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À Lyon, la Ruée vers l’or d’une Fille du Far West en or massif

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Lyon. Opéra. 26-III-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Fanciulla del West, opéra en 3 actes sur un livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarani. Mise en scène : Tatiana Gürbaca. Décors : Marc Weeger. Costumes : Dinah Ehm. Lumières : Stefan Bolliger. Avec : Chiara Isotton, soprano (Minnie) ; Claudio Sgura, baryton (Jack Rance) ; Ricardo Massi, ténor (Dick Johnson) ; Robert Lewis, ténor (Nick) ; Rafał Pawnuk, basse (Ashby) ; Allen Boxer, baryton (Sonora) ; Zwakele Tshabalala, ténor (Trin) ; Matthieu Toulouse, basse (Sid) ; Ramiro Maturana, baryton (Bello) ; Léo Vermot-Desroches, ténor (Harry) ; Valentin Thill, ténor (Joe) ; Florent Karrer, baryton (Happy) ; Pete Thanapat, basse-baryton (Larkens) ; Kwang Soun Kim, basse (Billy Jackrabbit) ; Thandiswa Mpongwana, mezzo-soprano (Wowkle) ; Paweł Trojak, baryton (Jake Wallace) ; Paolo Stupenengo, basse (José Castro) ; Didier Roussel, ténor (Un postillon). Chœur (chef de chœur : Benedict Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Daniele Rustioni

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Mal-aimé, le septième opéra de Puccini ? Dans la fosse de l'Opéra de Lyon, fait la preuve par sept (représentations) que ce n'est plus du tout le cas. On déplore d'autant plus vivement que sur le plateau, la metteuse en scène Tatjana Gürbaca n'a pas su quoi faire du premier western du répertoire.


« … une partition d'une sonorité tout à fait originale. Somptueuse. Chaque mesure est surprenante » écrivait Anton Webern en 1919. C'est bien sûr lui qui avait raison. Même si, pour des raisons que l'on interroge encore aujourd'hui (chauvinisme ou sens musical ?), l'Amérique avait fait un triomphe à la création (Toscanini, New York 1910) de La Fanciulla del West, cet opéra n'a jamais connu la popularité des trois qui l'ont précédé. « Ça suffit avec La Bohème, Butterfly et Cie ; moi aussi j'en ai par-dessus la tête…» avait écrit Puccini dès 1907. Tout en prolongeant la galerie de portraits de femmes de caractère brillamment inaugurée avec Tosca, La Fanciulla allait surtout permettre au compositeur européen l'exploration d'un nouveau monde qui n'était pas que touristique .

Seule femme plongée dans un aréopage essentiellement masculin, sa Minnie n'est pas une de ces « petites femmes » qui ont fait la gloire du compositeur. Non seulement elle ne s'en laissera conter par aucun des solides gaillards tournant autour d'elle comme des phalènes, mais elle parviendra à imposer à un monde de brutes l'inextinguible humanité héritée d'une enfance illuminée par des parents aimants autant que s'aimant. Tenancière de saloon en attente du grand amour, elle fera fondre Jack Rance, le shériff vénal prêt à toutes les « scarpiateries », et surtout Dick Johnson, le bandit au grand cœur qu'elle a choisi pour son premier baiser. Ce personnage totalement solaire au cœur de la Ruée vers l'or a inspiré à Tatjana Gürbaca l'idée de vêtir son héroïne de lamé… or, justement. Comme si l'or en question c'était la fanciulla, vers qui tous se ruent du début à la fin de l'opéra ?


Mise à part cette unique bonne idée, on se demande ce qui est arrivé à la très talentueuse metteuse en scène allemande. On avait pleuré devant l'extraordinaire direction d'acteurs de son Lohengrin pour Essen. On avait admiré le merveilleux dispositif de son Werther pour Zürich, opportunément immortalisé en DVD. Ni la gestion des personnages (quasi-inexistante), ni le décor (quasi-misérabiliste) de sa Fanciulla ne laisseront un grand souvenir. Le bar de Minnie est une grande traverse ensablée dans un chaos rocheux, que surmonte une sorte de puits de mine circulaire destiné à devenir à l'Acte II, le logement de fonction de la tenancière, le III n'étant plus que lambeaux de cet univers peu stimulant, installé devant l'ocre peu changeant d'un ciel lourd de menaces que seule la tempête de neige du II fera virer au noir sous une pluie de cordages de bien mauvais augure. À quoi s'ajoutent des entrées et sorties par de bien prosaïques pendrillons. Hors du temps, cette Fanciulla ne raconte de surcroît rien du nôtre. Quelle aubaine pourtant pour un metteur en scène (et a fortiori pour une metteuse en scène) que cette Minnie qui n'a jamais lu ni ne lira jamais L'Opéra ou la défaite des femmes !


Cette lecture impersonnelle pourrait nuire à la musique, comme cela arrive quand plateau et fosse ne sont pas au diapason. Il n'en est miraculeusement rien. pense manifestement comme Webern. Les accords introductifs saisissent et la bride n'est plus lâchée jusqu'au finale. Le directeur musical révèle le kaléidoscopique carrousel des beautés cinématographiques de La Fanciulla : la nostalgie des mineurs, la tempête, le poker menteur du II (du grommellement de son introduction à sa conclusion scandée par le rire « clytemnestrien » de Minnie, toujours le sommet de l'œuvre), les chevauchées, la fin heureuse du style I'm no more a poor lonesome woman… Rien ne laisse indifférent. Bien que les airs, aussi rares que brefs, ont fait place à une sorte de conversation en musique tout à fait unique dans la production du compositeur, Rustioni montre comment La Fanciulla chante son Puccini sans discontinuer. Sous sa baguette enivrante, l'Orchestre de l'Opéra apparaît plus en forme encore que dans La Dame de Pique !

Le chœur d'hommes de cette histoire de femme, la distribution hollywoodienne des comprimarii (pas moins de 16 dont, excusez du peu, , , ou encore , récemment nommé aux Victoires de la Musique…) est absolument grandiose. On remarque l'Ashby élégant de Rafał Pawnuk, le ténor clair du Nick de . , baryton stylé, ferait un beau méchant de service, si la mise en scène ne le condamnait par trop à des poses de traître d'opérette. Livré lui aussi à son timbre enivrant, le Dick Johnson enflammé de Riccardo Massi s'accorde à merveille au lyrisme lumineux d'une partenaire qui est la sidération même : est une immense Fanciulla, dont la trempe, les moyens précieux (aigus puissants mais jamais perçants), la santé en béton, et la bonté qu'ils exsudent, ne sont pas pour rien dans l'enthousiasme général qui salue la représentation. Soprano en or massif, est assurément une artiste à suivre de très près.

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

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Lyon. Opéra. 26-III-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Fanciulla del West, opéra en 3 actes sur un livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarani. Mise en scène : Tatiana Gürbaca. Décors : Marc Weeger. Costumes : Dinah Ehm. Lumières : Stefan Bolliger. Avec : Chiara Isotton, soprano (Minnie) ; Claudio Sgura, baryton (Jack Rance) ; Ricardo Massi, ténor (Dick Johnson) ; Robert Lewis, ténor (Nick) ; Rafał Pawnuk, basse (Ashby) ; Allen Boxer, baryton (Sonora) ; Zwakele Tshabalala, ténor (Trin) ; Matthieu Toulouse, basse (Sid) ; Ramiro Maturana, baryton (Bello) ; Léo Vermot-Desroches, ténor (Harry) ; Valentin Thill, ténor (Joe) ; Florent Karrer, baryton (Happy) ; Pete Thanapat, basse-baryton (Larkens) ; Kwang Soun Kim, basse (Billy Jackrabbit) ; Thandiswa Mpongwana, mezzo-soprano (Wowkle) ; Paweł Trojak, baryton (Jake Wallace) ; Paolo Stupenengo, basse (José Castro) ; Didier Roussel, ténor (Un postillon). Chœur (chef de chœur : Benedict Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Daniele Rustioni

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