Comme chaque année depuis dix ans, l'Opéra de Lyon nous convie à son mini-festival de printemps. Figure consacrée ? Le compositeur britannique Benjamin Britten (1913-1976). Les trois opéras programmés en alternance du 10 au 29 avril jalonnent la vie du compositeur : Peter Grimes, qu'il écrivit à son retour des Etats-Unis, où le couple de pacifistes formé avec son compagnon, Peter Pears, s'était exilé pendant la seconde guerre mondiale, puis Le Tour d'écrou (The Turn of The Screw), opéra de chambre créé en 1954 à la Fenice de Venise, avant la rare « parabole d'église », La Rivière au courlis (Curlew River), créée en 1964, dans la paroisse d'Orford.
Si les deux premiers sont présentés dans de nouvelles productions, le dernier, mis en scène en 2005 par Oliver Py pour le Festival d'Edimbourg, a déjà été vu au Théâtre des Célestins, à Lyon, en 2008. Entre rituel nô et figurations baroques, Py signait une magistrale réalisation, défendue par la bouleversante « Mater dolorosa » incarnée par le ténor américain Michael Slattery.
UN DRAME DU REJET VICTIMAIRE
Jeudi 10 avril, première bouteille à la mer donc avec Peter Grimes. Le marin, soupçonné d'avoir tué son jeune apprenti, est seul, au milieu de la scène, dans une barque rongée par la rouille. Deux silhouettes, messagères de la mort, s'approchent sans un mot. Ellen Orford, qui fut sa promise, est venue le voir une dernière fois ; le capitaine Balstrode lui fournit la masse qui devra couler son bateau. Les deux repartis, Peter Grimes ramera lentement vers la nuit et le large.
Tout est dit dès l'ouverture. La mise en scène de Yoshi Oida, sur la toile de fond d'une marine torturée de mer, de ciel et de fer, dans le ballet fluide de conteneurs portuaires déplacés au gré des sacs et ressacs de l'humaine marée (fête populaire, messe dominicale, poursuite du meurtrier), est tendue comme un point de fuite sur l'horizon. Elle ne quittera pas cet ancrage alors que se noue le drame du rejet victimaire, de l'impossibilité d'être différent, de la dure chaîne des enfants morts.
A la tête des Chœurs et Orchestre de l'Opéra de Lyon, la direction de Kazushi Ono fait souffler le vent mauvais qui galvanise les nuits d'horreur et brise la digue des cœurs. Belle distribution, que dominent la terrible et pitoyable incarnation de Peter Grimes par le ténor Alan Oke, la voix charitable d'Ellen, portée par la mezzo Michaela Kaune, douce et inflexible à la fois. Egalement remarquables, les seconds rôles : le Balstrode d'Andrew Foster-Williams, la Tantine de Kathleen Wilkinson, la Mrs Sedley de Rosalind Plowright en bigote passionnée de criminologie, Benedict Nelson (Ned Keene), Colin Judson (Bob Boles), Karoly Szemeredy (Swallow)…
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