Le choc d’une Norma transfigurée
- Publié le 28-08-2013 à 08h56
Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Salzbourg Oubliez la pleine lune, les prêtresses gauloises, les druides à la longue barbe blanche et les Romains en sandales semblant n’attendre que le poing d’Obélix. Oubliez même, fût-ce un instant seulement, l’inoubliable "Casta diva" éthérée de Callas. Ecoutez, en attendant un probable DVD capté à Salzbourg, le récent enregistrement de "Norma" par Cecilia Bartoli chez Decca. Et imaginez…
En live, le choc des instruments anciens est plus fort encore. Balance modifiée entre vents et cordes, sonorités inattendues, percussions déchaînées dans les climax dramatiques. Dans la fosse, il y a la Scintilla, l’orchestre "baroque" de l’Opéra de Zurich. A sa tête, Giovanni Antonini, flûtiste solo et primus inter pares du Giardino Armonico révèle un vrai tempérament dramatique, gérant avec une autorité tranquille musiciens, choristes (l’excellent chœur de la Radio Suisse Italienne, autre complice habituel de Bartoli) et solistes.
Dans le rôle-titre, il y a bien sûr Cecilia Bartoli. C’est en sa qualité de directrice artistique du festival de Pentecôte (où le spectacle fut créé en juin avant d’être repris cet été) qu’elle a voulu cette production : depuis son disque Malibran, on sait que celles (Pasta, Malibran…) qui incarnèrent la prêtresse gauloise à l’époque de Bellini étaient celles qui chantaient aussi Tancredi ou Cenerentola de Rossini, des rôles confiés aujourd’hui à des mezzo-sopranos. Et que, tout au contraire, Adalgisa, la jeune rivale dont s’éprend Pollione, le proconsul romain père des enfants de Norma, était plutôt une Norina de "Don Pasquale" ou une Elvira des "Puritani".
Alors voilà, mariant son timbre plus sombre à celui d’une Rebeca Olvera pleine de fraîcheur, Bartoli en Norma quadragénaire s’identifiant à l’Anna Magnani des films de Rossellini parce que, explique la chanteuse, elle sait montrer sa force mais aussi ses faiblesses. Bartoli/Norma assise par terre, buvant au goulot quelque tord-boyau pour se consoler de la trahison de Pollione. Bartoli, actrice à 200 %, mais en même temps capable d’ornementer comme aucune les reprises, de vocaliser avec une aisance stupéfiante, de passer d’un registre à l’autre, tout en donnant le frisson, notamment dans "Casta diva" ou dans son bouleversant "Deh non volerle vittime" final. Formidables aussi, le Pollione sobre mais expressif de John Osborn, ou l’Oroveso puissant de Michele Pertusi.
Remise en cause musicale, mais aussi scénique. Le tandem franco-belge Patrice Caurier et Moshe Leiser, autre complice habituel de Bartoli, a transposé l’action dans la France occupée de 1940. Pas d’étalage d’uniformes, pas même pour l’occupant (ou collabo ?) Pollione, mais un groupe de résistants mené par une institutrice volontaire qui se réunit la nuit dans une salle de classe et y cache ses armes - et ses morts - sous le plancher. Et c’est avec les cheveux tondus que cette Norma sera conduite au supplice avec son amant. Le feu est mis à l’école : ligotés sur deux chaises, ils périront dans les flammes. Pas de thèse ni de démonstration, juste une façon d’évacuer habilement le kitsch du péplum et de montrer la proximité et l’universalité du propos : "Norma", drame de l’amour, de la jalousie et de la liberté. Avec une direction d’acteurs qui trouve les attitudes justes, et dans un jeu subtil de lumières et de clair-obscur. De quoi faire mentir ceux qui croient les opéras de bel canto trop stupides pour être encore montés aujourd’hui…
Salzbourg, Haus für Mozart, le 30 août; www.salzburger-festspiele.com.