Stanislas de Barbeyrac : Gluck et Mozart pour préparer Faust et Lohengrin
Stanislas de Barbeyrac, vous êtes actuellement en répétition pour Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra de Paris, dans lequel vous chantez le rôle de Pylade, le fidèle compagnon d’Oreste. La mise en scène est signée Warlikowski : que pouvez-vous nous dire de cette mise en scène ?
Elle est vraiment passionnante. C’est un univers très particulier qu’il est même difficile d’imaginer à ce stade, tant que les décors n’ont pas été assemblés. Ce que j’en ai vu en photo est magnifique. Il s’agit d’un concept très particulier auquel j’adhère totalement, car il ouvre le champ des possibles. Nous évoluons dans une espèce de labyrinthe aux parois vitrées, avec des clones des personnages d’Oreste et d’Iphigénie. Tout un monde est créé, un hospice de personnes âgées, dans lequel de vieilles femmes regardent la télévision. Dans cet univers particulier, les personnages sont concrets et l’histoire doit rester concrète. Cela oblige à chercher des choses dans le jeu : Krzysztof Warlikowski est très présent avec nous pour fouiller, changer, remettre en question ce que nous pourrions déjà penser acquis. J’adore faire cela : c’est un travail passionnant.
Il s’agira de votre prise de rôle : quelles en sont les plus grandes difficultés ?
La difficulté vient du diapason [c’est-à-dire la fréquence du la de référence, mesurée en Hertz, ndlr]. Nous jouons avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris sur un diapason 442, ce qui est assez haut pour tout le monde. Il va nous falloir gérer les balances avec un orchestre moderne, qui aura, j’imagine, une autre couleur que ce dont j’ai l’habitude : j’ai jusque-là chanté Gluck avec des instruments anciens sur un diapason de 400. J’ai hâte de réaliser mes premières répétitions avec l’orchestre : la partition est assez fournie, avec beaucoup de cuivres. J’ai déjà travaillé avec Bertrand de Billy, qui est un chef très attentif aux chanteurs : j’imagine donc que nous n’aurons pas à nous battre contre la fosse. Nous avons fait un filage hier : Pylade est un rôle somme toute assez succinct, mais il faut gérer ses airs qui sont délicats. Unis dès la plus tendre enfance est rempli de couleurs contrastées et de directions théâtrales différentes. Or, cet air arrive tout de suite : il faut être prêt et bien gérer son instrument. Le dernier air est héroïque : avec ce diapason, il le sera plus encore que je ne l’imaginais. Il n’est pas forcément évident de gérer la continuité psychologique du personnage avec des interventions épisodiques. C'est ce que nous sommes en train de construire et cela aide vraiment le chant. Faire une prise de rôle avec un tel metteur en scène est très enrichissant. Je construis beaucoup d’outils pour l’avenir.
Le rôle a été écrit pour un haute-contre, mais je n’y pense pas du tout. Le rôle de Pylade est tout à fait adapté à une voix de ténor lyrique et il entre parfaitement dans mon ambitus.
Pouvez-vous nous décrire le personnage d’un point de vue dramatique ?
C’est un personnage assez intense. Il a toujours été élevé avec Oreste et il a été éduqué pour le servir et pour prendre sa place face à la mort. Ils partagent un amour tendre, une amitié fraternelle, comme cela pourrait être le cas pour deux frères ou deux copains de régiment. Ils sont prêts à tout l’un pour l’autre. Mais en l’occurrence, c’est Pylade qui doit s’offrir en sacrifice car il s’agit de sa mission depuis toujours. Dans la manière dont nous dessinons le personnage dans cette mise en scène, c’est ainsi toujours moi qui dois me mettre en avant devant le sacrifice. C’est moi qui dois le protéger car lui n’a plus peur de la mort, du fait de son passé [il a assassiné sa mère Clytemnestre pour venger son père Agamemnon, ndlr]. Même s’il est là, existant, il est déjà mort. Il ne se rend plus compte de ce qui se passe autour de lui. C’est à moi de lui rappeler sans cesse que nous avons chacun une mission, un destin, dont nous ne devons pas dévier. Je dois le sortir de sa tragico-monomanie et être héroïque. Pas comme un héros qui bombe torse pour montrer qu’il est fort. Le personnage est plus subtil que cela. C’est un héroïsme suranné qui est passionnant.
Il s’agira de vos retrouvailles avec Véronique Gens après l’Alceste de 2015 (en lire notre compte-rendu) : que retenez-vous de cette production ?
Cela reste un excellent souvenir. J’ai été ravi lorsque j’ai su que nous allions refaire un Gluck ensemble. Bien sûr, notre relation est ici différente de celle que nous avions dans Alceste, mais c’est plus confortable pour moi de faire une prise de rôle avec des personnes que je connais, avec lesquelles j’ai déjà travaillé, dans des endroits où je connais les gens. Cela crée un contexte agréable.
Stanislas de Barbeyrac dans Alceste mis en scène par Olivier Py (© Julien Benhamou)
La dernière présentation de cette production aura lieu le jour de Noël : que dire au public pour qu’il choisisse cette activité ce jour-là ?
En effet ! Je n’y avais même pas fait attention au moment de mon engagement. Je me suis donc posé exactement la même question. Mais finalement, la magie du spectacle fait que l’on peut tout voir un 25 décembre. Il n’est pas nécessaire de voir forcément la Belle Hélène ou la Flûte enchantée. C’est un spectacle qui est d’autant plus intéressant qu’il ne laisse pas indifférent. Il a de nombreuses résonances dans la société actuelle, même si je ne crois pas que ce soit une volonté particulière de Krzysztof Warlikowski. Elle interpelle. On ne sort pas de ce spectacle comme on y est entré : rien que pour cela, voir ce spectacle vaut le coup. C’est d’ailleurs un aspect que j’aime dans le chant lyrique : on n’est pas toujours d’accord avec ce qui est fait, mais au moins on se pose des questions.
Vous reviendrez pour 10 dates en janvier et février dans La Flûte enchantée mise en scène par Robert Carsen : avez-vous déjà vu cette production ?
Non, je ne l’ai jamais vue. J’aime arriver aux répétitions avec un regard neuf et découvrir le spectacle.
Vous avez déjà travaillé avec Robert Carsen sur Tannhauser et sur Les Dialogues des Carmélites, que retenez-vous de ces expériences ?
C’est un metteur en scène passionnant. D’abord parce qu’il connait bien et respecte profondément la musique, mais aussi parce qu’il va au fond des choses dans le travail théâtral : il ne vous lâche pas. Lui non plus ne tient rien pour acquis : il revient sans sourciller sur une idée que nous trouvions bonne la veille s’il a eu une nouvelle inspiration entre-temps. C’est déstabilisant pour le chanteur car nous aimons bien lorsque les choses sont fixées, mais cela fait partie intégrante de notre métier. Travailler avec des metteurs en scène de cette qualité donne un bagage énorme pour l’avenir. De même, le travail avec Simon Mcburney sur la Flûte enchantée avait été très formateur.
Mauro Peter et Jacquelyn Wagner dans la Flûte enchantée mise en scène par Robert Carsen (© Elisa Haberer)
En votre for intérieur, comment percevez-vous le personnage de Tamino ?
Je l’imagine toujours comme un explorateur viril, avec les pieds sur terre. J’aime qu’il ne soit pas juste naïf et éberlué par tout ce qu’il rencontre. Il se fait piéger puis il tombe fou amoureux d’un portrait, d’une image : c’est tout de même qu’il s’est passé quelque chose de fort ! Dès lors, il compte sur sa force et sa jeunesse pour aller à son secours. Le chant apporte un second niveau de lecture : la naïveté, la peur ou encore l’amour. C’est la beauté de l’art lyrique : la musique exprime des choses qui peuvent aller au-delà du texte. L’allemand est d’ailleurs magnifique dans cet ouvrage. C’est une œuvre qui peut donner lieu à des univers très différents, parfois même incongrus : tout dépend donc beaucoup de la vision du metteur en scène.
Nadine Sierra, qui chantera Pamina avec vous, nous disait (dans son interview à découvrir bientôt mais dont vous pouvez lire la première partie ici) que Tamino n’arriverait à rien sans Pamina : comment allez-vous réconcilier ces deux visions ?
Ces deux visions ne sont pas irréconciliables. Ce qui est étrange dans cette histoire, c’est qu’ils ne se rencontrent réellement et ne se touchent qu’à un seul moment : à peine s’effleurent-ils qu’ils sont d’ailleurs séparés. Avant, ils ne sont que dans l’imaginaire et ont des parcours différents, une initiation différente. Lui dispose de cette image : il est mû par la beauté du portrait et par les messages de tous les personnages qu’il rencontre.
En quoi cet opéra reste-t-il actuel ?
Le message fondamental de l’ouvrage n’est pas selon moi son discours franc-maçon : il faut s’attacher davantage à sa poésie, qui est intemporelle. Par ailleurs, il montre que lorsque l’on a un objectif et un rêve, ce qui est le cas de Tamino qui est attaché à une image, il faut être prêt à tout pour le réaliser. Quand on est déterminé, les obstacles et les épreuves n’en sont plus : on arrive au moins à effleurer de près son projet. Enfin, je crois que l’opéra doit laisser à chacun la possibilité de faire des liens avec sa propre vie quotidienne : cela doit rester personnel, surtout pour un ouvrage poétique comme la Flûte enchantée.
Voyez-vous vous-même une résonance entre le parcours de Tamino et votre parcours personnel ?
Bien sûr. Il est vrai que notre métier est difficile, dans la mesure où nous sommes très nombreux à vouloir en vivre. Il y a une réalité économique qui fait que les chanteurs deviennent des produits, ce dont il faut avoir conscience. Tant que ça marche, tout va bien, mais nous savons que dès que ça ne marche plus, beaucoup de chanteurs attendent à la porte. C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux milieux professionnels. Je suis très satisfait de ce qui se passe pour moi. Je me fixe des objectifs élevés sans être carriériste pour autant car j’ai une famille. Bien sûr, j’ai de l’ambition parce que j’ai envie de chanter au meilleur niveau, mais pas à n’importe quel prix.
Quelles limites vous fixez-vous ?
D’abord d’être raisonnable : ne pas aller trop vite trop loin. Je sais ce que je serai capable de chanter dans les deux ou trois prochaines années. Je sais aussi quels sont les rôles que je voudrais faire, mais qui ne me sont pas accessibles pour l’instant, car je dois d’abord montrer d’autres choses. Il est indispensable d’être solide dans sa tête car il y a beaucoup d’informations à gérer, de tentations, de sollicitations et on est tout seul pour prendre les décisions. Bien sûr, mes agents font des plans de carrières, ce qui est important, mais je reste seul décisionnaire. Je me réfugie dans une cellule familiale à laquelle j’accorde beaucoup d’importance. J’ai voulu la construire et j’en ai besoin : je ne veux pas laisser ma carrière prendre le pas dessus. Pour l’instant, je fais ces sacrifices car je suis en début de carrière et qu’il est impossible de refuser des projets adaptés, proposés au bon moment, dans des grandes maisons, car je sais que si je dis non, d’autres prendront la place. Pour l’instant, nous construisons avec mes agents les choses sainement, à un bon rythme. Beaucoup de projets s’enchaînent, mais dans des répertoires proches, avec de petits défis pour explorer d’autres choses, que je me lance en veillant à ce qu’ils restent mesurés. Je regarde la taille de la salle, le chef, le metteur en scène, etc.
Par exemple, le Macbeth de l’an dernier était un défi car même si le rôle de Macduff n’est pas éprouvant, c’est un autre répertoire, une autre couleur, un univers. C’était à Marseille, une salle où l’on aime Verdi et où l'on aime le chant, et je savais qu’avec Pinchas Steinberg ce serait un travail intense, qu’il ne pardonnerait rien dans la qualité, et que cela me donnerait beaucoup d’outils pour refaire ce rôle à l’avenir. Il a en effet été intransigeant et il a eu raison.
Stanislas de Barbeyrac (© Y. Priou)
Quels seront vos prochains défis ?
Dans un premier temps, il y aura beaucoup de Gluck et de Mozart, mais aussi les Dialogues des Carmélites dans les saisons à venir, dans des maisons où j’ai envie de débuter comme San Francisco, Zürich. Il y aura aussi Bruxelles ou des maisons italiennes. Les défis seront des prises de rôle sur d’autres répertoires, mais il est trop tôt pour en parler.
Pour ce qui est de la Flûte Enchantée, vous allez partager une date avec Florian Sempey (qui chantera sur ses autres dates avec Pavol Breslik) : quel lien entretenez-vous avec les chanteurs de votre génération ?
Nous sommes très contents de nous retrouver parce bien souvent, nous ne faisons que nous croiser. Florian et moi avons fait nos études ensemble, bien qu’il soit un tout petit plus jeune que moi, mais nous avons rarement eu l’occasion de chanter tous les deux. Récemment, nous nous sommes retrouvés pour Armide (en lire notre compte-rendu) et nous avons pu discuter de ce que nous pourrions chanter ensemble. Avec d’autres chanteurs de ma génération, Julie Fuchs, Sabine Devielhe, Marianne Crebassa et Alexandre Duhamel, nous sommes ravis dès que nous avons l’occasion de chanter ensemble. Nous sommes plusieurs anciens des ateliers lyriques à nous retrouver de temps en temps sur des productions et c’est toujours agréable de prendre le temps de discuter en dehors des horaires de répétition.
En juin, vous chanterez Don Giovanni à San Francisco. Comment vivez-vous ces débuts américains ?
J’en suis ravi. Je n’ai jamais été aux États-Unis et je suis très content de répondre à cette opportunité : je me suis toujours promis que la première fois que j'y poserais le pied, ce serait pour y chanter. Après en avoir discuté avec mon agent, j’ai accepté d’endosser le personnage de Don Ottavio. J’ai été ravi de pouvoir le travailler cet été dans un contexte vraiment approprié au Théâtre du Château de Drottningholm [en Suède, ndlr] avec Marc Minkowski et Ivan Alexandre. Cela m’a aussi permis de rôder le rôle et d’avoir beaucoup de dates. J’ai appris que Marc allait aussi diriger outre-Atlantique : j’adore travailler avec lui, c’est quelqu’un que je connais bien et avec qui je suis très complice. Il m’a ouvert beaucoup de portes et je l’en remercie. Nous avons aujourd’hui une relation professionnelle, mais aussi amicale, qui s’est tissée au fil du temps car nous nous retrouvons régulièrement. Faire mes débuts dans une aussi grande maison avec lui sera rassurant et moins stressant. D’autant que le reste de la distribution est vraiment prestigieux [le rôle-titre est ainsi interprété par l’un des spécialistes actuels, Ildebrando D’Arcangelo, ndlr].
Vous chanterez en récital début décembre à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, puis avec Alphonse Cemin à l’Athénée en mars : est-ce un exercice qui vous plait ?
Oui, j’aime beaucoup. C’est compliqué de préparer un récital durant une saison lyrique. Un programme de récital est toujours un peu délicat, car chaque maison d’opéra a des demandes et des exigences spécifiques. Je puise dans les répertoires que je connais déjà, mais j’aime toujours faire également des choses nouvelles. L’ensemble doit être cohérent. Cela prend du temps car c’est un exercice assez périlleux. Mais j’aime beaucoup avoir ces pauses dans une saison lyrique qui sont un peu des mises à nu où je peux faire un travail technique plus fin et plus précis qui est aussi essentiel pour la production d’opéra. C’est très intéressant de revenir à ces bases-là, avec juste un piano à côté de moi : je peux trouver d’autres couleurs et ne pas faire que du gros son.
J’essaie de faire au moins un récital par an. J’en ai un de prévu en 2017, un autre en 2018 à Bordeaux. Je fais aussi des choses un peu plus "off" pour préciser mon répertoire. Pour l’instant, c’est un bon compromis, mais dans les années à venir, j’aimerais faire plus d’oratorios, plus de concerts pour varier les plaisirs.
Vous avez été évoqué par Yann Beuron (dans notre interview à lire ici) comme l’un des chanteurs les plus talentueux de votre génération, vous avez reçu l’an dernier l’Opera Award du jeune chanteur. Que vous inspire cette reconnaissance ?
En ce qui concerne Yann, cela m’a fait très plaisir. Je l’admire beaucoup. Durant mes études de chant, j’avais les disques de tout son répertoire mozartien et gluckiste, j’ai aussi eu l’occasion de travailler avec lui sur mon premier Alceste. C’est un privilège qu’une personne aussi intelligente, qui a toujours la fraîcheur de la voix, se sente intéressée et appelée à suivre des jeunes chanteurs comme nous. J’ai donc été très touché : cette reconnaissance pour mon travail, mes choix artistiques compte beaucoup car être chanteur représente des sacrifices, de la solitude et c’est aussi un milieu où l’on est souvent critiqué.
Est-ce quelque chose que vous recherchiez lorsque vous avez débuté ce métier ?
Absolument pas, je chante avant tout pour moi.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir chanteur lyrique ?
C’est un véritable coup de foudre. Au départ, je ne voulais pas du tout être chanteur. Enfant, je faisais partie d’une maîtrise, mais ça n’était qu’un loisir, au même titre que le rugby. Après ma mue, le chant m’a manqué. J’étais étudiant en journalisme et la professeure qui m’enseignait le chant avant m’a conseillé de m’inscrire au conservatoire pour intégrer la chorale et avoir quelques cours de solfège. J’ai passé le concours pour y entrer, j’ai été reçu et mon premier cours a été une révélation pour moi. Le monde du lyrique m’était inconnu. Je suis entré dans la classe de Lionel Sarazin, qui était nouveau à cette époque, et depuis on ne s’est plus quittés. J’ai découvert avec bonheur les sons que je pouvais émettre, le théâtre, l’utilisation du corps. Sans être timide, j’étais un peu inhibé : cela m’a transformé. J’ai vite compris que c’était ce que je devais faire. Je me suis donc lancé à corps perdu dans cet apprentissage.
Et à quel moment avez-vous compris que votre carrière était lancée ?
L’Atelier lyrique est en fait arrivé assez vite : j’avais trois ans et demi de chant derrière moi, j’étais complètement débutant. Cet atelier a été un véritable cataclysme : on est presque dans le milieu professionnel, on reçoit énormément d’informations, on participe à des projets et à des concerts. Cela a été dur pendant deux ans. Mais à partir du moment où on franchit ces portes-là, on sait qu’on est lancé, même si on ne sait pas vraiment où l’on va. Il faut trouver un agent, passer des auditions. Il y a des désillusions. Après ma sortie de l’atelier, cela s’est construit assez calmement dans plusieurs maisons françaises où j’ai fait mes premiers pas. Puis, on entre dans une sorte de système : on passe des auditions et on franchit des paliers. Ce qui est certain, c’est que quelque chose s’est amorcé à partir de l’Atelier lyrique.
Quel est le moment (positif ou négatif) le plus marquant de votre carrière ?
Il y a eu plusieurs moments. La réussite du concours d’entrée à l’Atelier lyrique m’a fait quelque chose car j’avais beaucoup travaillé en amont en ayant parfois l’impression de travailler beaucoup pour peu de résultat, et pour cause : encore aujourd’hui, je continue à chercher à aller toujours plus loin. Plus tard, j’ai fait mon premier rôle sur scène à Orange, ce qui n’est pas rien ! Je remercie d’ailleurs Raymond Duffaut de m’avoir donné cette opportunité. Une autre production marquante était la Flûte Enchantée à Aix-en-Provence. Ce moment a été un tremplin pour moi car je revenais d’une période de pause de deux mois pendant laquelle j’étais malade. Je me retrouvais donc d’emblée exposé dans une situation intense, je n’avais jamais chanté Tamino. C’était un grand défi psychologique mais qui s’est bien terminé.
Avez-vous un regret dans la manière dont votre carrière s’est déroulée jusqu’ici ?
Non, vraiment pas. C’est vrai qu’il y a toujours des moments moins intéressants ou plus difficiles. Il y a aussi au contraire de très bonnes expériences qu’il faut savoir digérer. Mais je n’éprouve aucun regret.
Avez-vous des modèles ?
Je suis très admiratif de Fritz Wunderlich, que j’ai beaucoup écouté, comme d’autres chanteurs du passé qui sont toujours sur mon téléphone ou dans ma discographie. J’aime beaucoup Georges Thill, André d’Arkor qui est un ténor belge un peu moins connu. Je m’inspire beaucoup d’autres artistes pour des raisons d’esthétisme, de couleurs, pour comprendre pourquoi tel artiste a osé apporter quelque chose de nouveau. Beaucoup de personnes m’inspirent mais je ne veux pas suivre un modèle, parce que le piège est de tomber dans la similitude, de rechercher les mêmes sons. J’ai envie de trouver mes sons propres et je laisse aux gens le soin de juger à quoi cela ressemble. On ressemble toujours forcément à quelqu’un car la voix de ténor est fabriquée, elle n’est pas naturelle.
Avez-vous déjà pensé que vous étiez à présent susceptible d’être un modèle pour de jeunes chanteurs ?
Absolument pas.
Quel conseil donneriez-vous à un chanteur débutant qui souhaiterait avoir une carrière comme la vôtre ?
C’est difficile à dire : j’ai l’impression d’avoir assez peu de recul, comme si j'avais débuté hier. Mais je dirais qu’il faut être bien dans sa tête. J’ai toujours veillé à avoir mon professeur et ma famille pour m'entourer. Il faut s’ancrer à quelque chose, avoir une bouée de sauvetage.
De quoi ressentez-vous le besoin de vous protéger ?
Ce n’est pas qu’il faille se protéger, mais quand le rideau se ferme, la réalité reprend le dessus : on est seul dans sa chambre d’hôtel et il faut avoir quelque chose auquel se raccrocher. Je n’ai pas besoin de l’art lyrique tout le temps : c’est ma passion et j’ai la chance d’en vivre, mais j’ai autre chose à côté qui me nourrit pour l’art lyrique. Je conseillerais donc aux jeunes chanteurs de ne pas faire de l’art lyrique à tout prix. Il faut en être passionné et aller au bout de ses rêves mais aussi avoir conscience que l’art vivant est par définition quelque chose d’éphémère.
Etes-vous critique vis-à-vis de vos propres prestations ?
Oui, et je pense qu’on l’est tous. Je parle avec mon professeur des moments où je me suis senti bien ou moins bien. Par exemple, lorsque je ressens une fatigue particulière, nous réfléchissons aux techniques qui me permettraient de moins forcer de façon à m’apporter plus de confort.
Vous est-il déjà arrivé d’avoir un trou de mémoire en pleine représentation ?
Oui, cela m’est déjà arrivé. Ce sont des fractions de secondes qui paraissent une éternité, c’est un moment de concentration extrême où il faut retrouver un moyen mnémotechnique que l’on s’était donné dans le travail. On a l’impression de perdre dix kilos à ces moments-là.
Est-ce que vous appréhendez cela avant de monter sur scène ?
Pas particulièrement. Je gère assez bien l’apprentissage par cœur. Lors des périodes de travail, j’assimile plusieurs moyens mnémotechniques qui me permettent d’être bien préparé. Après, il y a aussi des théâtres où il est possible de se faire souffler le texte en cas de besoin. Plus globalement, les répétitions sont longues, ce qui permet de toujours se ménager une bouée de sauvetage.
Vous évoquiez le travail effectué avec vos agents pour planifier votre carrière : est-ce que vous parvenez à vous projeter dans deux, cinq voire dix ans ?
C’est un peu le problème du système. Il faut imaginer les choses pour trois ou quatre ans pour ce qui est du répertoire du moment, mais en même temps aussi penser à l’avenir de sa voix. Il y a certaines choses que j’aimerais chanter si ma voix continue à progresser. Ce serait dans longtemps mais il faut quand même déjà y penser car je vais auditionner dans deux ou trois ans pour les productions qui auront lieu dans dix ans. Je discute beaucoup avec mon professeur et mes agents de ce qu’il y aura dans ces années plus lointaines, à quel rôle je pourrais prétendre et ce que je fais en attendant.
Et quels sont les rôles que vous pensez chanter dans dix ans ?
Idéalement j’aimerais me consacrer au répertoire romantique français. Il me semble que dans dix ans (ou peut-être un peu moins), il me sera plus facile de travailler La Damnation de Faust de Berlioz que de chanter Manon de Massenet, que je ne sens pas pour l’instant. Avant de chanter Werther ou Faust, il y aura encore des étapes à franchir.
Quelles sont ces étapes ?
Pour l’instant il faut que je travaille mon Tamino, que j’apporte ma patte vocale et mon identité à ce personnage. Pratiquer ce rôle encore quatre ou cinq ans pourrait peut-être me permettre d’accéder à Lohengrin dans dix ou douze ans. Je m’en donne le temps, mais il s’agit d’une partition que j’aimerais chanter et que j’imagine dans ma voix, car il s’agit d’un rôle assez lyrique.
Quels sont les rôles que vous aimeriez chanter si vous aviez une autre voix, quelle qu’elle soit ?
Je n’y ai jamais réfléchi. Mais j’adorerais chanter Sarastro [dans la Flûte enchantée, ndlr]. J’aime beaucoup les rôles féminins : chez Gluck, je trouve les rôles d’Armide et d’Iphigénie génialissimes. Chez les ténors, j’aimerais beaucoup chanter Samson [dans Samson et Dalila de Saint-Saëns, ndlr] ou encore Enée [dans Les Troyens de Berlioz, ndlr]. Je n’ai jamais trop aimé les Rossini, ni tous les Donizetti, sans doute parce que ce n’est pas dans ma voix ni dans mon répertoire, mais j’aimerais tout de même chanter l’Elixir d’amour, ou du Offenbach. Je ne pourrais pas tout chanter de son répertoire, mais La Belle Hélène ou La Périchole, par exemple, pourraient m’intéresser pour trouver des choses plus légères qui tiennent aussi du théâtre. J’en ai d’ailleurs parmi mes projets en discussion.
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