Pour commémorer le 250ème anniversaire de la mort de l’un de ses plus illustres enfants, Dijon a choisi Castor et Pollux pour être le point culminant de son année Rameau.

Troisième opéra de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Castor et Pollux fut créé en 1737 au Théâtre du Palais-Royal. Mais c’est la version de 1754, largement remaniée par le compositeur et son librettiste Gentil-Bernard, que l’Opéra de Dijon met à l’honneur pour ouvrir sa saison 2014-2015, avec cette production de l’English National Opera et du Komische Oper de Berlin, mise en scène par Barrie Kosky, le très avant-gardiste directeur artistique de la maison berlinoise.

L’intrigue est bien connue : deux frères, Pollux l’immortel et Castor le mortel, aiment tous deux Télaïre ; Télaïre et sa sœur Phœbé aiment toutes deux Castor ; par amour pour son frère, Pollux renonce à Télaïre ; Phœbé, jalouse, contribue à faire tuer Castor ; en échange de sa propre mort, Pollux obtient de son père Jupiter le privilège de pouvoir ramener Castor du monde des Enfers ; Castor refuse ce sacrifice et n’accepte de quitter les Champs Élysées que pour une seule journée, afin de dire adieu à Télaïre ; tandis que Phœbé se suicide, Jupiter, touché par cette démonstration d’amour fraternel, accorde aux deux frères l’immortalité, qu’ils partageront sur le Zodiaque.

Cette version de 1754 fait la part belle à l’humanité des personnages, à leurs sentiments et leurs émotions, souvent exacerbés. La musique en est le reflet sublime : sensuelle, poignante, avec quelques touches d’austérité, elle prend successivement toutes les couleurs de l’âme humaine. Sous la baguette énergique d’Emmanuelle Haïm, les musiciens du Concert d’Astrée nous en offrent un très beau rendu, qui aurait toutefois mérité un peu plus d’audace et de passion.

Le plateau vocal est homogène et de très bonne tenue. Emmanuelle de Negri donne à sa  Télaïre toutes les nuances de ce personnage complexe, solitaire et tragique. Tandis qu’elle creuse la terre de ses mains pour y ensevelir le défunt Castor, son « Tristes apprêts » nous emporte vers des sommets d’émotion. Pascal Charbonneau, même s’il chante parfois en force, est un Castor très honnête. Le baryton-basse néerlandais Henk Neven incarne toute la noblesse et l’élégance qui conviennent à Pollux, malgré quelques difficultés dans les notes les plus graves. Quant à la Phœbé de Gaëlle Arquez, elle est violente à souhait, et très bien scandée ; cependant, un peu trop criée, elle manque de nuance. Le chœur, enfin, est absolument remarquable. D’une précision et d’une cohésion sans faille, il apporte à l’ensemble une contribution essentielle, vocale, mais aussi chorégraphique.

Comme Rameau l’a fait dans sa partition, Barrie Kosky n’hésite pas dans sa mise en scène à bousculer les codes de représentation du baroque français : « pas de frou-frou, pas de perruques ou de grandes robes » déclare-t-il. En effet, la scénographie est on ne peut plus dépouillée, afin, selon Kosky, que « rien ne [vienne] parasiter l’interprétation ». Le dispositif scénique se réduit à une boîte de bois clair, assortie d’un minimum d’accessoires, dans laquelle les personnages – enfermés dans leurs passions – évoluent tout au long de la représentation.

Cette boîte, on peut la voir comme un écran de télévision au travers duquel le spectateur assiste à un étrange huis clos, comme la matérialisation de toutes les contraintes qui pèsent sur les personnages, ou bien encore comme une chambre d’expérimentation – une sorte de réacteur chimique au sein duquel, tels des molécules, les quatre protagonistes se rencontrent, s’unissent, se séparent, s’entrechoquent, se dispersent violemment sous la pression des événements et des sentiments. Il y a beaucoup de violence ici : on se bat, on court, on se jette avec fracas contre les parois de la boîte. C’est physique et éprouvant pour les chanteurs. C’est spectaculaire et cela interpelle : cette mise en scène traduit-elle efficacement les intentions de Barrie Kosky ? En partie seulement. En effet, la violence des acteurs aurait mérité d’être mieux dirigée, mieux jouée, afin de ne pas introduire ce léger déséquilibre entre la partition et le théâtre.

Cette réserve étant faite, à aucun moment la tension dramatique ne nous lâche : captivés dès l’ouverture, nous entrons nous aussi immédiatement dans la boîte, et nous ne la quittons à aucun moment. Toujours dans le but de préserver la continuité de l’action, les ballets ont été remplacés soit par des chorégraphies confiées au chœur, soit par d’autres mouvements scéniques. Sur le plan esthétique, cette austère mise en scène est assez réussie, servie par de sobres costumes contemporains et des éclairages très efficaces, qui suggèrent les changements de lieu et d’atmosphère.

En tout état de cause, cette production démontre brillamment qu’il n’existe aucune incompatibilité entre la musique baroque et le théâtre contemporain. Bien au contraire.

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