Richard Wagner (1813–1883)
Lohengrin (1850)
Opéra romantique en trois actes
Livret du compositeur
Créé au le 28 août 1850 au Hoftheater de Weimar, sous la direction de Franz Liszt

Direction musicale : Sebastian Weigle
Mise en scène : Kornél Mundruczó

Collaboration à la mise en scène : Marcos Darbyshire
Décors : Monika Pormale
Costumes : Anna Axer Fijalkowska 
Lumières :
Felice Ross
Dramaturgie:Kata Wéber, Malte Krasting

Heinrich der Vogler, deutscher König : Ryan Speedo Green
Lohengrin : Benjamin Bruns
Elsa von Brabant : Rachel Willis Sørensen
Friedrich von Telramund, brabantischer Graf : Martin Gantner
Ortrud, seine Gemahlin : Anja Kampe
Heerufer des Königs : Andrè Schuen
Vier brabantische Edle : Zachary Rioux, Joel Annmo, Thomas Mole, Paweł Horodyski
Vier Edelknaben : Solisten des Tölzer Knabenchors
Herzog Gottfired, Elsas Bruder : Jakob Biber

Bayerischer Staatsopernchor
Extrachor der Bayerischen Staatsoper
Chef des chœurs : Christoph Heil

Bayerisches Staatsorchester

Coproduction avec le Shanghaï Grand Theatre

Munich, Nationaltheater, jeudi 15 février 2023, 17h

Nous avons longuement rendu compte de la production lors de sa création en décembre 2022, et nous étions curieux de la revoir, avec une distribution largement renouvelée, et un nouveau chef dans la fosse. Wagner est une des colonnes portantes de cette maison, et le système de répertoire doit garantir des représentations wagnériennes d’un niveau qui honore la maison. La production de Kornél Mundruczó n’avait pas provoqué de rejet, mais n’avait pas non plus enthousiasmé les foules. Après un peu plus d’un an, on constate qu’elle tient la distance tout en gardant ses ambiguïtés.
Le plateau est largement renouvelé, Heinrich, Telramund, Elsa, Lohengrin sont confiés à d’autres chanteurs et de la première série restent le Héraut (Andrè Schuen) et Ortrud (Anja Kampe), mais ce nouveau plateau remporte à son tour un énorme succès, avec en fosse Sebastian Weigle, remplaçant François Xavier Roth prévu mais forfait, qui signe une prestation de grand relief
Grand succès, triomphe même au rideau final avec une salle debout. 

Benjamin Bruns (Lohengrin), Rachel Willis-Sørensen (Elsa)

Nous ne reviendrons pas par le menu sur une mise en scène que nous avons longuement décrite, et nous nous concentrerons sur les aspects musicaux qui proposent un plateau presque entièrement nouveau et un autre chef.
Avec un plateau très différent, la mise en scène fonctionne, avec ses qualités et ses défauts une manière de considérer à la fois la relation fermée, presque sectaire, au collectif, avec la présence du chœur souvent spectateur des conflits (comme le duo Lohengrin/Elsa du troisième acte), mais aussi posant la question d’Elsa, presque objectivée (sa manière de s’habiller en momie encore au troisième acte), et celle du couple Telramund/Ortrud, toujours présents dans l’espace clos des conflits individuels.

D’un autre côté, Kornél Mundruczó traite les deux autres protagonistes, le héraut (Heerrufer) et le roi Heinrich de manière ironique, impuissants à être autre chose que spectateurs, ne comprenant à peu près rien des enjeux.
Un premier acte plutôt bien construit, un deuxième spectaculaire avec quelques images impressionnantes, un troisième assez convaincant dans sa première partie, moins dans son final (l’idée de la Météorite qui descend) visuellement impressionnant, mais scéniquement mal fichu, pas toujours clair, pas vraiment abouti dans les mouvements des uns et des autres, voilà les éléments qui constituent une production qui comme nous l’avons dit, résiste à la fois à la reprise et aux changements de distribution. Il faut dire aussi qu’il n’est pas demandé grand-chose aux chanteurs en termes d’engagement scénique, qui reste le point un peu dolent de la production : mais dans une logique de répertoire, moins les chanteurs ont à faire, et mieux c’est pour l’alternance de personnalités différentes, comme c’est ici le cas.

Nous renvoyons donc le lecteur à l’analyse détaillée de la production dans notre article précédent (Voir ci-dessous et pour poursuivre la lecture)

Acte I : Rachel Willis-Sørensen (Elsa), Benjamin Bruns (Lohengrin)

Musicalement en revanche, beaucoup de changements et de très bonnes surprises. Le plateau renouvelé apparaît particulièrement en forme et a été accueilli triomphalement par un public largement plus que chaleureux.
D’abord, il faut constater la permanence d’un niveau exceptionnel de l’accompagnement orchestral, grâce à la qualité intrinsèque d’une formation au son lumineux, éclatant, avec des cordes qui savent de manière magistrale s’alléger ou devenir plus charnues, des cuivres toujours brillants sans jamais être tonitruants, dont la disposition à différents coins de la salle renforce l’impression immersive déjà éprouvée l’année précédente. Mais on salue aussi la performance des bois, qui savent scander en fosse le discours des chanteurs sur le plateau et les accompagner ou les commenter, dans une sorte de globalité qui fait percevoir combien est marquante l’impression de totalité dans une œuvre qu’on estime encore marquée par une certaine tradition italienne (ce n’est pas un hasard si Lohengrin est souvent la première incursion wagnérienne d’un chef italien).
François Xavier Roth avait surpris l’an dernier par une approche à la fois vigoureuse, très romantique et très coloriste, presque berliozienne, qui avait vraiment convaincu l’auditoire. Il y avait de la violence, du halètement, mais aussi beaucoup de suavité et de douceur dans les moments les plus lyriques.

Sebastian Weigle offre une vision sans doute plus classique, ce qui ne signifie pas plus uniforme, mais réservant moins de surprises à certains moments notamment pendant le deuxième et le troisième acte.
Mais il emporte lui aussi l’auditoire dans une vision très rigoureuse, spectaculaire sans être excessive, laissant les mots surnager, accompagnant le texte avec attention, faisant sonner l’orchestre avec une conviction et une somptuosité qui suscitent une intense émotion, garantissant une limpidité de l’orchestre où chaque pupitre s’entend, tout en ménageant des effets dramatiques qui enthousiasment le public jusqu’à une standing ovation finale.

Le chœur quant à lui a enfin trouvé son chef en la personne de Christoph Heil. Il manifeste une impressionnante cohésion, un volume respectable qui ne lui fait pas oublier phrasé et diction, dans un ensemble soigné qui montre un travail attentif et rigoureux.

Solistes du Tölzer Knabenchor

Signalons évidemment les jeunes solistes du Tölzer Knabenchor, toujours différents et cependant toujours aussi impressionnants de clarté, de netteté, de fraicheur, bref, tels qu’en eux-mêmes dans leur éternelle perfection…

Rachel Willis-Sørensen (Elsa) quatre nobles flamands (Zachary Rioux, Joel Annmo, Thomas Mole, Paweł Horodyski)

Du côté des solistes, le groupe des quatre nobles flamands est presque totalement différent, mais s’affirme avec beaucoup de relief (Zachary Rioux, Joel Annmo, Thomas Mole, Paweł Horodyski).

Andrè Schuen (Heerrufer)

On retrouve en revanche et avec quel plaisir le Heerrufer de Andrè Schuen, au timbre velouté, à la diction impeccable, qui sculpte chaque mot à la manière d’un Lied, et qui néanmoins campe un personnage décalé, loin des statues de sel qu’on voit dans ce rôle le plus souvent. Il est un personnage vivant, qui respire la jeunesse, avec cette pointe d’ironie qui en fait ici toute la singularité.

Andrè Schuen (Heerrufer), Ryan Speedo Green (Heinrich der Vogler), Bayerischer Staatsopernchor

Ryan Speedo Green était le roi Heinrich der Vogler, et la jeune basse américaine impressionne par la voix et le volume, on entend derrière un Hollandais… Le rôle dans cette mise en scène est assez contrasté au sens où on est loin du roi noble (un peu comme pour le héraut) mais aussi du roi halluciné à la Neuenfels (fabuleux, inoubliable Zeppenfeld), le personnage semble un peu perdu et un peu emporté par le sens de l’histoire, un roi dépassé dès le début ou presque. Pour camper le personnage, Ryan Speedo Green bouge peut-être un peu trop, semble ne pas savoir exactement comment entrer dans ce profil voulu par la mise en scène. Mais ce qui pèche surtout, c’est non pas la diction (il met un soin jaloux à prononcer chaque mot presque à la manière d’un entrainement de labo de langue) mais le style, l’émission quelquefois un peu vacillante, si bien que l’effet de volume frappe, mais qu’il est bientôt atténué par une manière de faire entendre le texte sans trop d’expression ni d’accents. Il doit encore travailler son expression, sinon, ses rôles wagnériens pour lesquels la voix est prête à l’évidence risqueront de lui glisser entre les doigts, ou plutôt les cordes. Il s’agit désormais d’acquérir une personnalité vocale qui aille au-delà de la partition.

Anja Kampe reste l’Ortrud impressionnante qu’elle était l’an dernier, avec une vraie présence scénique qui attire les regards même quand elle est muette et dans un coin du plateau. Le geste, les mouvements, les regards, tout contribue à affirmer le personnage. La voix laisse passer quelques sons un peu métalliques, mais elle reste tellement expressive tant dans les parties plus lyriques (duo avec Elsa) que dans celles plus sauvages. Son duo avec Telramund au début du deuxième acte reste impressionnant par l’expressivité, la manière de dire le texte, et ses notes finales de l’acte III presque animales donnent le frisson. Une incarnation, comme souvent, comme toujours avec cette interprète d’exception.
Face à elle, Martin Gantner, qui succède au pâle Johan Reuter qui était le maillon faible de la distribution de l’an dernier. Gantner n’a peut-être pas le volume vocal d’un Telramund de la tradition à la Konieczny, mais son Telramund est un chef d’œuvre de phrasé, d’accents, d’expression, la voix est tour à tour autoritaire, insinuante, blessée, et fait valoir un sens des couleurs exceptionnel. Ce chanteur, qui fait partie des très solides interprètes de Wagner (il avait campé sur cette même scène un excellent Beckmesser) signe ici une des meilleures incarnations de ce rôle, difficile parce que souvent réduit à un aboyeur blessé. Ici on entend la complexité, les hésitations, l’humain en quelque sorte. Vraiment remarquable.

Final acte II : Benjamin Bruns (Lohengrin), Rachel Willis-Sørensen (Elsa)

En Elsa, Rachel Willis-Sørensen succédait à Johanni van Oostrum, l’opposé en termes de format physique. Autant van Oostrum jouait sur les contrastes d’un physique menu et d’une voix affirmée, ce qui convenait à la mise en scène, autant Willis-Sørensen est affirmée physiquement et vocalement et donc dessine une Elsa qui immédiatement se pose très différemment, essayant de se glisser dans une mise en scène à l’origine non conçue pour elle. Du même coup, le duo avec Ortrud au deuxième acte apparaît différent, comme deux êtres également forts, également affirmés, et on comprend que cette Elsa ne peut accepter les diktats, fussent-ils du plus doux des chevaliers au cygne. La voix est forte, affirmée, homogène sur tout le registre, l’assise large et l’aigu triomphant, et la prestation est particulièrement réussie, ce qui contribue une fois de plus à nous convaincre que Rachel Willis-Sørensen est bien plus à l’aise dans ce répertoire ou par exemple dans Britten (on se souvient de son Ellen Orford sur cette scène dans Peter Grimes) que dans le répertoire italien qu’elle devrait abandonner (elle ne rend justice à aucun des rôles italiens qu’elle a abordés). C’est en revanche une Elsa puissante, lumineuse, affirmée. Une très belle performance.

Benjamin Bruns (Lohengrin) contre la porte et Bayerischer Staatsopernchor

Et enfin, le plus attendu, le ténor Benjamin Bruns, qui avait la lourde tâche de succéder dans le rôle à la légende Vogt, le Lohengrin des deux dernières décennies. Il triomphe ici avec des moyens totalement différents, et une voix particulièrement douce, claire, lyrique, où l’on entend la leçon de Mozart et sa culture du Lied, où chaque mot compte, avec un sens accompli de la couleur et des modulations, sur une note tenue, adoucie, et un sens de la ligne et de la respiration particulièrement aigu. C’est un Lohengrin tout en suavité, incroyablement poétique et en même temps tout en présence « humaine » là où Vogt semble une voix étrange et fascinante venue d’ailleurs.
Cette douceur, cette immense tendresse se double d’une sorte de placidité en scène, qui peut-être cadre avec difficulté avec le côté héroïque du personnage, mais en fait une sorte de « non-violent » d’une étonnante force. Sa prestation est une authentique leçon de chant, avec un volume toujours maîtrisé, une pose de voix qui lui permet un volume surprenant qu’on avait déjà remarqué dans la Symphonie VIII de Mahler avec Petrenko il y a quelques mois dans cette salle. C’est après Vogt et Beczala, le troisième Lohengrin du moment mais aussi du futur, et c’est aussi une vraie promesse du chant Wagnérien. Tout simplement exemplaire.

Voilà les avantages du répertoire quand il permet à une production non seulement de tenir la route, mais de se transformer, de se consolider même lorsque le plateau, la fosse sont très différents de la première série. C’est le cas ici, et d’une certaine manière, cette production a acquis son « droit de suite », vu que le succès remporté de cette reprise est largement équivalent à celui remporté la saison dernière.

Une fois encore, la Bayerische Staatsoper nous rappelle que Wagner est ici un inévitable, une masse de granit, comme je le dis toujours, il est ici chez lui dans sa seconde maison.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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2 Commentaires

  1. A propos d’Anja Kampe dans Lohengrin à Munich, vous dites qu'on la regarde dans son
    coin même lorsqu’elle ne chante pas…
    C’est exactement le même sentiment que j’ai ressenti avec Waltraud Meier, dans Lohengrin mais aussi Parsifal ( le troisième acte !!). Privilège des très grand(es)…

  2. Toujours pour Lohengrin, vous classez les trois «  meilleurs «  Lohengrin des deux dernières décennies.. et Kaufmann, vous le situez à quelle place ? 4e, 10e, 20e.. à moins qu’il soit hors concours !!!
    J’attends avec curiosité ( et même excitation !!) la prise de rôle de Spyres… A quelle place va-il se situer ?… ceci dit, passer du baroque et de Rossini à Wagner n’est pas banal !!! Et il est ( pour l’instant ! ) plus courageux qu’Alagna qui au dernier moment avait décliné l’invitation de Bayreuth.. au profit du no.2..

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