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Création triomphale du deuxième opéra de George Benjamin

Aix-en-Provence
Grand Théâtre de Provence
07/07/2012 -  et 9, 11, 14 juillet 2012
George Benjamin : Written on Skin (création)

Christopher Purves (The Protector), Barbara Hannigan (Agnès), Bejun Mehta (Angel 1, The Boy), Rebecca Jo Loeb*/Victoria Simmonds (Angel 2, Marie), Allan Clayton (Angel 3, John), Laura Harling, Peter Hobday, Sarah Northgrave, David Alexander Parker (acteurs)
Katie Mitchell (mise en scène), Vicki Mortimer (scénographie et costumes), Jon Clark (lumières)
Mahler Chamber Orchestra, George Benjamin (direction musicale)


(© Pascal Victor/ArtComArt)


Tout porte à croire que le centre de gravité du festival d’Aix-en-Provence achève sa migration de son foyer historique, le Théâtre de l’Archevêché, vers le Grand Théâtre de Provence, initiée par l’inauguration de la nouvelle salle en 2007 avec La Walkyrie de Simon Rattle et ses Berliner Philharmoniker. Cette année, à défaut d’un public encore en gestation – chose normale au fond pour un répertoire jugé moins accessible –, c’est vers la création d’Ecrit sur la peau de George Benjamin que se sont tournés les médias et les coproducteurs les plus prestigieux – Londres, Amsterdam, Florence et Toulouse – chacun représenté en ce soir de première par une délégation qui ne l’est pas moins. La communication a d’ailleurs efficacement préparé le spectateur, et le bouche-à-oreille devrait sans peine vaincre les résistances des derniers sièges vides. Si la standing ovation à la fin de la représentation qui semble crier au génie manque de la spontanéité des authentiques connaisseurs, force est de reconnaître le deuxième opus lyrique du compositeur anglais comme une incontestable réussite.


Sur un argument inspiré par une légende provençale médiévale de Guillem de Cabestany – l’histoire du cœur mangé – Martin Crimp, déjà auteur de celui d’Into the Little Hill, a écrit un livret d’une grande puissance narrative, que l’on retrouve dans la musique de Benjamin. Traitant du sujet rebattu de l’adultère, il tisse des liens subliminaux entre le présent d’où part le récit et le XIIIe siècle où se déroule l’action. Les incises dans les dialogues qui mettent certaines répliques au style indirect – usage inhabituel et déroutant au premier abord – confirment une économie linéaire de la théâtralité. Plutôt que de servir une architecture complexe, les télescopages d’espace et de temps se fondent dans un continuum homogène, au service de la lisibilité de l’histoire et de la clarté de la diction.


Car c’est bien l’intelligibilité des paroles, rendant presque superflus les surtitres, qui frappe. La partition de Benjamin s’y révèle d’ailleurs particulièrement attentive, ménageant un tissu orchestral d’un grand raffinement. L’effectif mélange les timbres d’une formation symphonique contemporaine aux sonorités antiquisantes des violes. S’il n’est pas nouveau, le procédé s’avère ici particulièrement abouti, distillant avec le murmure des percussions une fascinante atmosphère teintée de mystère. L’écriture pour les graves se distingue par une richesse et une subtilité remarquables. Dans cette conception très littérale du théâtre en musique, tout le travail du compositeur, quoique d’une recherche extrême, tend à se maintenir dans les limites de l’accompagnement. Les apartés descriptifs des chanteurs, qui se font à l’occasion le narrateur de leur propre personnage, privent ainsi la musique de sa fonction commentatrice à laquelle l’esthétique héritée de Wagner nous avait habitués. L’évocation orchestrale semble parfois censurée. Plus que Pelléas et Mélisande, ce traitement austère rappelle Le Vin herbé de Frank Martin, où le dépouillement de la composition s’imposait de soi-même, soutenu par des chœurs ostensiblement absents ici, quand bien même le travail sur les parties de solistes se réfère à celui des Passions de Bach.


Equilibrant les exigences d’intelligibilité et d’expressivité, la distribution vocale, réduite à cinq chanteurs, impressionne par ses qualités d’engagement dramatique et d’adéquation stylistique. Christopher Purves condense la violence d’un Protecteur rugueux. Barbara Hannigan incarne admirablement la vulnérabilité d’Agnès. Pivot du drame en charge d’une partie exigeante, Bejun Mehta réalise une performance très applaudie dans les rôles du Garçon et du premier ange, quand Allan Clayton met en valeur celui du troisième et de John. Remplaçant presque au pied levé Victoria Simmonds, Rebecca Jo Loeb conquiert à juste titre l’auditoire avec sa Marie et son deuxième ange d’une remarquable pertinence.


Dans un décor, signé par Vicki Mortimer, qui fait songer à une superposition de deux prédelles, Katie Mitchell souligne, par une direction d’acteurs silencieuse au point de faire oublier les figurants, de manière un peu redondante les timbres feutrés de la partition, et en accentue l’austérité plutôt que la délicatesse de l’enluminure orchestrale, pourtant servie idéalement par le l’Orchestre de chambre Mahler, dirigé par un compositeur ému de l’accueil fait à sa nouvelle œuvre.


Si le succès de cette première ne vaut pas nécessairement compréhension, il est au moins à souhaiter qu’il appuie la légitimité de la musique d’aujourd’hui, et incite à davantage de renouvellement du répertoire. La crise n’est point un alibi à la méfiance envers la curiosité du public.


Le site du festival d’Aix-en-Provence



Gilles Charlassier

 

 

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