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Tout le monde se lève pour Elektra

Elektra (Evelyn Herlitzius), ici au côté d' Oreste (Mikhail Petrenko), est à couper le souffle. Pascal Victor/ArtComArt

Strauss au sommet pour ce spectacle choc propulsé par trois chanteuses exceptionnelles et la mise en scène dépouillée de Patrice Chéreau.

Qu'attend-on au juste d'un festival? L'exceptionnel. La soirée dont on se souvient toute sa vie et se distingue de ce que l'on pourrait voir ou entendre partout ailleurs. C'est loin d'être toujours le cas. Mais quand on sort de l'Elektra de Strauss telle que le Festival d'Aix vient d'en donner la première au Grand Théâtre de Provence, on se dit que le mot festival prend tout son sens. Ou plutôt, on ne se dit pas grand-chose car on est tellement secoué que l'on n'est pas tout de suite capable d'articuler quoi que ce soit d'intelligent. Même applaudir n'a pas été facile tant on était assommé par le choc.

Pour tout dire, on s'est vite éclipsé de la salle pour marcher seul dans les rues d'Aix et laisser infuser la violence des émotions ressenties pendant une heure trois quarts: l'opéra, ce devrait toujours être cela, et non quelque chose de joli ou de divertissant.

Les ingrédients réunis pour faire de ce spectacle une soirée mythique? D'abord trois femmes qui atteignent la quintessence des figures imaginées par Strauss et Hofmannsthal. L'Elektra à couper le souffle d'Evelyn Herlitzius, petit bout de bonne femme que l'on ne remarquerait pas dans la rue et qui devient sur scène un animal de théâtre, d'un feu intérieur, d'une humanité et d'une endurance vocale qui vous font monter la boule à la gorge. La Clytemnestre royale de Waltraud Meier, jamais outrée, toujours digne, détaillant chaque mot du texte avec une précision psychologique et une présence qui n'en font pas la moitié d'une bête de scène. La Chrysothémis robuste et saine d'Adrianne Pieczonka. Même la superbe basse de Mikhail Petrenko confère au rôle ingrat d'Oreste un relief inédit.

La carte de la simplicité et de la littéralité

Pour canaliser la puissance expressive du considérable orchestre straussien sans en atténuer la lame de fond, Esa-Pekka Salonen, qui dirigeait l'œuvre pour la première fois, fait forte impression: le chef finlandais mise sur la transparence du tissu orchestral et la fluidité des enchaînements avec une maîtrise assez stupéfiante. À l'issue d'une saison symphonique d'une rare constance dans la qualité, l'Orchestre de Paris se couvre de gloire dans la fosse, ne sacrifiant jamais le raffinement du détail et la variété des couleurs aux effets de masse. On admirera tout particulièrement le travail effectué par les cordes.

À la différence des metteurs en scène qui enchaînent une production lyrique par mois au risque de se répéter, Patrice Chéreau a l'intelligence de se faire rare. Chacun de ses retours fait dès lors figure d'événement. Pas de relecture radicale pour son Elektra: il joue la carte de la simplicité et de la littéralité, la blancheur neutre du décor de Richard Peduzzi évoquant une Grèce intemporelle, archaïque autant que moderne.

Il lui suffit dès lors de se concentrer sur l'humanité des personnages, évitant tout effet choc pour ne mettre en lumière que leurs rapports, jusqu'aux meurtres qu'il choisit de montrer. Il confère comme jamais aux rôles secondaires une fonction et une épaisseur, à l'image de la bouleversante cinquième servante de Roberta Alexander.

Ces personnages ont une histoire, qui en arrive à se confondre avec celle des interprètes, ajoutant un niveau supplémentaire d'émotion. Ainsi, quand le précepteur d'Oreste et le vieux serviteur se reconnaissent avant le frère et la sœur (idée toute simple mais si juste), les larmes vous montent aux yeux lorsque l'on voit s'étreindre Donald McIntyre et Franz Mazura, 79 et 89 ans, deux piliers du Ringde Chéreau à Bayreuth en… 1976!

Salle debout pour une Elektra d'ores et déjà entrée dans la légende.

Grand Théâtre de Provence jusqu'au 22 juillet. Retransmis à 20 heures, sur Radio Classique, le 13 juillet et sur Arte Live Web, le 19 juillet, à partir de 20 heures. Diffusé ultérieurement sur Arte et France Télévisions.

Tout le monde se lève pour Elektra

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6 commentaires
  • Cath à strophe

    le

    les économies sur le décor pour payer plus qui donc à la place?
    cette façon de revoir et dénaturer avec un alibi de laisser plus de place au contenu!!! et y'a pas qu'à l'opéra que ça fait du dégât: ai eu droit à un Richard III modernisé! Shakespeare a du se retourner dans sa tombe!
    Dans un bunker, la reine devenue une prostituée... et les spectateurs partaient sans arrêt! tout ceux qui pouvaient le faire facilement, qui n'avaient pas à paraître aussi après en fin de représentation donc dont nous!!! oufffff "mise en scène dépouillée" tu parles!
    "adaptation moderne" ou contemporaine, faites moi rire ai envie de pleurer!
    Pour un aveugle c'est peut être bon...

  • Philippe025

    le

    Il n'est pas nécessaire d'être un grand devin pour savoir par avance de quels éloges sera couverte, aussitôt après avoir présentée, une production lyrique signée Chéreau. Celui-ci fait désormais partie des intouchables de la culture française... Sauf que, n'en déplaise à M. Merlin, depuis 1976, Chéreau ne fait que se répéter dans ses productions, tandis que l'esthétique de ses mises en scène demeure sempiternellement les mêmes.

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