Folie organisée de Livermore
- Publié le 13-08-2013 à 05h39
Opéra Festival Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Pesaro Le temps semble passé où l’on pouvait accuser le Festival Rossini de Pesaro de conservatisme systématique dans ses mises en scène. Ainsi, pour succéder à la mémorable production de "L’Italienne à Alger" de Dario Fo (créé en 1994 et repris en 2006), les responsables du ROF ont appelé Davide Livermore, metteur en scène italien déjà remarqué ici par son travail sur "Demetrio e Polibio" puis "Ciro in Babilonia". Il signe un spectacle virtuose, riche en couleurs, costumes délirants et gags multiples, qu’on admire d’abord avec émerveillement avant d’éprouver une forme d’ivresse, puis de lassitude à l’acte II.
L’action est transposée dans les années 60, celles des premiers James Bond, de "Chapeau melon et bottes de cuir", des paillettes et des bulles de savon, des chignons et des perruques, des robes Courrège et des fume-cigarettes. Celles, aussi, du progrès technique et des appareils électroménagers qui "libèrent la femme" : l’air de Haly, "Le femmine d’Italia", est illustré d’extraits de revues féminines de l’époque, et à la Cour du Bey d’Alger, des servantes potiches aspirent et frottent tandis que d’autres se tortillent lascivement.
Mustafa le Bey (excellent Alex Esposito) a fait fortune dans le pétrole, comme le raconte un délirant dessin animé façon Monty Python projeté durant l’ouverture. C’est un être vulgaire à souhait, une délicieuse caricature de macho et de nouveau riche consommant pilules bleues sur pilules bleues. Il frappe et foule au pied son épouse Elvira (Mariangela Sicilia, impressionnante d’abnégation et de puissance), prend ses collaborateurs pour trône et manque évidemment de la plus élémentaire subtilité pour séduire Isabella. Alternant tenues de sex-symbol et d’aventurière (on pense à la mère des "Indestructibles" de Pixar), cette dernière règne sans partage sur ce petit monde : la mezzo-soprano russe Anna Goryachova est confondante de maîtrise technique et de netteté vocale, même si la voix manque parfois un peu de projection et que l’incarnation semble très contrôlée.
Les comprimari sont corrects mais sans plus, et le ténor chinois Yijie Shi - jolie voix mais caractérisation un peu fade et aigus tendus - déçoit un peu. Il faut dire que Livermore, lui-même ancien ténor, requiert de tous ses chanteurs des prestations complètes et extrêmement physiques : on bouge et on danse en permanence dans cette mise en scène quasi chorégraphiée qui ne se base pas seulement sur le livret mais aussi sur la partition. Avec le risque inhérent à ce genre de travail : tenir jusqu’au bout sans fléchir (c’est le cas) et sans se répéter (ce ne l’est pas). La scène du pappatacci (on apprend au Bey à être un bon mari, c’est-à-dire à manger et à se taire) témoigne d’un réel essoufflement, et la fin de soirée est loin de connaître le même climax que le rideau de l’acte I.
Plus encore qu’à ce mouvement perpétuel scénique qui reste éblouissant, la frustration finale est due à la direction musicale : on comprend mal le choix pour diriger cette "folie organisée et complète" de José Ramon Encinar, chef déjà sexagénaire dont la notoriété ne semble pas avoir dépassé son Espagne natale et qui semble plus versé dans la zarzuela que dans Rossini. Sa baguette manque de rythme et de verve, et certains ensembles trahissent de vrais problèmes d’instabilité qu’on ne peut imputer aux excellents musiciens du Comunale de Bologne.
Pesaro, Teatro Rossini, les 13, 16, 19 et 22 août; www.rossinioperafestival.com.