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Matthias Goerne, la voix de la perfection

Matthias Goerne livre une interprétation pleine de mélancolie visionnaire et de rage murmurée ou tonnante. Patrick Berger/ArtComArt

Au Festival d'Aix-en-Provence, le baryton allemand réussit à se renouveler dans Winterreise mis en images par William Kentridge.

On a beau y être habitué désormais, on est toujours aussi étonné, chaque fois que l'on rencontre Matthias Goerne, par les années-lumière qui existent entre l'être sombre et torturé qui se produit sur scène et l'homme rayonnant et chaleureux qui vous parle dans la vie. Le Voyage d'hiver, c'est son cœur de répertoire, son pain quotidien. Mais aucune lassitude pour autant, car il y découvre à chaque fois de nouvelles dimensions, tant la musique et le texte sont à double ou triple fond. «Je comprends les artistes qui réduisent leur répertoire à quelques chefs-d'œuvre essentiels, car ils vous fournissent un centre pour comprendre le monde», confie le baryton allemand. Pour lui, chacun peut s'assimiler au marcheur du Voyage d'hiver: «Cette œuvre est universelle car c'est l'homme qui est au centre, tout le monde peut se reconnaître dans cette expérience de la solitude, de l'isolement, de la peur de la mort.»

Convaincu de la force de la musique, il avait toujours refusé jusque-là de participer à des mises en scène du cycle de lieder. «Cela peut être terriblement kitsch ou sentimental, et cela affaiblit la musique au lieu de la renforcer.» Jusqu'à ce qu'on lui propose un projet de réalisation graphique par le plasticien William Kentridge. Connaissant le travail de ce dernier, il n'a pas voulu dire non tout de suite et est allé rencontrer l'artiste dans son atelier à Johannesburg. Quelques minutes de vidéo ont suffi à le convaincre d'accepter. «J'ai dit oui car il ne s'agit pas d'une illustration, mais d'une réflexion personnelle à partir du thème du Voyage d'hiver, avoue-t-il. J'ai mon interprétation, Kentridge a la sienne, nous n'avons pas cherché la fusion entre les deux, et c'est très bien ainsi.» Seul impératif: régler le timing entre le tempo du chanteur et le déroulement des images, afin de les synchroniser, ce qui a pris des heures.

Pour le reste, le perfectionniste Goerne n'est pas un fanatique des répétitions. Certes, il passe des heures à apprendre une nouvelle partition, par exemple pour une création contemporaine: raison pour laquelle il a refusé celle du Dionysos de Wolfgang Rihm en apprenant qu'il recevrait la partition deux mois seulement avant la création («Je dois pouvoir me demander à chaque page: pourquoi cette harmonie, pourquoi cette mélodie, quel rapport entre le texte et la musique, sinon c'est un travail purement mécanique et cela ne m'intéresse pas»).

Piano et chant à armes égales

Pour une œuvre qu'il connaît par cœur comme Le Voyage d'hiver, trop répéter risque en revanche de figer l'interprétation: il préfère conserver cette élasticité qui permet de chanter dans l'instant, comme une improvisation. Et aussi d'interréagir avec le pianiste: «Je ne veux pas un accompagnateur servile, le pianiste doit avoir une personnalité de soliste et faire des propositions qui me surprennent.» On le dit exigeant, voire difficile? Disons plutôt qu'il veut que toutes les conditions soient réunies pour lui permettre de vivre ce moment de partage qu'est un concert, et qu'il l'exprime clairement. Sans concession.

Le 12 juillet à 17 h. Les 8, 15, et 17 juillet à 20 h.

LA CRITIQUE Le Voyage d'hiver par Matthias Goerne, on connaît. Non seulement parce qu'il l'a déjà enregistré deux fois, mais parce qu'on l'a vu à plusieurs reprises chanter sur scène ce cycle de lieder, qui forment le cœur même de la création schubertienne, marqué par un sentiment tragique dépourvu du moindre rayon de lumière. Ce que l'on ne savait pas, c'est comment ce pur dialogue musical et poétique entre voix et piano allait s'accommoder des images inventées par William Kentridge. En réalité, chacun va son chemin, et ce n'est pas plus mal: toute tentative de raconter visuellement l'histoire aurait été redondante. Fabriqué à la main, sans ordinateur, le dessin animé conçu par Kentridge évoque vingt-quatre stations de sa propre existence, riches d'associations d'idées qui créent un contrepoint visuel assez captivant sans détourner l'attention de la musique. Mais avouons-le, celui qui nous a le plus surpris, c'est Matthias Goerne, qui semble aller chercher à chaque exécution un peu plus de mélancolie visionnaire et de rage murmurée ou tonnante. Son Voyage d'hiver est un voyage au bout de la nuit, tantôt révolté, tantôt résigné, constamment habité, pour ne pas dire halluciné. Et quand il dialogue avec un pianiste de la trempe de Markus Hinterhäuser, futur directeur du Festival de Salzbourg, la rencontre est au sommet, tant le patron d'institutions culturelles se révèle aussi un artiste à l'imagination sonore inépuisable, qui tire de ses touches noires et blanches une palette de couleurs que l'on croyait réservée à l'orchestre.

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