité des choix effectués par Maurice Xiberras, le directeur de la maison, au moment de composer sa distribution. Remarquable, aussi, au soir de la première représentation, la présence de nombreux jeunes, collégiens et lycéens dont les établissements avaient acheté des places mais aussi de pré-trentenaires venus, pour nombre d’entre eux, découvrir un opéra qui, s’il date du milieu du XIXème siècle, n’en demeure pas moins d’actualité. Domination de l’homme sur la femme, nocivité de la bien-pensance et difficulté d’être une femme libre : autant de sujets toujours préoccupants. Et pour les incarner, quoi de mieux qu’une très romantique histoire d’amour rédempteur tué dans l’œuf ?
 

La mise en scène de Renée Auphan (1) (crée en 2014, reprise en 2018) a été retenue, Yves Coudray se chargeant de sa réalisation : bon goût assuré dans un environnement classique – et classe. L’élégance est de mise du côté des décors (Christine Marest) comme celui des costumes (Katia Duflot) pour un retour vers le passé avec un compteur réglé à - 150 ans. Les déplacements sont soignés, les regards appuyés et les tableaux presque historiques. Rien ne vient ici perturber la compréhension de l’œuvre mais rien, non plus, ne vient la pimenter si ce n’est au 3acte la jambe délicieuse de la non moins délicieuse et sculpturale Flora dévoilée au long d’une danse provocante.

« J’ai de la compassion pour Violetta, nous confiait Clelia Cafiero, la maestra, avant la représentation. Et pour moi le brindisi c’est la danse de la mort. » La jeune cheffe qui dirigeait l’œuvre pour la première fois de sa carrière a étudié le manuscrit de Verdi aux archives historiques de la Casa Ricordi à Milan. Elle y a découvert des phrasés et des articulations qui ne sont plus usités de nos jours ainsi qu’une mesure barrée de la main du compositeur dans le brindisi. Elle a choisi, comme elle dit elle-même, de « revenir aux fondamentaux » et de suivre les indications de la partition originale comme l’avaient fait avant elle des directeurs musicaux de renom, le maestro Muti en tête.
 

© Christian Dresse 

Dès le prélude, Clélia Cafiero nous transporte sur le fil de l’émotion, qui deviendra le fil rouge du drame, avec des cordes soyeuses et délicates croisant les accents festifs portés par des vents et des cuivres précis. Un travail des plus intéressants qui a permis à la jeune femme de recueillir des bravi appuyés, partagés avec les musiciens d’un orchestre sensible à ce répertoire. Signalons au passage que la cheffe dirigera l’été prochain l’unique représentation de Tosca aux Chorégies d’Orange. Satisfaction, aussi, avec le chœur maison qui, outre ses qualités vocales et sa précision, travaillées sous la direction du nouveau chef Florent Mayet, a, par sa présence scénique, participé à l’intérêt esthétique des tableaux évoqués plus haut.
 

© Christian Dresse

La soprano Ruth Iniesta (photo) donne vie à Violetta ... jusqu’à son dernier souffle. Une interprétation « impériale » pour une chanteuse dans la fleur de l’âge et dans l’âge du rôle dont la crédibilité scénique est confortée par une grande maîtrise vocale, entre nuances et puissance sur les chemins de l’émotion. Triomphe mérité pour la dame qui, par son omniprésence, garantit la tension dramatique de l’œuvre.
A ses côtés Julien Dran est un Alfredo presque effacé, comme écrasé par le joug du conformisme et par la volonté d’un père dont l’implacable rigueur est ici symbolisée par le col raide et blanc d’un ecclésiastique. Jérôme Boutillier incarne Germont père pour la première fois de sa carrière. Une prise de rôle plutôt positive même s’il lui faudra travailler pour affirmer le côté ambigu du personnage. Idéale Flora, Laurence Janot excelle dans un rôle qui lui permet de chanter, mais aussi de faire valoir les qualités de danseuse – classique puis moderne – qu’elle fut. Svetlana Lifar (Amina), Carl Ghazarossian (Gastone), Frédéric Cornille (le marquis) et Jean-Marie Delpas (le baron Douphol) assurent leurs parties avec aisance. Une soirée de première accueillie avec enthousiasme par une salle conquise où la mixité du public, tant au niveau social que de l’âge, prouve que le genre, loin d’être élitiste, sait être populaire …
 
Michel Egéa

(1) René Auphan qui assura la direction générale de l'Opéra de Marseille de 2001 à 2008

Verdi : La Traviata -  Marseille, Opéra,  6 février ; prochaines représentations les 8, 11, 13 et 15 février 2024 // opera.marseille.fr/programmation/opera/la-traviata-0

Photo © Christian Dresse

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