Pour Wagner, sonnez Mozart ?
- Publié le 26-08-2013 à 09h38
Opéra Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Salzbourg Quand on représente la Tétralogie à Bayreuth, il y a toujours une journée de repos après "La Walkyrie" et une autre après "Siegfried". L’occasion de sauter dans un train, de traverser la Bavière et d’arriver 400 km au Sud-Est, juste au-delà de la frontière autrichienne : en cette année de bicentenaire, à la question Wagner ou Verdi?, Alexander Pereira, le directeur du Festival de Salzbourg répond, en effet, Wagner et Verdi.
Or, si le compositeur italien est régulièrement chez lui sur les terres mozartiennes, son contemporain allemand y est plus rare : joli coup dès lors que cette contre-programmation où, après un "Rienzi" en version de concert, Salzbourg propose "Les maîtres-chanteurs de Nuremberg". L’unique grande comédie de Wagner vient, en effet, de quitter l’affiche de Bayreuth sans laisser de regrets, et Pereira a eu la bonne idée d’en confier une nouvelle production au tandem qui présidait à ce "Parsifal" qui fut la seule réussite du festival wagnérien ces dernières années : Daniele Gatti à la direction musicale, Stefan Herheim à la mise en scène.
Entre rire et tristesse
Le pied de nez est réussi, avec la démonstration qu’on peut faire une production moderne et intelligente tout en racontant l’histoire et même sans la transposer à l’époque actuelle. Certes, Herheim (dont on n’a pas oublié le "Rusalka" à la Monnaie) raconte l’histoire, mais aussi un peu plus : ses "Maîtres-chanteurs" s’inscrivent à plusieurs reprises dans le thème de l’enfance, avec des meubles qui s’agrandissent pour devenir les éléments d’un décor géant, avec des personnages de contes de fées et surtout avec cette question récurrente : si tout n’était qu’un rêve d’un Hans Sachs (apparaissant plusieurs fois en chemise et bonnet de nuit) qui, ici, n’est pas seulement "sans enfants", mais clairement le père inconsolable d’enfants morts quelques années plus tôt. De quoi donner, çà et là, un ton de gravité à certaines pages (comme le prélude du troisième acte) et accroître, dans un parallèle revendiqué avec Shakespeare, le contraste entre rire et tristesse.
Peut-être les puristes les plus conservateurs mégoteront-ils qu’on est ici dans le Biedermeier des tableaux de Carl Spitzweg plus que dans le médiéval et que, si les costumes - splendides - sont assurément historiques, les décors manquent de colombages et de Nuremberg typique. Le grief serait injuste, car l’esprit est là sinon la lettre : l’humanité de Sachs (artiste avant d’être cordonnier), l’ambiguïté de sa relation avec Eva, la lutte de Walther pour une musique plus libre, la dimension folklorique (on danse beaucoup, et Herheim est un virtuose de la direction d’acteurs et de la gestion des masses).
Entre compétence et volupté
Evidemment, lors de la péroraison sur la supériorité de l’art allemand, le metteur en scène (qui est norvégien) s’épargne les références au nazisme que s’imposent nombre de ses confrères allemands aujourd’hui au nom de la culpabilité transgénérationnelle, mais nul ne lui en fera grief.
Dans la fosse, Daniele Gatti dirige avec compétence et volupté au Philharmonique de Vienne aux sonorités superbes, même si son apport personnel paraît moins déterminant ici que dans "Parsifal".
Et la distribution, sans être inoubliable, est de beau niveau : un formidable Hans Sachs (Michael Volle) et un Veit Pogner de haut vol (Georg Zeppenfeld), une Eva séduisante et à la voix pleine de caractère (Anna Gabler), un bon Beckmesser (Markus Werba) et un Walther (Roberto Sacca) qui, nonobstant un aigu parfois tendu et une projection limitée, sait donner l’engagement requis à son personnage.
Salzbourg, Grosses Festspielhaus, le 27 août, DVD annoncé. Le spectacle, coproduit par l’Opéra de Paris, y sera vraisemblablement repris en 2014-2015.