Roberto Alagna : un "si" de trop

Le ténor français, privé de ses aigus dans "Turandot" à Orange, a-t-il péché par excès de confiance en lui ?

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Roberto Alagna lors d'une répétition à Orange, le 25 juillet dernier.
Roberto Alagna lors d'une répétition à Orange, le 25 juillet dernier. © AFP

Temps de lecture : 3 min

L'enivrant ré-mi-fa-mi-ré-mi-do-si de Nessun Dorma retentit... Et c'est le drame. Le "si" final tant attendu ne sortira pas. Ce samedi 28 juillet, le fidèle chanteur franco-sicilien des Chorégies d'Orange n'arrive pas au bout de Nessun Dorma, grand air de Turandot, opéra posthume de Puccini.

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Seul grand air du rôle avec Non piangere, Liú!, Nessun Dorma ne fera pas sensation cette année. Notre Roberto national semblait fatigué durant les deux premiers actes. Il est attendu sur cet air, dont le si final est réputé pour sa puissance et sa clarté. Les dernières notes de cet air - sur les mots "Vincero!" ("Je vaincrai") - étaient censées retentir dans la salle comme un cri de courage et de désespoir du prince, prêt à conquérir sa terrible princesse de glace. "Vince..."... Eh non. Le prince n'aura pas vaincu cette note tant redoutée.

Hier, sur sa page fan de Facebook, Roberto Alagna appelle à ne pas répondre "violemment" à cet incident. Il explique à ses "chers amis" (son public) que, ayant subi un "lourd traitement antibiotique" à la suite d'une mycose du tube digestif, la vibration de ses cordes vocales est atteinte. Certes, mais il tient pourtant à assurer les représentations programmées à Orange au mois d'août. Mais le 28 juillet, après deux premiers actes passés péniblement, il demande à se faire remplacer. Hélas, à l'entame du troisième acte, personne n'est disponible. Conscient que le rôle de Calaf était "lourd", Alagna s'est tout de même lancé dans l'aventure, voulant pousser ses limites "au maximum"... Orgueil ou simple générosité pour son public ?

Déjà à la Scala...

Ce faux pas n'est pas une première pour l'artiste. Souvenez-vous de la Scala de Milan en décembre 2006... Sur la partition d'Aïda, Verdi écrit un "si". Sur scène, Roberto Alagna le chante "si bémol". Ce demi-ton ne pardonne pas. Interprétant le rôle de Radamès, officier égyptien éperdu de la jeune esclave éthiopienne, le ténor est alors sifflé et hué après Céleste Aïda. Il quitte la scène immédiatement et est remplacé par Antonello Palombi. Le lendemain, Stéphane Lissner - directeur artistique de la Scala de Milan - fait savoir dans un communiqué à l'AFP qu'il souhaite rompre sa collaboration avec le chanteur, qui aurait déclaré avant de monter sur scène : "la Scala ne me mérite pas".

À Orange, Alagna était-il malade ou a-t-il opté pour un choix (trop) risqué ? La première solution est un fait, la seconde une éventualité. L'amplitude du nombre de rôles chantés par le ténor français impressionne. Incarner le duc de Mantoue (Rigoletto, Verdi), puis Roméo (Roméo et Juliette, Gounod), mais aussi Alfredo (La Traviata, Verdi), Radamès et enfin Calaf, c'est fascinant. Ou risqué.

À ses débuts, la voix de Roberto Alagna était légère et lumineuse. En Alfredo, en Rodolfo, ou en duc de Mantoue, il enchante en chantant. Riccardo Muti ou le Festival de Glyndebourne se l'arrachent pour interpréter ces rôles italiens sur les plus grandes scènes internationales. Puis, dans les années 2000, sa voix s'assombrit, ce qui le pousse à tenter des rôles plus lourds, tels Ramadès, ou à s'essayer dans des extraits d'Otello. S'il est malade, le public - on l'espère - l'excusera. Les questions qui restent posées portent sur la nécessité d'interpréter des rôles qui ne correspondent pas à sa tessiture... Pourquoi ne pas se contenter d'un domaine parfaitement maîtrisé ? Un rôle comme celui de Calaf est lourd. Et ce n'est pas dénigrer le ténor que de dire qu'il nécessite une voix plus lyrique que soutenue. La technique remarquable de Roberto Alagna est indéniable. Et c'est sans doute par un désir esthétique trop large qu'il choisit des rôles qui révèlent l'insuffisance de sa couleur vocale. Et que dire de sa période "star-system" qui l'a amené à aborder un répertoire moins lyrique, comme celui de François Lopez ? Un extra qui l'oblige à s'éloigner des notes larges et lourdes que requiert un rôle comme celui de Calaf...

Roberto Alagna reste un ténor d'exception. Espérons que la retransmission en direct des Chorégies d'Orange sur France 3 d'une autre représentation de Turandot nous prouvera qu'il vaut mieux qu'un "si" approximatif...

Commentaires (18)

  • freia

    C'est pratiquement inévitable. Ainsi maintenant Placido Domingo chante des airs de baryton, le ténor perd dans les aigus mais gagne dans les graves. Il faut évoluer en conséquence et il faut savoir gérer sa carrière et ne pas se laisser pressurer par son agent et les producteurs et cela semble difficile car gagner de l'argent c'est tentant (ce n'est pas une critique). certes quand on est malade il vaut mieux, ne pas chanter, non seulement pour le public, mais pour sa voix, mais là encore ce n'est pas évident, car le chanteur est sous contrat et déclarer forfait impose qu'il en justifie. D'après ce que j'ai lu ici, il a demandé à se faire remplacer pour le mois d'aout. Il a bien fait. A mon avis il alterne des rôles qui, ne sont pas bons pour sa voix, comme chanter à la manière de Luis Mariano. Et il accepte des rôles qu'il ne devrait pas accepter pour sauvegarder sa voix comme chanter Radames et Otello, en même temps que des airs populaires. j'ai toujours pensé que Natalie Dessay s'était fait du tort en chantant la reine de la nuit, surtout à l'époque ou elle l'a fait, et aujourd'hui on voit le résultat. je pense que Roberto devrait prendre un long repos, et travailler moins à l'avenir, ne pas se disperser comme il le fait et s'il a vraiment une mycose digestive s'abstenir de chanter jusqu'à ce qu'il soit sur que l'infection ait disparu, car c'est sa voix, son instrument qui est en danger.

  • guyome54

    Tous des jaloux ceux qui critiquent [...] ! Bravo Roberto vous avez remis les pendules à l'heure mardi! Le "Si" est passé et plus que bien en plus ^^ Mais au delà de cette note, toute votre prestation fut parfaite. Et merci de repousser toujours vos limites vous êtes un exemple de réussite. Ceux qui prétendent le contraire ne connaîtront jamais le bonheur immense de vivre leur vie avec passion. [...] Heureusement, je ne suis pas le seul à tenir ce discours et soutenir cet artiste qui n'a fait que donner le meilleur de lui-même comme toujours d'ailleurs. Signé : un chanteur agacé par toute cette méchanceté gratuite de certains et certaines.

  • aficionado

    J'ai trouvé le spectacle d'Orange bien triste, ou aurait dit les misérables...
    Je garde en mémoire Turandot à Vérone, étincelant.