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Vive l'opéra de grand-papa !

La résurrection de Mârouf, savetier du Caire, d'Henri Rabaud, à l'Opéra-Comique, est la preuve que l'opéra français sort peu à peu de ses cendres. PIERRE GROSBOIS

Rabaud, Hahn, Reyer… Ces compositeurs occultés par Mozart ou Wagner reviennent en grâce.

L'opéra français se porte à merveille. Longtemps, il a joui d'une réputation grimaçante. On le disait ­désuet, pompeux, rasoir, daté, futile, bref: dispensable. La résurrection de Mârouf, savetier du Caire, d'Henri ­Rabaud, à l'Opéra-Comique, à Paris, est pourtant la preuve que ce répertoire sort peu à peu de ses cendres, et l'on ne saurait s'en lamenter. Il n'est qu'à voir les programmations parisiennes et provinciales du moment: Cléopâtre , de ­Jules Massenet, à Marseille, Les ­Pêcheurs de perles, de Bizet, à Pleyel… Pour sa saison 2013-2014, la Salle Favart annonce une Lakmé de Léo Delibes et le rarissime Ali Baba de Lecocq.

Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, ces œuvres étaient jouées avec régularité dans toutes les salles françaises. ­Elles faisaient partie du patrimoine ; nos grands-mères en savaient certains airs, dont on possédait à l'époque des réductions pour piano. C'était avant l'ère du disque. Pour entendre une œuvre, il fallait se déplacer au concert ou bien connaître soi-même la musique. D'une manière générale, l'opéra français des années 1870-1945 est un pan colossal, contrasté, qui incarne le cœur secret de la culture musicale bourgeoise.

L'Opéra était le lieu où la (bonne) ­société se retrouvait ; on y discutait ­affaires et mariage ; on y faisait son ­entrée dans le monde. Il était l'étape obligatoire dans la formation intellectuelle et sociale. Mais ce n'était pas un simple salon: les gens se passionnaient vraiment pour les œuvres. Qu'on se rappelle le scandale de la création de Pelléas et Mélisande , de Claude Debussy, qui prenait le public à rebrousse-poil et à rebrousse-note! De même, Wagner n'avait rien d'évident et les anti­wagnériens croyaient déceler le poison allemand dans toute nouveauté un peu trop audacieuse. La musique était au cœur de préoccupations artistiques, renouvelant chaque saison la querelle des anciens et des modernes.

Bourvil et Tino Rossi

Les nouvelles œuvres étaient acclamées, conspuées, adulées ou détestées. Aujourd'hui, on imagine difficilement ce que pouvait être la première d'un opéra de Jules Massenet. Nous étions face à un événement national, une épiphanie officielle. L'opéra n'était pas un art de caste, réservé à une élite, comme cela semble être (faussement) le cas aujourd'hui. C'est que les frontières ­entre l'art lyrique et ce que l'on appellerait aujourd'hui la variété étaient bien plus ténues. Un ténor comme Georges Thill ne rechignait pas à pousser la chansonnette, enregistrant des romances exquises et sirupeuses telles que Tout mon cœur s'élance vers toi ou Ninon, quand tu me souris. À l'inverse, un Tino Rossi possédait le falsetto nécessaire pour chanter l'air de Nadir, Je crois ­entendre encore, dans Les Pêcheurs de perles. Le créateur de Petit Papa Noël n'a-t-il d'ailleurs pas incarné Franz Schubert dans la (très mauvaise!) Belle Meunière de Marcel Pagnol? De même, Bourvil a enregistré les quatre rôles ­comiques des Contes d'Hoffmann ­d'Offenbach. Disons qu'il y avait une communauté de talent et de métier entre le chant lyrique et la musique populaire. Car il s'agissait aussi bien de chanter que de dire la musique.

La diction n'était pas optionnelle, d'autant que les œuvres étrangères n'étaient pas montées dans leur langue originale. Nos grands-parents ont entendu Le Barbier de Séville en français. Et lorsqu'ils sortaient des Noces de Figaro de Mozart à la Salle Favart, ils ne fredonnaient pas Voi che sapete mais Mon cœur soupire (comme Suzy Delair dans L'assassin habite au 21, de Clouzot). Les grands Wagner étaient eux-mêmes montés en français, ce qui provoquait parfois des situations croquignolesques. Ainsi Marcel Schneider se rappelait-il une représentation de Tristan, à ­Garnier, à l'aube des années 1930, où les deux héros chantaient en allemand et le reste de la distribution en français!

La Seconde Guerre mondiale et l'arrivée de la musique anglo-saxonne ont balayé tout ça, cloisonnant bien plus les genres et créant une vraie hiérarchie entre bonne et mauvaise musique. ­Reste que ce répertoire français, longtemps jugé kitsch, passionne et enchante. Cet hiver, la résurrection de la Ciboulette de Reynaldo Hahn à Favart a marqué les mélomanes: montée au premier degré par Michel Fau, l'œuvre a charmé, touché, conquis. De même, les travaux du Palazzetto Bru Zane, à Venise, dépoussièrent la «musique ­romantique française» de ses scories et de sa mauvaise réputation. Pour revoir sur scène Sigurd, d'Ernest Reyer, Le Roi Arthus, d'Ernest Chausson, ou Vercingétorix, de Joseph Canteloube, la route est encore longue, mais il est permis d'espérer… à voix haute!


Le programme

Mârouf, savetier du Caire, de Rabaud, Opéra-Comique, Paris IIe, jusqu'au 3 juin.

Cléopâtre, de Massenet Opéra de Marseille, du 15 au 23 juin.

La Vivandière, de Godard, Festival de Radio France et Montpellier, le 24 juillet.

Lakmé, de Delibes, Opéra-Comique, du 10 au 20 janvier 2014.

Les Barbares, de Saint-Saëns, Opéra-théâtre de Saint-Étienne, 16 et 18 février 2014.

Ali-Baba, de Lecoq, Opéra-Comique, Paris IIe, du 12 au 22 mai 2014.

Vive l'opéra de grand-papa !

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1 commentaire
  • France002001

    le

    Laissez tomber l'opéra des snobs et bobos en extase devant des spectacles dits modernes et venez à l'opéra comique où Jérôme Deschamps , avec 10 fois moins de moyens qu'à l'opéra nous présente des spectacles inventifs, des troupes jeunes et recrée des opéra que nous n'avions pas vu depuis des lustres. Le tout avec des tarifs raisonnables pour les spectateurs.
    Tout cela avec 80 personnes permanentes. On est loin de la gabegie de l'Opéra mais depuis 4ans nos soirée sont des bonheurs Iln'y a pas de grèves !

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