Faust au Festival de Pentecôte de Baden-Baden

Xl_faust © Andrea Kremper

Tandis que Salzbourg a choisi Rossini et Cenerentola, pour son Festival de Pentecôte, c'est le Faust de Gounod qu'a retenu celui de Baden-Baden, en invitant Bartlett Sher – signataire de productions remarquées au Metropolitan de New-York (Il Barbiere di Siviglia, Le Comte Ory...) -  pour la proposition scénique. Le metteur en scène américain concentre l'action autour du personnage de Marguerite, qui apparaît dès le lever du rideau sous les traits d'une vieille femme malade, allongée dans un lit médicalisé, dans une pièce attenante à la bibliothèque de Faust. Ce personnage, omniprésent pendant tout le spectacle - même quand la « vraie » Marguerite se trouve sur scène -, est puissamment interprété par la comédienne Emanuela von Frankenberg, et fait inmanquablement penser à l'héroïne imaginée par Michael Haneke dans son film Amour. Sher lui a adjoint, à partir III, un autre personnage, celui de la jeune sœur défunte que Marguerite évoque dans une aria. La soirée se referme sur la même image du début, sur le même constat d'impuissance et de résignation...  

A l'exact opposé de ces sentiments, Sher a voulu un Méphisto maître du bal, déchaîné et histrionant, remarquablement tenu par la basse Erwin Schrott. Sa seule présence vocale domine le plateau de sa noirceur, de sa puissance et de son insolente santé. Certes la diction de la langue de Molière pourrait être plus châtiée, mais il est rare d'entendre un chanteur doté d'un tel rayonnement dans un emploi maléfique, au point d'emporter toutes les sympathies. L’acteur s’avère de fait magistral, « explosant » littéralement dans une mise en scène qui semble avoir été conçue à son intention. Diable extraverti, bondissant, inquiétant, sarcastique, menaçant, Erwin Schrott possède un charisme et une animalité qui font ici merveille, auxquels on peut ajouter un sens de l’humour dévastateur. Il est le grand triomphateur de la soirée.

Le ténor américain Charles Castronovo est à peine moins séduisant en Faust ; le timbre n'a certes pas le charme qu'on associe généralement à l'émission claire et déliée des grands chanteurs du passé, mais ses effets de mezza voce sont ensorcelants, jusque dans la célèbre cavatine, « Salut demeure chaste et pure », qu'il aborde avec un luxe de demi-teintes, et sans jamais chercher le moindre effet démonstratif.

Palliant au forfait d'Anna Netrebko – après l'avoir déjà remplacée au Covent Garden de Londres et récemment à la Staatsoper de Vienne -, Sonya Yoncheva allie puissance et subtilité psychologique pour imposer un personnage moins passif que de coutume : sa Marguerite décidée, forte jusque dans la souffrance, se situe avec succès aux antipodes d'une tradition qui veut en faire une fragile enfant, presque sœur de Mélisande. Le chant est, quant à lui, d'une constante intensité, ce qui nous vaut un « Ah, je ris de me voir si belle » vibrant de jeunesse et d'ardeur. Elle est également accueillie par un tonnerre d'applaudissements au moment des saluts.

Ce trio de haut vol est secondé par une belle équipe de comprimari, à commencer par le baryton sud-africain Jacques Imbrailo qui campe un beau Valentin, mené avec style, avec la capacité de nous rendre presque sensibles aux problèmes de ce personnage linéaire et plutôt antipathique. Très joli Siebel d'Angela Brower, bien crédible en travesti, et amusante Dame Marthe de Jane Henschel.  Il convient également de mentionner Derek Welton qui parvient à s'imposer dans les quelques répliques de Wagner.

Enfin, l'aspect musical de la production enthousiasme tout autant que l'équipe vocale. Le NDR Sinfonieorchester, sous la direction de son chef permanent Thomas Hengelbrock, caresse les phrases mélodiques alanguies de Gounod avec une intensité charmeuse ; son commentaire orchestral, à la fois souple et précis, ne tombe jamais dans l'excès et garde suffisamment de nervosité pour donner un maximum de vigueur et de rythme au spectacle. Le Philharmonia Chor Wien, préparé par Walter Zeh, trouvent eux aussi un équilibre séduisant entre la bonhomie et la vigueur, tout en restant d'une précision parfaite.

Emmanuel Andrieu

Faust au Festival de Pentecôte de Baden-Baden

Crédit photographique © A. Kremper

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