Sextus, amant de Titus ?
On ne sait si les mentalités ont évolué dans la capitale du Tyrol ou si les attentes des spectateurs se sont révélées finalement moins aventureuses : toujours est-il que l’édition 2013 - la 37e - présente un visage moins original que les précédentes.
- Publié le 12-08-2013 à 05h37
- Mis à jour le 17-08-2013 à 09h50
René Jacobs, qui régna pendant près de vingt ans sur le Festival d’Innsbruck, racontait que, quand il avait décidé d’y monter le "Don Giovanni" de Mozart, les autorités locales s’étaient presque montrées déçues : on avait tant pris l’habitude, dans cette Mecque de la musique ancienne, d’exhumer des opéras oubliés de Cavalli, Cesti, Hasse et autres Telemann qu’on craignait que le choix d’un tel blockbuster lyrique déçoive le public fidèle.
On ne sait si les mentalités ont évolué dans la capitale du Tyrol ou si les attentes des spectateurs se sont révélées finalement moins aventureuses : toujours est-il que l’édition 2013 - la 37e - présente un visage moins original que les précédentes. A côté des concerts habituels, donnés dans quelques-uns des lieux historiques dont regorge la ville, il reste certes la rare et belle "Euridice" de Caccini (23 et 25 août avec Rinaldo Alessandrini). Mais ni "Didon et Enée", même couplé au "Vénus et Adonis" de Blow (14, 17 et 19 août, avec Piers Maxim) ni "La Clémence de Titus" qui vient d’être donnée en lever de rideau ne témoignent d’une grande audace.
On doit toutefois à la vérité de préciser qu’Alessandro de Marchi, aux commandes du Festival et de ce Mozart, a opté pour une version de l’œuvre qui sort des sentiers battus. Et, surtout, qu’il signe avec son équipe une réalisation musicale assez aboutie, qu’on sera heureux de retrouver au disque (un enregistrement Deutsche Harmonia Mundi est annoncé pour 2014). Sa direction musicale est vigoureuse dans les moments les plus martiaux, mais elle sait aussi se faire dramatique dans les passages qui le requièrent. L’Accademia Montis Regalis a ce qu’il faut de coruscant dans les sonorités, mais ses instruments anciens gardent la qualité d’intonation et la netteté voulues, même quand ils sont placés en avant comme dans les airs avec cor de basset : avec le soliste debout dans la fosse, le "Parto, parto" de Sesto et le "Non piu di fiori" de Vitellia prennent ici l’allure de véritables duos.
Pour atypique qu’il soit, le choix de faire accompagner les récitatifs non par un clavecin ni par un pianoforte (éventuellement doublé d’un violoncelle), mais par un violoncelle soutenu par une contrebasse, comme cela se pratiquait parfois au début du XIXe siècle, se révèle non seulement intéressant, mais aussi très satisfaisant : les cordes frottées se révèlent tout aussi capables d’expressivité que les cordes pincées ou frappées.
Egalement venus d’Italie, les chœurs, s’ils se révèlent piètres acteurs, s’acquittent joliment de leurs interventions - essentielles dans cet opéra. Très belle distribution aussi, avec notamment le Titus à la fois autoritaire et déchiré de Carlo Allemano, le Sesto tout à la fois bouleversant et éminemment virtuose de Kate Aldrich et la Vitellia puissante et très sûre de Nina Bernsteiner.
Dommage
Dommage que la mise en scène de Christoph von Bernuth ne soit pas à la hauteur du propos musical. Il y a bien quelques moments réussis dans les confrontations interpersonnelles, même si on n’est pas totalement convaincu de l’idée selon laquelle Sesto serait une sorte de grand "mignon", amant de Titus (on les découvre couchés ensemble dans le lit impérial pendant l’ouverture) : la tendresse érotique que manifeste l’Empereur pour son régicide affadit quelque peu la portée de sa clémence.
Mais c’est surtout dans les scènes de foule que le bât blesse. D’abord parce que (restrictions budgétaires ?) on semble avoir omis de fournir des costumes aux chœurs et qui paraissent comme s’ils n’avaient eu d’autre consigne que de se vêtir de noir, avec une diversité de style et de teintes qui distrait l’attention. Mais aussi et surtout parce que, si l’on comprend ce qu’a voulu montrer le metteur en scène (une foule versatile et dangereusement soumise face à un tyran en puissance), le résultat s’avère naïf et maladroit, frisant parfois le spectacle de patronage, comme quand les choristes/militaires (quinquas bedonnants et grisonnants) défilent au pas.
Le festival se poursuit jusqu’au 25 août; www.altemusik.at