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La mécanique envoûtante d'Einstein on the Beach

Une œuvre à la fois millimétrée et totale qui, par sa composition plastique et musicale, agit quasiment comme une hypnose. Lucie Jansch

Au Théâtre du Châtelet, l'opéra créé en 1976 par Bob Wilson et Philip Glass provoque la même émotion que la première fois. Une véritable œuvre d'art millimétrée de quatre heures trente où le visuel est inséparable de la partition musicale.

Il y a plusieurs façons d'appréhender la reprise, trente-sept ans après, de l' Einstein on the Beach de Philip Glass et Bob Wilson au Théâtre du Châtelet, dans le cadre du Festival d'automne. En nostalgique de ce qui était avant-gardiste dans sa jeunesse et est devenu classique. Avec le regard blasé de l'auditeur de 2014, qui a entendu des dizaines d'œuvres de Glass et vu autant de spectacles de Wilson et que plus rien ne peut étonner.

Ou en faisant abstraction de toutes les couches de mémoire accumulées depuis et d'ouvrir de grands yeux émerveillés comme si c'était la première fois. C'est exactement ce qui nous est arrivé. Pourtant, ce n'était pas gagné! On a suffisamment écrit que la musique minimaliste américaine, quelle que soit sa place éminente dans l'histoire culturelle, nous paraissait plus un recul qu'une avancée et encourageait une paresse de l'esprit. On a tout aussi régulièrement mis en garde contre le côté systématique et répétitif de l'esthétique théâtrale de Bob Wilson, toujours sur le fil entre génie et imposture. Alors vous imaginez: même en sachant que l'on avait le droit de déambuler pendant les interludes, ce n'est pas sans appréhension que l'on abordait les quatre heures et demie sans entracte d'un spectacle que l'on soupçonnait fort d'être un ralliement pour snobs et bobos de tout poil.

Obsession rythmique

Et puis voilà: au bout de trois heures, on était toujours assis à sa place sans avoir ressenti le besoin de se dégourdir les jambes. On a craqué avant la fin, soit. À l'impossible nul n'est tenu. Mais tout de même! Au vestiaire, nos préventions esthétiques et philosophiques contre le postmodernisme américain: ce spectacle est fascinant, un point c'est tout! C'est d'ailleurs là-dessus qu'il joue: sur la force d'un envoûtement qui passe par la ritualisation du théâtre.

Le caractère obsessionnel des structures harmoniques et rythmiques de la musique comme celui de la mise en scène de Bob Wilson et de la chorégraphie de Lucinda Childs, qui semblent répondre à des équations mathématiques tout en étant d'une constante plasticité, agissent sur le spectateur en lui faisant perdre le sens de l'orientation dans l'espace et dans le temps, sentiment accentué par l'absence d'intrigue ou de narration linéaire.

Comme dans les ragas de l'Inde, l'hypnose n'est pas loin, même si l'on tient à rester le plus lucide possible pour ne rien manquer de l'élaboration millimétrée de cette œuvre d'art totale, où l'élaboration de la partie visuelle est inséparable de celle de la musique.

En 1976, Glass et Wilson ont tout simplement inventé quelque chose de nouveau: de combien d'artistes peut-on en dire autant, quoi que l'on pense de leurs choix esthétiques? Et le plus frappant, par rapport à de nombreux pionniers de jadis qui nous paraissent aujourd'hui bien fades tant on est allé plus loin depuis, c'est que leur création a gardé tout son effet de surprise. Au point que l'on se demande s'ils ont jamais retrouvé l'idéalisme expérimental de cette première mouture.

 Einstein on the Beach , Théâtre du Châtelet, Paris Ier, jusqu'au 12 janvier.

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