La Monnaie veut oser en 2024-2025
Pour sa dernière saison en tant que Directeur avant que Christina Scheppelmann ne prenne la relève, Peter de Caluwe s'appuie sur une programmation toujours audacieuse, qu’il présente avec émotion (faisant le lien entre la jeunesse actuelle de l’équipe de cette maison d’opéra, et son parcours de “dernier mohican” ayant connu de son vivant Gérard Mortier). Sa dernière saison bruxelloise est comme toujours complexe et pleine de surprises, elle Ose et se place justement sous le drapeau du verbe DARE, à prendre, selon lui, comme une invitation (et non une injonction) à son public.
Au service d’une saison et d’une maison qui veut oser affronter les enjeux de notre temps, Dare to love, Dare to resist, Dare to desire… Chaque opus de la saison 24-25 répondra à une facette du thème, et se voit doté d’ores et déjà d’un univers graphique réalisé par l’artiste Antonin Waterkeyn (poursuivant dans la veine de l’intelligence artificielle) présenté en un long tunnel/traveling montrant l’imbrication et la progression des œuvres et de la saison.
« Il est difficile d’imaginer une meilleure image de notre rapport à cette innovation : tout en continuant à jouer le jeu de la technologie, mais en redonnant un rôle de taille au créateur humain, nous accordons de nouveau une place à l’autonomie et l’authenticité artistiques. » — Peter de Caluwe.
Opéra
La Tétralogie de Wagner devait être intégralement mise en scène par Romeo Castellucci. La Monnaie a pu en présenter les deux premiers épisodes (L'Or du Rhin et La Walkyrie). Le processus de préparation du reste du Ring par Castellucci s’avérait fascinant (envisageant un film mêlant opéra et Deepfake, technologie d’hyper-trucage reposant sur l'intelligence artificielle). Prometteur, mais visiblement trop long pour permettre qu’il soit présenté avant cette fin de mandat de Caluwe. La seconde moitié sera donc achevée dans une mise en scène de Pierre Audi (annoncée comme nouvelle, sachant toutefois qu'il a réalisé et repris un Ring entier à l’Opéra d'Amsterdam qu’il dirigeait). Pierre Audi permettra ainsi de conclure ce Ring (avec Siegfried dès l'ouverture de saison en septembre placé sous le slogan “Dare to Love”).
Peter de Caluwe présente dès lors ce Ring comme bicéphale / en diptyque, partagé entre Ying et Yang. Après la vision allégorique et lumineuse, il sera plus humain et plus sombre. La baguette reste confiée au Directeur musical Alain Altinoglu, et la distribution réunira, autour du Siegfried confié à Magnus Vigilius, Peter Hoare (Mime), Gábor Bretz (Der Wanderer), Scott Hendricks (Alberich), Wilhelm Schwinghammer (Fafner), Ingela Brimberg (Brünnhilde), Nora Gubisch (Erda) et Liv Redpath (oiseau de la forêt).
Ce Ring se refermera en février/mars avec Le Crépuscule des dieux (“Dare to Change”) toujours avec Scott Hendricks en Alberich et Ingela Brimberg en Brünnhilde, tandis que Nora Gubisch passera d'Erda à Waltraute au sein d’une nouvelle distribution : un nouveau Siegfried (Bryan Register), la voix sombre d’Ain Anger (Hagen), Andrew Foster-Williams (Gunther), Anett Fritsch (Gutrune), Marvic Monreal, Iris van Wijnen et Katie Lowe en nornes, Tamara Banješević (Woglinde), Jelena Kordić (Wellgunde) et Christel Loetzsch (Flosshilde).
Le mois de novembre permettra de voir ou revoir The Time of Our Singing (rattaché ici à l'emblème “Dare to Act”) de Kris Defoort, sous la direction musicale de Kwamé Ryan et dans la mise en scène de Ted Huffman cette fois dans sa pleine mesure : sa création s’était faite en temps de pandémie, en 2021, et pourtant l’opéra avait marqué les esprits par son acuité historique, tirée du roman politique de l’américain Richard Powe (une famille déchirée réunie autour de la passion musicale sur fond de ségrégation dans l'Amérique d’après-guerre). L’Orchestre de chambre de La Monnaie et le Chœur d'enfants Equinox (qui pourront donner leur pleine mesure déconfinée, en entonnant aussi dans cette partition la Music for a While d’Henry Purcell), seront en compagnie du casting de solistes qui reste inchangé : Claron McFadden (Delia Daley), Mark Steven Doss (William Daley), Simon Bailey (David Strom), Levy Sekgapane (Jonah), Peter Brathwaite (Joey), Abigail Abraham (Ruth) et Lilly Jørstad (Lisette Soer). Les chœurs d'enfants et de jeunes de La Monnaie donneront également deux concerts de musique belge dans une thématique "Winter Chorals" pour réchauffer l'hiver.
Jeunes (et moins jeunes) pourront découvrir dans la Salle Malibran (Ateliers de La Monnaie) Le Garçon et le Poisson magique, opéra composé par Leonard Evers (mise en scène Kenza Karin Koutchoukali) d'après un conte des frères Grimm et en forme de fable écologique (un poisson accorde à un enfant, qui l'a libéré après l'avoir pêché, ainsi qu'à sa famille, des voeux de confort, mais il faiblit alors de plus en plus... à l'image de notre exploitation déraisonnée des ressources). Le concert Ravel for Kids proposera pour sa part un après-midi symphonique familial avec Ma mère l’Oye (à Bozar, Salle Henry Le Bœuf).
Le film chef-d’œuvre cinématographique semi-autobiographique d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre (ici sous-titré “Dare to Dream”) ouvre la période hivernale dans une version opératique commandée par La Monnaie. Le livret sera signé Royce Vavrek (habitué d’adapter des films à l’opéra), la musique composée par Mikael Karlsson. Cette chronique d’une intrigue familiale avec voix amplifiées sera mise en scène par Ivo van Hove, dirigée par Ariane Matiakh avec Doris Soffel (Helena Ekdahl), Sasha Cooke (Emilie Ekdahl), Thomas Hampson (Bishop Edward Vergerus), Peter Tantsits (Oscar Ekdahl), Anne Sofie von Otter (Justina), Loa Falkman (Isak Jacobi), Aryeh Nussbaum Cohen (Ismaël), Alexander Sprague (Aron), Justin Hopkins (Carl Ekdahl), Polly Leech (Lydia), Gavan Ring (Gustav Adolf Ekdahl).
Deuxième création mondiale de la saison d’après un autre chef-d’œuvre d’un autre art, Bovary (“Dare to Desire”) marque une nouvelle entrée de ce grand classique dans le registre de l’opéra (une nouvelle entrée pour ce chef-d’œuvre dans lequel l’opéra tient un rôle très important, et qui avait déjà été adapté en opéra, par Emmanuel Bondeville en 1951 à l’Opéra Comique de Paris et par Guido Pannain en 1955 au Teatro San Carlo de Naples). Le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert sera cette fois adapté en livret par Michael de Cock et mis en musique par Harold Noben (compositeur qui avait marqué la maison avec l’opéra de chambre À l’extrême bord du monde figurant les derniers jours de Stefan Zweig en compagnie de son épouse avant son suicide au Brésil). Réponse à la vision intime de Flaubert, la mise en scène (Michael de Cock & Carme Portaceli) présentera en huis-clos une intrigue amoureuse centrée autour du couple Bovary, confié à Ana Naqe et Oleg Volkov avec la présence d’une voix témoin portée par Blandine Coulon (Berthe) dirigés par Debora Waldman.
Après Bastarda (2023) qui avait rassemblé les quatre opus tudoriens de Donizetti en une série consacrée à la jeunesse de la reine Elisabeth I. Après Rivoluzione e Nostalgia (2024) qui rassemblait des extraits des seize opéras de jeunesse de Verdi, La Monnaie retourne aux origines-mêmes de l’opéra avec Monteverdi en condensant tout son catalogue d’opéras qui nous soit parvenu : L'Orfeo, Le Retour d'Ulysse dans sa patrie et Le Couronnement de Poppée. Ce geste Monteverdien initiatique de transposer la puissance de la tragédie grecque en musique, sera confié au réalisateur Rafael Villalobos qui a opéré une synthèse des personnages en allégories (des “grotesques” expliquant le titre de ce projet : I GROTTESCHI - “Dare to Lead”). La direction musicale de Leonardo García Alarcón à la tête de la Cappella Mediterranea visera à souligner la couleur baroque de la partition.
Les allégories grecques sont confiées aux incarnations de Giulia Semenzato (Fortuna), Matthew Newlin en Néron (Privilegio), Raffaella Lupinacci en Ottavia (Virtù), Stéphanie d'Oustrac en Pénélope (Costanza), Jeremy Ovenden en Ulysse (Coraggio), Mark Milhofer en Orphée (Melancolia), Arianna Vendittelli (Carità), Anicio Zorzi Giustiniani (Giudizio), Jessica Niles (Impazienza), Federico Fiorio (Capriccio), Andrea Mastroni (Sapienza) et Xavier Sabata (Esperienza).
Le dernier opéra de la saison souligne l’attention portée par la maison envers les héroïnes féminines, et dans le même temps l’alliance d’un opus classique avec une mise en scène toujours contemporaine. Carmen de Bizet osera ainsi résister (“Dare to Resist”) au sein d’un « jeu de rôle immersif pour humains désabusés » dans la vision de Dmitri Tcherniakov. Familier des lieux (comme Castellucci), le metteur en scène déplace lui aussi l’univers, loin des bohémiens de Séville, dans une thérapie de couple (et pour le public) épuisé par les combats qui perdurent ainsi depuis la nuit des temps. La direction se conjuguera également avec force et au féminin, Nathalie Stutzmann tenant la baguette d’un double casting : Ève-Maud Hubeaux et Stéphanie d’Oustrac dans le rôle-titre, Michael Fabiano et Attilio Glaser en José, avec Anne-Catherine Gillet (Micaëla), Edwin Crossley-Mercer (Escamillo), Christian Helmer (Zuniga), Pierre Doyen (Moralès), Louise Foor (Frasquita), Claire Péron (Mercédès), Guillaume Andrieux (Le Dancaïre), Enguerrand de Hys (Le Remendado).
Vocalissimo
La Monnaie poursuit également bien entendu dans sa fidélité aux récitals, avec des invités ou des artistes de ses productions, entre les représentations mises en scène. Cette nouvelle série continue d’explorer et revisiter le romantisme et les frontières de l'avant-garde.
Le récital Phänomen fera ainsi revivre les émotions des Lieder de Hugo Wolf et Robert Schumann grâce aux interprétations de la soprano Liv Redpath et du baryton Samuel Hasselhorn, accompagnés par Inge Spinette au piano.
Suivant cette ouverture, le récital Transfiguration se consacre à l'expression de l'amour non partagé avec des pièces de Richard Wagner, Hugo Wolf, Franz Liszt, et Richard Strauss interprétées par la basse Franz-Josef Selig et la soprano Masabane Cecilia Rangwanasha, également accompagnés par Inge Spinette.
Le troisième récital est intitulé Ernste Gesänge (Chants sérieux) en référence au titre du cycle de Brahms qui côtoiera des œuvres contemplatives de Schumann et Fauré dans la voix et sous les doigts du baryton Stéphane Degout et du pianiste Alain Planès.
For Cathy rendra hommage à Cathy Berberian et Luciano Berio, figures emblématiques de la musique du XXe siècle, en célébrant le centenaire de leur naissance la même année 1925. La soprano Sarah Aristidou et le chef Filip Rathé proposeront un répertoire qui inclut Recital for Cathy, et les célèbres Folk Songs.
Le récital Dichterliebe (Les Amours du poète) mettra en avant ce cycle de Lieder de Robert Schumann sur des textes d'Heinrich Heine, interprétés par la soprano Elsa Dreisig et le pianiste Romain Louveau.
Lamenti explorera le thème universel des cœurs brisés à travers les compositions de Claudio Monteverdi, Antonio Vivaldi, Gioachino Rossini, Alessandro Scarlatti, Christoph Willibald Gluck, Vincenzo Bellini, et Jake Heggie. La mezzo-soprano Silvia Tro Santafé sera accompagnée par Julian Reynolds au piano et au cembalo.
Le voyage musical continue avec Europa - A Prayer, la mezzo-soprano Karine Deshayes traversant l'Europe centrale avec des œuvres de Gustav Mahler, Ernest Bloch, Antonín Dvořák, Béla Bartók, Kurt Weill, Maurice Ravel, et Sergueï Prokofiev, accompagnée par l'Ensemble Contraste.
Le récital Mirrors de la soprano Jeanine de Bique explore les différentes facettes des héroïnes baroques, accompagnée par le Concerto Köln. Enfin, le dernier récital de la saison, Music to Accompany a Departure, interprété par le Los Angeles Master Chorale, présentera “Musikalische Exequien” d’Heinrich Schütz, offrant une réflexion sur le départ comme un "rite intemporel d’adieu et d’acceptation"... mis en scène par Peter Sellars.
Concerts
La saison de concerts s’ouvrira dans sa diversité dès le premier programme : Histoire du Soldat avec l’œuvre éponyme de Stravinsky mais aussi la Siegfried-Idyll de Wagner (résonnant avec la Tétralogie) et la Symphonie de chambre d'Arnold Schönberg.
La Petite Messe Solennelle de Rossini se rendra à l’Église des Dominicains, dirigée par Emmanuel Trenque et réunissant les Chœurs de La Monnaie et son Académie, Flavia Stricker (soprano), Lilly Jørstad (alto), Lorenzo Martelli (ténor), Brent Michael Smith (basse), Alberto Moro au piano et Bart Rodyns à l’harmonium.
Alain Altinoglu dirigera également les phalanges maison avec le Chœur de la Radio Flamande pour le Requiem de Verdi. Lianna Haroutounian, Marie-Nicole Lemieux, Enea Scala et Michele Pertusi formeront le quatuor de solistes.
Les Valses de Nouvel An de Johann Strauss II, mais aussi Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss, et La Valse de Maurice Ravel résonneront avec le Concerto pour flûte de Jacques Ibert, invitant le soliste Matteo del Monte.
La Monnaie poursuit son cycle Mahler avec la troisième et la huitième symphonie, en collaboration avec le centre culturel BOZAR, impliquant ainsi la richesse des phalanges locales : l’Orchestre symphonique et les Chœurs de La Monnaie, le Belgian National Orchestra, l’Académie des chœurs et les chœurs d'enfants et de jeunes de La Monnaie ainsi que le Chœur de la Radio Flamande. Le casting de solistes inclut Michaela Kaune, Jacquelyn Wagner, Ilse Eerens, Nora Gubisch, Marvic Monreal, Nicky Spence, Werner Van Mechelen et Gábor Bretz.
Le « Mozart Marathon » confluera la saison des concerts avec des œuvres emblématiques du génie, sous la direction d'Alain Altinoglu, réunissant les Chœurs de La Monnaie et son Académie avec les solistes sopranos Lenneke Ruiten et Ilse Eerens, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani et le baryton-basse Andreas Wolf.
Danse
La saison des productions de danse se déploie encore autour de Troika, collaboration entre La Monnaie, le KVS (Théâtre Royal Flamand) et le Théâtre National de Wallonie-Bruxelles. Cette initiative ouvre désormais ses portes aux jeunes chorégraphes, enrichissant son offre culturelle et délaissant les plus grandes et onéreuses productions. Exit Above d'Anna Teresa De Keersmaeker reviendra néanmoins. Pour Freie Form, Marc Vanrunxt collabore avec la danseuse Samantha van Wissen, connue pour ses performances avec Rosas, explorant la transmission intergénérationnelle. Lia Rodriguez offre Création 2025 au mois de mai, avant la clôture de saison autour de Bahar Temiz, en collaboration avec la conceptrice sonore Charo Calvo, revisitant son solo "In Love" de 2016, en se penchant sur des thématiques telles que l'amour, le conflit, le toucher, la célérité et la pérennité.
Ch’eza Street Battle aura ouvert le bal dès la fin août, chorégraphiée par Hendrickx Ntela. Hannibal (After Purcell), création conjointe de Michael de Cock et Junior Mthombeni offrira un dialogue entre danse et futurisme. Blanca Li proposera également un écho aux œuvres de Purcell avec Dido et Aeneas. La jeune chorégraphe bruxelloise, Mercedes Dassy, reviendra avec RUUPTUUR, mêlant transhumanisme et féminisme. Jorge León, connu pour ses films poignants et ses opus mêlant théâtre et performance, proposera un spectacle intitulé Brûler. Wim Vandekeybus et sa Compagnie Ultima Vez (issue de la maison de danse contemporaine de Molenbeek-Saint-Jean) inviteront à se jeter dans le vide avec Void.
La saison proposera également The Roméo de Trajal Harrell, ou encore Amours Aveugles de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen de Siamese Cie, L’Opéra du Villageois de Zora Snake (sur la restitution des biens culturels et la liberté des corps), comme aussi Umuko par Dorothée Munyaneza, It’s Like a Finger Pointing a Way to the Moon inspiré de Namibie et d’Afrique du Sud à Moya Michel, Monument 0.10: The Living Monument d’Eszter Salamon distordant le réel, Ma l’Amor Mio non Muore / Épilogue tiré du film de 1914 de Mario Caserini. La Street Dance est également à l’honneur du Détours Festival.
Affaire à suivre donc pour la saison 2024-2025 de l'Opéra de La Monnaie, comme un hommage aux deux décennies de direction de Peter de Caluwe : Dare to, osant, la continuité d’une ouverture sociétale et avant-gardiste. Abordant une pluralité de sujets sociaux, l’opéra s'engage ainsi à poursuivre son exploration des frontières voire des limites de l'art lyrique, musical, chorégraphique, théâtral, tout en entretenant ses compagnonnages indélébiles.
Les participants et le public de la présentation de cette saison auront déjà applaudi chaleureusement, ces promesses et ce parcours de relation culturelle.