Maman, où est papa ?

Avant Stromae, il y avait l’"Elektra" de Richard Strauss. Piqûre de rappel…

Nicolas Blanmont
Maman, où est papa ?
©Pascal Victor/ArtComArt

"MAMA, Where is PAPA ?" Tracé en lettres de sang sur les parois rouillées et tachées (citerne ? cale de bateau ?) qui abritent la nouvelle "Elektra" de l’Opéra flamand, le graffiti renvoie évidemment à l’événement qui précède l’action de l’opéra de Strauss et Von Hofmannsthal : le meurtre d’Agamemnon par son épouse Clytemnestre. Une mère sans remords apparents, mais trois enfants traumatisés.

Et si ces enfants sont adultes, leur univers reste, dans l’excellente mise en scène de David Bösch, teinté d’éléments d’enfance. D’un côté, la hache vengeresse d’Elektra ("Je n’ai pu lui donner la hache !"), une tronçonneuse des plus gore (qu’elle ne parvient heureusement pas à mettre en route) et l’allure gothique et hallucinée de l’interprète, robe blanche salie, rimmel dégoulinant et cheveux filasses. De l’autre, la photo d’elle, petite fille, avec son père disparu, les ours en peluche que retrouve Oreste ou cette extraordinaire scène où, assis sur des chaises d’école maternelle, le frère et la sœur retrouvent un bref instant la complicité d’enfants qui jouent à se chatouiller.

Danse

On peut éventuellement mégoter sur une scène finale, où l’hémoglobine coule à flots sur les murs et où la danse d’Elektra, qui s’est parée d’un diadème comme la reine qu’elle pense être devenue, semble hésiter entre le premier et le second degré. Mais l’univers visuel et scénique du jeune metteur en scène allemand s’impose par sa cohérence, sa direction d’acteurs impeccable - tout en réussissant, l’air de rien, à placer tous ses solistes à la rampe quand ils chantent, pour qu’ils passent mieux le mur sonore de l’orchestre - et ses propositions intelligentes, même quand elles surprennent. Au final, ce n’est pas Elektra qui s’écroule sans vie, mais Oreste qui se tranche les poignets, tourmenté par la culpabilité d’un matricide dont la perspective l’avait déjà fait vomir.

La réussite du spectacle tient aussi à Dmitri Jurowski. Si, dans le "Rosenkavalier" de la saison passée, on avait pu reprocher au chef russe un certain manque d’alanguissement, les déchaînements orchestraux d’"Elektra" le révèlent parfaitement dans son élément. Capable de puissance mais aussi de sensualité, d’une jouissive plénitude sonore mais aussi de l’éclairage des détails, sa direction tellurique est ici prodigieuse, et son Orchestre de l’Opéra flamand retrouve son meilleur niveau.

Haut vol

La distribution entendue mardi - il en est deux, en alternance, pour les rôles des deux sœurs - est de haut vol. Brünnhilde et Isolde de renom (notamment à Bayreuth), Irene Theorin est une Elektra de lave, oscillant merveilleusement entre folie et colère, forte d’une voix d’airain et d’une technique très sûre. Formidables aussi, l’Oreste encore très frais du jeune baryton-basse hongrois Karoly Szemerédy ou la Clytemnestre imposante de Renée Morloc. Le reste, avec notamment la Chrysostemis d’Ausrine Stundyte et l’Egisthe de Michael Laurenz, complète un plateau sans failles.Nicolas Blanmont

Anvers, Vlaamse Opera, les 18 et 19 septembre à 20 h. Gand, Vlaamse Opera, du 27 septembre au 3 octobre.

Rens. : 070.22.02.02 ou www.operaballet.be.

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