Au Théâtre des Champs-Élysées, un Atys de Lully véritablement nouveau

- Publié le 27 mars 2024 à 12:44
Fruit de longues recherches et d’une confiance totale en la partition, cette lecture du chef-d’œuvre renouvelle de nombreux aspects de l’interprétation et confirme qu’Alexis Kossenko est passé maître dans ce répertoire.
Mathias Vidal

Pour cette nouvelle production d’Atys, le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) a fait les choses en grand. D’abord en menant de longues recherches préparatoires exposées dans un volumineux « Carnet de bord » de plus de cent pages ; tous les choix y sont détaillés, réinterrogeant l’orchestre de Lully, les emplois vocaux, l’ornementation, les versions de la partition… C’est celle de la création à la cour, à Saint-Germain-en-Laye en 1676, qui est ici retenue et « reconstituée », fruit d’un important travail de confrontation des sources, en particulier le livret imprimé et une partition manuscrite.

Hautbois nouveaux

Le CMBV a aussi fait reconstruire une bande de hautbois proches de ceux dont on pouvait disposer au mitan des années 1670 – la famille d’instruments subit alors de rapides mutations –, en les dotant d’anches conçues avec la même exigence scientifique. Par ailleurs, ces hautbois de différentes tailles et la basse de cromorne (en lieu et place du basson) ne jouent pas tout le temps : l’usage de doubler les dessus et basses de violon semble ne s’être imposé que plus tard, aussi n’apparaissent-ils ici que ponctuellement. Le reste du temps, cordes seules – et, bien sûr, pas de continuo dans les danses. Enfin, le chœur a fait aussi l’objet d’un questionnement : il semble qu’était courante, dans les premiers opéras de Lully, la division en plusieurs entités chorales de différentes dimensions ; Benoît Dratwicki, l’équipe de chercheurs et Alexis Kossenko ont donc reconstitué cette « polychoralité » qui se manifeste particulièrement dans le prologue et le finale, donnant à entendre des formations de tailles et de puissance diverses. C’est ainsi toute une dramaturgie, tout un dialogue musical qui se font jour.

Au rang de la dramaturgie, signalons encore les récitatifs : ils sont chantés proches de la notation de Lully, les interprètes étant persuadés – et nous avec eux – que le compositeur indiquait, par les valeurs rythmiques, des vitesses de discours qu’il convient de ne pas uniformiser. Nulle rigidité, mais au contraire une grande variété dans les affects convoqués sans arbitraire. L’absence d’ostentation est du reste une marque de fabrique de la direction d’Alexis Kossenko. Articuler, oui, mais sans en faire trop : tout est admirablement phrasé. Un orchestre magnifique mais pas pompeux, aux couleurs très raffinées, des hautbois éclatants, d’une ronde verdeur très réjouissante, un chœur parfait, d’une remarquable clarté, servent avec exactitude une lecture dont la vertu cardinale est la finesse.

Grandeur et passions

Ce qui n’exclut pas la grandeur ni les passions, ancrées dans le rythme et le mot dont s’empare un plateau vocal éblouissant, sans véritable faille. Le quatuor de protagonistes se signale par la caractérisation appropriée des personnages. C’est merveille de voir l’Atys emporté, dévoré par son amour jusqu’à la folie – annoncée dès son entrée avant de s’accomplir à l’acte V – de Mathias Vidal, le Célénus nuancé, mesuré, véritablement royal d’un Tassis Christoyannis en grande forme. La Sangaride à fleur de peau, au charme souverain, de Gwendoline Blondeel répond à la Cybèle majestueuse et retenue d’une Véronique Gens impériale, humaine juste ce qu’il faut pour camper une déesse.

La galerie de seconds rôles est impeccable – confidents idéaux et luxueux d’Hasnaa Bennani, Adrien Fournaison, Éléonore Pancrazi ! Dans la scène du Sommeil, se distingue, davantage que le Sommeil lui-même (un peu fragile mais du reste peu sollicité) le Morphée d’Antonin Rondepierre, qui semble ici avoir véritablement trouvé sa voie. Les apparitions de Marine Lafdal-Franc, Virginie Thomas, David Witczak, François-Olivier Jean parachèvent le tableau – rare – d’une distribution de haut vol. Bonne nouvelle : l’enregistrement de cet Atys arrive bientôt.

Atys de Lully. Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 26 mars.

Diapason