Otello aux Chorégies d'Orange

Xl_otello © Philippe Gromelle

Tout le monde – public comme critiques – venait pour entendre Roberto Alagna dans sa prise de rôle de l'un des plus difficiles du répertoire, mais le grand gagnant de la soirée a bien été, selon nous, cet Orchestre Philharmonique de Radio-France - placé sous la direction de son excellent chef Myung Whun Chung - qui a déployé une multiplicité de saveurs, une subtilité dans les timbres, les plans sonores et les nuances, que l'on croyait irréalisables dans l'immensité du Théâtre antique. Les Chœurs des Opéras de Nice, d'Avignon et de Marseille méritent également - hors quelques légers décalages, inhérents au lieu - les plus vives louanges.

L'on citera en seconde position la Desdemona souveraine de la soprano albanaise Inva Mula grâce à une voix d'une égalité absolue, sans la moindre aspérité, susceptible de sons filés superbes, mais aussi d'envolées lyriques irrésistibles. Le tout conduit avec une maîtrise bouleversante, qui a fait venir les larmes aux yeux de maint spectateurs dans la sublime « Chanson du saule ».

Quant à Roberto Alagna, cette volonté de mettre ce rôle à son répertoire était évidemment un challenge audacieux. Alain Duault a écrit ici-même ce qu'on pouvait attendre de cette prise de risque. En fait, les qualités du célèbre ténor français lui ont permis d'assumer la dimension psychologique du rôle, de délivrer une réelle émotion, et de donner souvent au personnage des accents déchirants (le « Dio, mi potevi scagliar » !). Mais on ne peut pourtant pas occulter les limites vocales qu'il a dû affronter : sa voix est à l'évidence sous-dimensionnée pour cette partition écrasante et si l'on comprend qu'il veuille endosser ce rôle magnifique, on ne peut que rester perplexe devant cet allégement des lignes, ce plafonnement dans les aigus, ces défauts d'intonation répétés dans les moments d'extrême tension (notamment au III). Bien sûr, ce n'est que son premier Otello, bien sûr c'était en plein air - avec beaucoup de Mistral ce soir là, mais heureusement sans la pluie qui a entraîné l'annulation de la Première -, cependant avec une voix au timbre parfois blanchi, à la projection en deçà de ce qu'on peut attendre ici, et l'on peut s'interroger sur la nécessité pour lui d'ajouter ce rôle à ceux qu'il possède déjà aujourd'hui de manière autrement plus convaincante.

Grand habitué des lieux, récemment entendu (et apprécié) dans le doublé Cav/Pag à l'Opéra Grand Avignon, le baryton coréen Seng-Hyoun Ko convainc dans le rôle maléfique de Iago. On admire la noirceur qui sourd de chacun de ses gestes et sa formidable présence scénique, tandis que la voix possède le mordant, la puissance et l'autorité exigés par ce personnage. Excellent Cassio enfin du ténor messin Florian Laconi, qui sait gérer au mieux ses moyens, et Emilia exemplaire de sûreté de la mezzo Sophie Pondijclis, tandis que les autre interprètes (Julien Dran, Enrico Iori et Jean-Marie Delpas) s'avèrent en parfaite adéquation à leurs rôles respectifs.

En coproduction avec l'Opéra de Marseille – dont on retrouve seulement les mêmes costumes de Katia Duflot (aussi magnifiques pour les principaux protagonistes que franchement laids pour les chœurs), la scénographie étant entièrement différente – cette mise en scène signée par Nadine Duffaut ne cherche pas à multiplier les subtilités dans la direction d'acteurs, mais rend le drame lisible du plus haut du théâtre et pour les regards les moins initiés. Nous lui serons gré, également, d'avoir troqué le hideux décor infligé à notre regard sur la scène phocéenne par un autre beaucoup plus esthétique (signé encore par la fidèle Emmanuelle Favre), composé d'éclats d'un miroir brisé dont certaines parties bénéficient d'images vidéo floutées des deux héros, qui évoquent tour à tour leur bonheur puis leur désarroi. Drame de la jalousie ou plutôt histoire d'une manipulation aux dimensions surhumaines ? Peu importe. La Violence la plus sauvage est en tout cas adroitement traduite, et ce n'est pas la moindre qualité de la soirée, qui se conclut par une formidable ovation d'un public visiblement conquis.

Emmanuel Andrieu

Otello de Verdi aux Chorégies d'Orange, le 5 août 2014

Crédit photographique © Philippe Gromelle

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