Chroniques

par vincent guillemin

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Grand Théâtre, Genève
- 26 avril 2014
Götterdämmerung, opéra de Richard Wagner
© gtg | carole parodi

Suite et fin du Ring genevois commencé la saison passée, cette Götterdämmerung met en avant le chemin parcouru en plus d’un an par tous les protagonistes, réussissant au final un cycle solide, bien meilleur qu’on ne l’avait cru après Rheingold [lire notre chronique du 9 mars 2013]. À force de travail, Ingo Metzmacher réussit à forger un orchestre wagnérien qui, quoique faible dans les cuivres (certaines attaques de trompettes et de cors sont encore problématiques), est dorénavant en accord avec cette musique. Les préludes symphoniques et la mort de Siegfried sont même « bluffants » avec leur grande application à porter l’ouvrage jusqu’au bout. Plus surprenant, la lecture fluide et chaude, peut-être due au long travail de préparation avec l’orchestre, semble avoir pris l’ascendant sur l’attention portée à la mise en valeur de chaque Leitmotiv, à l’insu toutefois de cette direction si particulière qui avait tant conquis dans Siegfried.

Identique à celle des volets précédents pour les rôles déjà présents, la distribution intègre de nouveaux venus. John Daszak prouve qu’il maîtrise également la partie de Siegfried du Crépuscule. Son allemand n’est toujours pas impeccable et son jeu de scène souple et nerveux semble parfois hors-sujet, mais il tient une ligne mélodique claire tout au long de l’opéra, sans trop d’émotion, et limite les fins de phrases pour ne pas les mettre en péril. Appréciée dans Die Walküre puis décevante dans Siegfried [lire nos chroniques du 16 novembre 2013 et du 8 février 2014], Petra Lang retrouve une grande forme vocale, bien que sa voix semble s’être complètement détachée du médium pour ne plus garder que les aigus. Sans entrainer de défaillance, il en découle une diction parfois pâteuse et une propension à rester dans le registre haut. L’Alberich de John Lundgren est aussi probant que possible et gagne encore en noirceur dans son duo avec Hagen, ici d’un cynisme à toute épreuve, très bien tenu par la basse Jeremy Milner.

Le Gunther de Johannes Martin Kränzle surprend au début, avant de fatiguer franchement dans l’aigu, à partir du milieu du second acte, mais le personnage, habillé comme le barde Volker von Alzey dans Die Nibelungen de Fritz Lang (1924), est intelligemment traité. Waltraude ne surprend ni ne déplait avec Michelle Breedt (la Venus de Bayreuth) qui manque toutefois de personnalité pour impacter le rôle, à l’inverse d’Edith Haller en Gutrune. Ayant déjà chanté le rôle au concert avec Janowski – enregistré pour PentaTone, de même qu’elle était Magdalena dans la même intégrale Wagner [lire notre critique du CD] – et dans le Ring de Paris [lire notre chronique du 3 juin 2013], elle montre des couleurs et une projection d’une grande rareté, surpassant tout le reste du plateau, vocalement et scéniquement. La justesse et la puissance de chacune des phrases convainquent tant qu’elles font rêver de l’entendre dans un rôle plus long – Isolde par exemple ! Enfin, les trois Nornen livrent un ensemble moyen dont aucune voix ne se démarque ni par le timbre ni par une trop faible projection, alors qu’à l’inverse les Rheintöchter trouvent leur homogénéité dans une belle présence scénique et une superbe vocalité – surtout Wellgunde (Stephanie Lauricella).

La mise en scène de Dieter Dorn est dans l’exacte continuité des premières journées du cycle, redondante par son excès de classicisme et la fausse modernité de ses décors (Jürgen Rose). Aucun reproche n’est à formuler quant au respect total du livret : tout y est, jusqu’au sanglier rapporté de la chasse. L’Acte I fait découvrir un grand espace cubique aux éclairages variant du blanc au bleu selon l’ambiance, représentant le monde de Gunther. À gauche, des masques de dieux antiques, dont on verra les pendants humanisés s’enfoncer dans les eaux du Rhin en dernière image, et une épée totémique de quatre mètres de hauteur, assimilable à Nothung par la fracture médiane. Le reste du temps, le rocher de Brünnhilde est dépouillé de tout ajout, sauf au Prologue où reviennent les miroirs de Siegfried et le rideau de flammes en toile de fond. Ni moche ni belle, la proposition donne parfois lieu à des réussites, comme la scène des soldats d’Hagen où le Chœur du Grand Théâtre est fort bon. Le meurtre est traité plus classiquement, et le brasier pourrait flamber plus.

Sans être désagréable, cette production possède le seul défaut de ne rien apporter à ce qui déjà fut effectué sur l’œuvre depuis des décennies, et de n’être même pas aussi esthétique que d’autres. À cela s’ajoute le manque de travail dramaturgique (Hans-Joachim Ruckhäberle) et l’étonnante expression corporelle (Heinz Wanitschek) qui, tout en laissant trop libres les artistes, recourt à des gestes surprenants (comme Siegfried tapotant la joue de Gunther avant d’aller chercher la promise, par exemple).

À Genève seront donnés en mai deux cycles complets, invitant au voyage celui qui souhaite un Ring musicalement plus que correct dans une vision limitée au récit littéral. S’il cherche un regard interprétatif ou novateur, le voyageur poussera son chemin jusqu’à la Colline verte.

VG