Chroniques

par katy oberlé

Des Simplicius Simplicissimus Jugend
La jeunesse de Simplicius Simplicissimus

opéra de Karl Amadeus Hartmann
Tiroler Landestheater, Innsbruck
- 21 mars 2024
À Innsbruck, "Simplicius Simplicissimus", l'opéra de Karl Amadeus Hartmann...
© birgit gufler

Voici longtemps que je voulais voir cette œuvre sur scène ! Partie de Strasbourg vers la Suisse, ma tournée lyrique de printemps s’achève ce jeudi dans la capitale tyrolienne, après une courbe virée dans quatre maisons d’opéra italiennes. D’une intégrité exemplaire pendant la période nazie, le compositeur bavarois Karl Amadeus Hartmann, à l’inverse de son contemporain Richard Strauss, a préféré se terrer chez lui avec son art plutôt que de se compromettre avec la IIIe Reich. En 1934, le chef d’orchestre Hermann Scherchen, qui s’était réfugié à Winterthur, en Suisse, suggère à son ami Hartmann de se pencher sur le roman de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen (1621-1676), Der Abentheurliche Simplicissimus Teutsch (1668), conte féroce, picaresque à l’allemande, qui se passe durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Bien que le musicien a livré l’Ouverture de son futur opéra au début de la guerre, ce qui permit à Hans Rosbaud d’en diriger la création en 1939 à Munich, il lui fallut quatorze ans pour finir l’opus entier.

Au printemps 1948, Le même Rosbaud a mené la première de Des Simplicius Simplicissimus Jugend, opéra en un acte d’environ une heure, toujours à Munich et en version de concert. La création scénique eut lieu finalement à Cologne, dans une mise en scène d’Erich Bormann et sous la direction musicale de Richard Kraus. Insatisfait de son travail, Hartmann s’y remet et signe une nouvelle version en 1956, créée à Mannheim le 9 juillet 1957 sus la battue de Joachim Klaiber et dans une mise en scène de Karl Fischer. Et depuis ?...

Il faut bien dire que l’ouvrage n’est presque jamais joué. Il n’est pourtant pas d’un abord difficile, même s’il ne cède rien sur l’exigence du langage musical. Il est probable que le fait qu’Hartmann se situe dans une lignée de compositeurs allemands qui n’adoptèrent pas la série dodécaphonique et, sans cracher dans la souple de la modernité harmonique, lui préférèrent les subtilités de timbres à la française et une tonicité rythmique inspirée par le Stravinsky des premiers ballets, ne soit pas pour rien dans cette mise à l’écart, dès après la guerre. Hindemith connut un sort analogue, et bien d’autres. Aujourd’hui ? Simplicissimus reste d’une rareté sidérante. D’ailleurs, en plus de vingt ans de publications, nous avons rendu compte uniquement d’une production à Stuttgart qui fit l’objet d’une captation [lire notre critique du DVD], c’est tout. En 2024, lorsque l’Azerbaïdjan foule sans complexe le sol arménien, lorsque les troupes israéliennes massacrent les Gazaouis, lorsque la Russie poursuit fermement ses attaques des villes ukrainiennes, jouer cette œuvre ne semble pas exotique, vraiment !

Le Tiroler Landestheater d’Innsbruck en a confié la production à l’excellente Eva-Maria Höckmayr qui mène redoutablement bien ses soldats chanteurs et parleurs, avec un sens très appréciable du théâtre [lire nos chroniques des Troyens et d’A village Romeo and Juliet]. Dans le décor simple de Ralph Zeger, c’est une leçon de cynisme guerrier qu’elle dispense à travers les multiples inscriptions à la craie qui animent la mise en scène. Des figures comme surgies d’un charnier puant envahissent le plateau – ce n’est pas beau, la guerre. Sous la direction alerte de Hansjörg Sofka, le TENM (Tiroler Ensemble für Neue Musik) conduit une danse souvent macabre qui donne à réfléchir. Les costumes, également réalisés par Ralph Zeger, rapprochent l’action de notre ère, utilisant malgré tout quelques références au XVIIe siècle dans le côté poupées, mais sans insistance. Ce qui se joue ici est d’aujourd’hui, pas de doute.

La partie du Narrateur est confiée à la comédienne Eleonore Bürcher qui la porte avec une énergie puissante. Le jeune baryton-basse Nikita Voronchenko fait bel effet en Capitaine très sonore. Dans la même tessiture, Benjamin Kelly Chamandy campe un ferme Contremaître, d’une couleur joliment cuivrée [lire notre chronique d’Hippolyte et Aricie]. La chaleur veloutée de la basse Oliver Sailer est un luxe dans les parties du Paysan et du Sergent – quelle voix ! Quant au ténor clair de Florian Stern, il est idéal en Gouverneur comme en Ermite. Le rôle-titre revient au soprano très pur de Marie Smolka. Avec cette fine équipe de jeunes gens, Des Simplicius Simplicissimus Jugend affirme un lyrisme assumé.

Ainsi s’achève ma promenade, après neuf représentations. Vivement la prochaine !

KO