Dans la galerie de l'évolution de l'opéra vénitien au début du XVIIe siècle, Pier Francesco Cavalli (1602-1676) est le chaînon manquant entre le génial "père de l'opéra", Claudio Monteverdi, dont il fut l'élève, et le non moins génial Antonio Vivaldi, dont il anticipe l'heureuse prolificité - l'opéra, il est vrai, a changé de destination, passant des cours et des palais aux salles de spectacle publiques et payantes.
Avec l'Egisto de Cavalli, la scène parisienne a levé cette saison un lièvre musicologique. Alors que l'on avait toujours présenté l'oeuvre du Vénitien (de son vrai nom Caletti-Bruni) comme le premier opéra italien intégralement représenté en France (au Louvre en 1646), Barbara Nestola a prouvé, partition découverte en 2008 à la Bibliothèque nationale de France (BNF) à l'appui, qu'il s'agissait en fait de l'Egisto romain de Marco Marazzoli et Virgilio Mazzocchi. Celui-ci a d'ailleurs créé une heureuse surprise en ouverture de saison sous la direction de Jérôme Correas au sein de la Fondation Royaumont puis au Festival baroque de Pontoise, enfin, au Théâtre de l'Athénée à Paris (Le Monde du 20 octobre 2011).
Manège sentimental
C'est donc par un curieux hasard de l'Histoire que le fameux Egisto de Cavalli fait sa première entrée parisienne ce 1er février : l'Opéra-Comique a repris pour ce faire l'équipe gagnante de 2008 qui avait enchanté Cadmus et Hermione, de Lully. Mais favola drammatica italienne n'est pas tragédie lyrique française, et le premier écueil de cette nouvelle production réside dans le quasi-"analphabétisme" des voix, pour la plupart insoucieuses des couleurs et de l'articulation prosodique italienne - ce point était justement l'un des atouts du travail de Correas, qui mêlait italien poétique et dialectes populaires bergamasque et napolitain.
L'histoire d'Egisto pourrait être celle des Bronzés sur une île ionienne si le metteur en scène Benjamin Lazar ne préférait évoquer la poétique d'un Songe d'une nuit d'été shakespearien. Clori a délaissé Egisto pour Lidio, lequel idiot a oublié Climene pour Clori, dont est également amoureux Hipparco, le frère de Climene. Tout cela n'est en fait que la partie visible de la querelle qui oppose Vénus et Apollon et met en jeu l'Amour. Cavalli en tira un franc succès, la création de son septième ouvrage au Teatro San Cassiano de Venise à l'automne 1643 lui donnant enfin une reconnaissance dans toute l'Italie et jusqu'à Vienne.
Benjamin Lazar a choisi le décor unique d'un temple d'Apollon harmonieusement vieilli et monté sur une tournette pour camper le manège sentimental imaginé par le librettiste Giovanni Faustini. Il l'a fait avec son goût exquis habituel. Mais la gestuelle baroque parfois compassée corsète l'expression lyrique cependant que l'éclairage à la bougie, qui faisait la magie des tableaux à la Caravage d'Il Sant' Alessio de Stefano Landi (Le Monde du 15 octobre 2007), dérobe ici les mouvements et les visages, laissant le spectateur solitaire et glacé dans la pénombre de l'oeuvre. L'ennui guette, que combattent avec une vaillance particulière les trois amoureux masculins (l'Egisto de Marc Mauillon en tête). Mais la Clori de Claire Lefilliâtre fait bien pâle figure tandis qu'Isabelle Druet campe une Climene vociférante et acidulée.
La fosse est en revanche un régal. La direction de Vincent Dumestre à la tête de son Poème Harmonique, tout de raffinement poétique, d'ardeur secrète, de vérité tragique, déploie les fastes expressifs et la vivacité des contrastes qui manquent cruellement sur le plateau.
Egisto, de Pier Francesco Cavalli. Avec Marc Mauillon, Anders J. Dahlin, Claire Lefilliâtre, Isabelle Druet, Cyril Auvity, Ana Quintans, Serge Goubioud, Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction), Benjamin Lazar (mise en scène), Adeline Caron (décors), Alain Blanchot (costumes), Christophe Naillet (lumières), Opéra-Comique, Paris 2e. Le 1er février. Prochaines représentations les 3, 5, 6, 8 et 9 février. Tél. : 08-25-01-01-23. De 6 € à 115 €. Sur le Web : www.opera-comique.com.
Reprise à l'Opéra de Rouen (76), les 16, 17 et 19 février. Tél. : 08-10-81-11-16. De 10 € à 65 €. Sur le Web : www.operaderouen.fr.
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