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CRITIQUES DE CONCERTS 16 avril 2024

Winterreise de Schubert dans une création visuelle de William Kentridge au festival d’Aix-en-Provence 2014.

Aix 2014 (3) :
L’oiseau prophète

© Patrick Berger

Mettre en scène le Voyage d’hiver, comme cela est proposé par le festival d’Aix 2014, relève d’une jolie gageure. Mais on reste sur sa faim tant au niveau visuel que de l’accompagnement pianistique, même si l’interprétation de Matthias Goerne nous confirme son statut de maître incontesté du si difficile Lied schubertien.
 

Auditorium du Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence
Le 06/07/2014
Florent ALBRECHT
 



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  • L’un des plus importants et accomplis chefs-d’œuvre de la littĂ©rature musicale revisitĂ© par le plus grand des barytons allemands, qui en connaĂ®t la moindre des circonvolutions, la plus infime des harmonies, le plus subtil dĂ©tail depuis plus de vingt ans : comment rĂ©sister Ă  ce concert de Matthias Goerne dans Winterreise ? La crĂ©ation visuelle proposĂ©e par le maĂ®tre des ombres poĂ©tiques et dessins idĂ©ogrammatiques William Kentridge avait de quoi mettre l’eau Ă  la bouche pour sa capacitĂ© Ă  interroger le sens.

    Enrichis de la patte musicale schubertienne, les subtils poèmes de Wilhelm Müller qui composent le recueil se prêtent en effet formidablement aux interprétations ouvertes, et les thématiques chères à l’époque romantique – la solitude, le voyage, l’introspection et la mélancolie – se rencontrent, s’interfèrent et se confrontent dans un même souffle glacé pour redoubler de signification : le torrent (Wasserflut) de la nature se transforme en larmes du poète amer sur la neige, et le refuge du village (Im Dorfe) n’est qu’un mirage désolé et désespéré qu’il s’agit de fuir. Même les faux-semblants enjoués cadencés par la musique, comme dans Die Post, sont à comprendre avec la distance imposée par l’ironie romantique.

    Impérial en vagabond-poète à la recherche de printemps enchanteurs perdus, l’immense chanteur allemand, véritable oiseau prophète, incarne avec beaucoup d’émotion, d’un bout à l’autre, les vingt-quatre mélodies. Après deux premiers enregistrements marquants du cycle, accompagné par les schubertiens historiques Graham Johnson et Alfred Brendel, Goerne épouse ici l’art du Lied de façon très charnelle. En Döppelgänger du poète, il fait don d’une interprétation encore plus intériorisée que les précédentes, d’où semble surgir, entre le Gute Nacht initial et le Leiermann final, le questionnement métaphysique d’une vie.

    Quel dommage que le piano de Markus Hinterhäuser, nouveau directeur du festival de Salzbourg à compter de cet automne, soit à ce point gênant ! Dès le Lied initial, une main pataude, une pédale lourde, un manque d’écoute irritent et empêchent de se plonger dans le chant. Les structures rythmiques de l’accompagnement pianistique, si typiques chez Schubert, s’émoussent, traînassent, et le froid glaçant et minéral des paysages à la Caspar Friedrich, si bien exprimé dans ce recueil, semble hélas avoir laissé la place au grésil.

    Pauvre Lindenbaum sur lequel ressurgit la douce image d’une romance, gravée sur son tronc, et qui semble recouvert ici de lierre opaque et mortifère par un instrument trop présent.

    Ces parasites ne sont pas les seuls, car, finalement, l’apport de Kentridge se mesure à une succession de projections erratiques qui n’apportent pas forcément grand chose à l’ensemble : dessins naïfs, saynètes, micro-fictions, néo-kenjis souvent jolis batifolent et s’agitent derrière les musiciens sans grande logique, quand la musique et le texte inviteraient à l’immobilité et au recueillement.

    Quelques belles idées, comme cet arbre squelettique projeté en autant de feuilles de papier mises à l’épreuve, tremblantes par d’hivernales bourrasques, ne sont pas légions, et demeurent comme extérieures à la musique. Et si, d’ailleurs, celle-ci, précisément, ne devait-elle pas s’écouter pour elle-même, en solitaire, comme le poète sur sa route désolée ?

    Attendons donc la sortie du nouveau Winterreise du grand Matthias, prévu l’automne prochain, en compagnie du piano heureux et inspiré de Christoph Eschenbach. Puis enfilons nos pelisses, fermons les yeux, et, laissons les frissons hivernaux nous parcourir l’échine avec bonheur.




    Auditorium du Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence
    Le 06/07/2014
    Florent ALBRECHT

    Winterreise de Schubert dans une création visuelle de William Kentridge au festival d’Aix-en-Provence 2014.
    Franz Schubert (1797-1828)
    Winterreise
    Poèmes de Wilhelm Müller
    création visuelle : William Kentridge
    Matthias Goerne (baryton)
    Markus Hinterhäuser (piano)

     


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