Etre le petit dernier des onze fils de Bach et le seul à avoir affronté le genre de l'opéra n'a pas porté chance à Jean-Chrétien Bach (1735-1782). Celui qui fut surnommé en son temps "le grand Bach" parce que sa carrière, commencée en Italie (où il fut appelé le "Bach de Milan") s'était étendue à l'Allemagne et à la France après avoir été consacrée en Angleterre, où il s'était installé en 1762, devait devenir pour les historiens de la musique le "Bach de Londres", ville où il mourut à l'âge de 46 ans.
L'unique tragédie lyrique que ce converti au catholicisme (étape indispensable pour réussir en Italie, ce qui lui vaudra les foudres de ses frères aînés, luthériens) écrivit pour l'Académie royale de Musique en 1778, Amadis de Gaule, connaît aujourd'hui les honneurs de la scène parisienne.
Ecrit sur un livret en français remanié par Devismes de Saint-Alphonse d'après celui que Philippe Quinault écrivit pour Lully en 1684, Amadis n'avait en effet jamais été remonté depuis sa création le 14 décembre 1779, devant Marie-Antoinette, et sa chute (après seulement sept représentations). Coupable d'avoir été posé en "juge de paix" entre les belligérants de la Querelle des bouffons, discorde esthétique qui opposait alors les partisans de Gluck (prévalence de la tragédie et de la poésie sur la musique) et de Piccinni (prééminence de la vocalité italienne grâce à la virtuosité des castrats).
Les efforts conjugués de l'Opéra Royal de Versailles (où ont eu lieu les premières représentations les 10 et 12 décembre 2011) et de l'Opéra-Comique, qui lui consacre son ouverture de saison, ont eu raison de la défaite ancienne du valeureux paladin, Amadis, amant de la belle Oriane, victimes tous deux de la vengeance des magiciens Arcabonne et Arcalaüs, dont Amadis a tué le frère, son rival en amour.
La partition de Jean-Chrétien Bach confirme l'admiration conjointe que Joseph Haydn et Mozart vouaient au "Bach de Londres". Mozart notamment, dont les 9 ans précoces firent leur miel de la rencontre de Bach au printemps 1765, lors de son séjour londonien. De même en 1778, à Paris, où les préparatifs d'Amadis de Gaule remettent en présence le jeune homme de 22 ans et le musicien, dont la mort lui inspirera cette épitaphe en avril 1782 : "Le Bach anglais est mort - quelle perte pour le monde musical !" Là encore, le premier des grands opéras de Mozart, Idomeneo, écrit dans la foulée pour Munich, n'est pas sans évoquer certains aspects d'Amadis.
Etait-il nécessaire de convoquer le talent de l'ancien directeur de la Comédie-Française, Marcel Bozonnet, pour ce qu'il serait impropre d'appeler une mise en scène tant les décors baroques peints par Antoine Fontaine rythment et encadrent la dramaturgie. Sans compter l'envahissante chorégraphie d'une partition riche en danses, sans doute plus judicieusement réglées à la création par le maître de ballets Noverre.
Le plateau vocal, jeune, est dominé par l'attachant mezzo d'Allyson McHardy (la magicienne Arcabonne), le soprano rayonnant d'Hélène Guilmette (Oriane). Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles défendent avec ardeur leur partie chorale. Mais c'est au Cercle de l'harmonie de Jérémie Rhorer que revient la pleine résurrection de cet Amadis entre baroque finissant et classicisme naissant, resté au tombeau lyrique depuis plus de deux cent trente ans.
Amadis de Gaule, de Jean-Chrétien Bach. Avec Philippe Do, Hélène Guilmette, Allyson McHardy, Franco Pomponi. Jérémie Rhorer (direction), Marcel Bozonnet (mise en scène), Antoine Fontaine (décors), Renato Bianchi (costumes), Natalie van Parys (chorégraphie). Opéra-Comique, 1, place Boieldieu, Paris 2e. Mo Richelieu-Drouot ou Mo Quatre-Septembre. Le 6 janvier, à 20 heures ; le 8 janvier, à 15 heures. Tél. : 08-25-01-01-23. De 6 € à 115 €. Sur le Web : Opera-Comique.com.
Diffusion sur France Musique le 21 janvier à 19 heures.
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