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Mârouf à l’Opéra Comique - Retour en beauté ! - Compte-rendu

Absent des scènes parisiennes depuis des lustres, Mârouf, savetier du Caire vient de faire son retour dans la maison qui le vit naître en 1914. Un retour en beauté ! Il faut reconnaître que, pour ce qui constitue le spectacle de fin de saison de Favart, tous les atouts ont été mis du côté de l’ouvrage d’Henri Rabaud.

Jérôme Deschamps et son équipe et les remarquables chanteurs réunis pour l’occasion ne nous en voudrons pas de commencer en saluant celui par qui, d’abord et avant tout, Mârouf reprend vie de si convaincante façon : Alain Altinoglu. Bras d’une sûreté éprouvée allié à une musicalité consommée ; le maestro fait des merveilles avec les musiciens du Philharmonique de Radio France. Il est d’abord le premier, depuis Tugan Sokhiev dans Les Fiançailles au couvent, à dominer totalement l’acoustique si piégeuse de Favart – où tant de baguettes, même talentueuses, ne parviennent pas à maîtriser les décibels... Aucun effet de saturation donc, mais un art des timbres, une vitalité et une précision rythmiques - que de chausse-trappes en la matière pourtant dans l’orchestre de Rabaud… - qui nourrissent un incessant foisonnement sonore. A la tête d’instrumentistes très engagés, Altinoglu tient de bout en bout un ouvrage dont il assume l’orientalisme, sans jamais céder au kitch, aux effets faciles. Sa baguette illumine et porte avec style et allant un spectacle dont la réussite n’est pas moindre pour les yeux.

Dans de simples et efficaces décors d’Olivia Fercioni (belles lumières de Marie-Christine Soma), un Jérôme Deschamps des meilleurs jours trouve le juste ton pour que l’ouvrage de Rabaud parle au public d’aujourd’hui, sans jamais forcer le trait mais avec de petits détails plein de drôlerie (ces sympathiques équidés à la langue bien pendue…) et une direction d’acteur aussi vivante qu’intelligemment réglée. Des choix qui ne font que renforcer la saveur délicieusement surannée du livret de Lucien Népoty – daté d’une époque où la France régnait sur un vaste empire… -, tout comme y contribuent les costumes particulièrement réussis de Vanessa Sannino. Tissus au tombé parfait, couleurs superbes (des teintures naturelles ont été utilisées), couvre-chefs plus joyeusement fantaisistes les uns que les autres ; chaque détail participe de la « saine bonne humeur » que Gabriel Fauré louait en Mârouf au lendemain de la première.

Créateur du rôle de Pelléas en 1902, Jean Périer fut le premier Mârouf de l’histoire douze ans plus tard. Parmi les grands Pelléas d’aujourd’hui, Jean-Sébastien Bou s’empare ici du rôle-titre avec une confondante aisance, tout à la fois ardent, subtil, touchant, et trouve en Nathalie Manfrino une belle et lumineuse Princesse Saamcheddine. Doris Lamprecht campe une parfaite Fattoumah, enquiquineuse et hystérique à souhait. On ne résiste pas au généreux Patissier de Luc-Bertin Hugault, ni à la leçon de style et de beau chant de Frédéric Goncalvès en Ali – l’une des très belles surprises de la production.

Respectivement Sultan et Vizir, Nicolas Courjal et Franck Leguérinel signent deux savoureuses incarnations. Le « petits » rôles – mais souvent exposés vocalement - relèvent tout autant du sans faute, qu’il s’agisse de Christophe Mortagne (Le Fellah, le premier marchand) ou de tous les jeunes chanteurs issus du riche vivier qu’est devenue l’Académie de l’Opéra Comique : Patrice Kabongo Mubenga, ténor plein de tempérament tour à tour ânier, chef des marins, premier muezzin et premier homme de police, Geoffroy Buffière (second marchand, premier mamelouk), Ronan Debois (second mamelouk et second homme de police) et Safir Behloul (second muezzin).

Rondement bien préparés par Stéphane Grapperon, les chanteurs d’Accentus apportent une précieuse contribution au spectacle, autant que la Compagnie Peeping Tom pour la partie chorégraphique.

Après le succès de Ciboulette, l’Opéra Comique livre une production tout aussi aboutie et, elle aussi, parmi les plus marquantes de la saison lyrique parisienne 2012-2013. On espère que les caméras préserveront le souvenir de ce Mârouf… et que les scènes de province sauront lui offrir toute la place qu’il mérite.

Alain Cochard

Rabaud : Mârouf, savetier du Caire – Paris, Opéra Comique, 25 mai, prochaines représentations les 29 et 31 mai, 2 et 3 juin 2013.

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Photo : Pierre Grosbois
 

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